VANESSA MOUNGAR : Directrice du développement Genre, Femmes et Société Civile à la Banque Africaine de Développement

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Vanessa Moungar, 36 ans, Directrice du département Genre, Femmes et Société Civile à la Banque Africaine de Développement.

Revenons sur votre parcours professionnel…
J’ai grandi entre le Tchad et la France, consciente à un très jeune âge du privilège que j’avais de naviguer entre les deux mondes, avec un plus grand accès à l’opportunité que la plupart de mes sœurs tchadiennes. De là vient mon envie profonde de défier le statu quo et de contribuer au développement d’un monde où l’accès à l’opportunité n’est pas déterminé par la loterie de la naissance.
Mon parcours professionnel a depuis traversé les secteurs prives et publics et les continents, avec pour fil rouge cette détermination d’acquérir un maximum de compétences et d’apporter ma pierre à l’édifice pour des sociétés plus justes, qui créent de la valeur pour tous. Ce parcours démarre avec AV Consulting en France, que j’ai co-fondé en 2004, en parallèle de mes études au MBA Institute du Groupe Inseec. L’idée était de partager tout ce que l’on apprenait sur la gestion d’entreprise, de la finance au marketing, pour soutenir les petites et moyennes entreprises en Afrique et au Moyen-Orient. Après mon diplôme, déterminée à réaliser un rêve de petite fille et d’intégrer l’université d’Harvard quelques années plus tard pour y faire mon Master, j’ai pris ma valise sous le bras et ai débarqué à New York pour un stage de 3 mois chez Terrafina, une jeune société agroalimentaire, où je suis finalement restée 8 ans. J’ai fait mes armes sur le terrain avec cette entreprise qui grandissait, pour finir Directrice des Ventes et du Marketing. Avec mon Master sous le bras, j’ai rejoint le World Economic Forum (WEF) en 2013 en tant que Responsable de l’Afrique Centrale et de l’Ouest. Mon rôle était de faciliter les partenariats public-privé dans de multiples secteurs tels que la santé, l’éducation, les industries extractives, les infrastructures, l’agriculture et l’énergie. J’ai également porté le thème du Dividende Démographique en dirigeant un groupe multipartite ayant pour objectif d’accélérer les réformes et investissements à l’égard de l’éducation, de la santé et de la participation économique des femmes et des jeunes, avec un focus spécial sur l’Afrique, l’Asie et l’Amérique Latine. J’ai aussi eu la chance d’intégrer le programme des Global Leadership Fellows, offrant un curriculum académique en collaboration avec Columbia, Wharton, Cornell, London Business School, China Europe International Business School, et INSEAD, avec un Master en Global Leadership à la clé. Après quatre ans au WEF, j’ai ressenti le besoin d’évoluer et de passer du côté de l’implémentation des programmes et décisions dont j’avais le privilège d’être témoin. La Banque africaine de développement est apparue comme une évidence, aussi bien pour sa mission que pour son caractère panafricain. Un poste de Directrice pour le département Genre, Femmes et Société Civile venait de s’ouvrir, et m’a tout de suite parlé, alors j’ai jeté une bouteille à la mer : je n’avais pas le profil du Directeur typique de la Banque, mais ça ne coûtait rien d’essayer.

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Décrivez-nous votre mission au sein de la BAD ?
Le département mène l’action de la Banque en matière d’égalité des genres, d’autonomisation des femmes et d’engagement avec la société civile, afin de maximiser l’impact de nos projets. D’une part, il s’agit de s’assurer de l’intégration systématique des questions liées au genre. La Banque investit environ 10Mds USD sur le continent chaque année dans divers secteurs, de l’infrastructure à l’agriculture, la sante ou l’éducation, offrant des opportunités majeures pour l’autonomisation des femmes. Il est également important de prendre en compte tous les facteurs socio-culturels, pour s’assurer de l’accès égal à l’opportunité créée pour les femmes et les hommes. Nous menons également des initiatives ciblées, comme le programme AFAWA (Affirmative Finance Action For Women in Africa ou Action positive pour le financement en faveur des femmes en Afrique), pour favoriser l’accès des femmes au financement en Afrique notamment par la mise en place d’un mécanisme de garantie pour couvrir les risques des prêts faits aux femmes entrepreneures à travers tout le continent. La recherche nous montre que lorsqu’une femme gagne un revenu, elle réinvestit 90% dans la nutrition, la santé et l’éducation de sa famille. Il s’agit donc d’un des meilleurs investissements, pour bénéficier à tous. Les femmes sont les épines dorsales des économies africaines, et ont le potentiel d’accélérer dramatiquement le développement inclusif du continent, si on leur en donne les moyens. D’autre part, nous coordonnons l’engagement des acteurs de la société civile, des organisations non-gouvernementales aux associations communautaires. Cet engagement est crucial pour nous assurer de réellement répondre aux besoins des populations, et se traduit par la création de diverses plateformes de dialogue au niveau des projets, des pays, et du siège, avec la société civile comme partenaire au niveau stratégique ainsi que dans l’implémentation de nos projets.

Comment évoluer dans les instances internationales ?
Les qualités requises pour progresser dans n’importe quel contexte restent à mon humble avis les mêmes : avant tout, le travail, car c’est la clé de tout. Je n’ai jamais rêvé de réussir quoi que ce soit qui me tenait à cœur sans être consciente qu’il faudrait travailler pour. Et plus grands sont vos rêves, plus de travail devra être fourni. Il faut aussi savoir faire preuve de détermination et de persévérance. Rome ne s’est pas construite en un jour ! Rien de grand n’est facile. Mais une chose est sûre, on ne gagne rien en abandonnant. La vie est faite de défis, détours et autres carrefours, mais rien ne peut arrêter une femme déterminée et motivée par les bonnes raisons. Et pour cela, avoir un compas moral inébranlable – savoir ce que l’on considère comme bon ou mauvais et toujours s’y tenir. On ne peut jamais regretter d’avoir suivi ses valeurs. Enfin, la sincérité et la passion. Se connaître, savoir ce qui nous motive profondément et oser laisser cette passion rejaillir à travers nos interactions. C’est contagieux, et de mon expérience, cela vous aidera à créer des relations professionnelles inspirantes, qui seront non seulement des alliances utiles pour l’aboutissement de vos projets, mais aussi parfois même des alliés pour la vie.

Un message aux femmes de la diaspora ?
Plutôt qu’un message, je leur poserais des tonnes de questions. Sur leurs racines, leurs identités plurielles, leur auto-détermination, leur conscience de soi… Avoir plusieurs pays, qu’ils soient d’origine, de naissance ou de vie actuelle, est pour moi une richesse extraordinaire. A l’heure où le monde est interconnecté, la capacité à comprendre plusieurs contextes et à les intégrer pour évoluer dans chacun d’entre eux avec la même aise est un atout formidable, qui peut se traduire en opportunité dans tous les secteurs, du business aux relations internationales. Donc mes chères sœurs, arborez fièrement la pluralité de votre identité et faites-en l’une de vos forces majeures ! Nous pouvons et devons être les ponts entre tous ces mondes qui sont les nôtres pour plus de compréhension, de collaboration et de création de valeur sur des bases équitables et justes pour toutes et tous.

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Avez-vous des femmes de pouvoir pour modèle ? Si oui, lesquelles ?
Plus que par le pouvoir, je suis inspirée par les personnes qui ont un impact réel sur le monde qu’ils habitent, que ce soit au niveau communautaire, local ou international. Beaucoup d’exemples me viennent à l’esprit, à commencer par ma propre famille, avec les figures de mes grands-mères qui ont profondément influencé mon parcours, mes standards et mes rêves. J’ai aussi eu la chance de travailler avec des leaders formidables, qui m’ont beaucoup inspirée et dont j’ai énormément appris. Et puis, il y a les scènes du hasard du quotidien : un geste de candeur d’une femme au marché, un soutien bienveillant envers une personne âgée, tous ces héros anonymes qui rendent le monde meilleur, jour après jour.

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Si vous aviez un message à destination des entrepreneurs qui auraient des envies d’expansion sur le continent ?
DO IT ! The time is now. Le continent regorge d’opportunités aussi multiples que variées, et la prise de risque vient toujours avec son potentiel de récompense supérieur. Si vous avez un bon projet auquel vous croyez, alors foncez.
Il y a actuellement beaucoup de ressources disponibles sur le continent pour le soutien à l’entreprenariat et à la création d’emploi. Il faut donc aussi bien se renseigner pour ne pas manquer ces opportunités, qui peuvent vous aider à aller plus vite, et plus loin. Nous pouvons tous contribuer à l’accélération de la transformation du continent, et au passage créer de la valeur pour nous-mêmes et pour les générations à venir.

Un mot sur le CPA dont vous faites partie. Pourquoi l’avoir intégré ? Sentez-vous que les lignes ont bougé depuis votre arrivée ?
Le CPA a été créé pour contribuer au rééquilibrage des dynamiques entre la France et le continent africain, pour une collaboration plus saine et plus équitable. Rejoindre le Conseil représentait une opportunité unique de contribuer à la construction d’un avenir différent pour la relation de deux régions aussi chères à mon cœur l’une que l’autre, et je n’ai donc pas hésité. Notre mission est bénévole et a pour but d’éclairer le President de la République Française sur les enjeux de la relation entre la France et le continent pour nourrir sa politique extérieure, en lien permanent avec la société civile et la jeunesse pour transmettre leurs perceptions et leurs attentes, ainsi que de formuler des propositions d’action sur des secteurs cibles. J’interviens particulièrement sur les enjeux sociaux et économiques auxquels les jeunes et les femmes du continent font face. De nombreuses initiatives ont vu le jour au cours des 3 dernières années sous l’impulsion du CPA, telles que la Saison Afrique 2020, les initiatives de soutien aux entrepreneurs africains, et le récent tour de France de l’entreprenariat de la diversité et des diasporas. La relation entre la France et le continent est variable selon les régions, mais très lourde d’une histoire particulièrement douloureuse. On ne peut pas ignorer le passé, mais il nous faut regarder de l’avant. La relation entre la France et les pays d’Afrique relève de la responsabilité de toutes les parties prenantes, et ma conviction est que le développement de l’Afrique doit être mené par les Africains, avec le soutien du reste du monde.

Cette édition est une spéciale Afrique Centrale, que représente le Tchad pour vous ? Y avez-vous des projets à termes ?
Le Tchad est mon pays, la terre de mes ancêtres. J’y suis profondément attachée et ai pour projet d’y construire une petite « case » dans les prochaines années, dans le village de Doba, où est né mon père. Je suis riche de cet héritage et y puise bon nombre des valeurs qui me guident. J’ai aussi le privilège d’y travailler, dans le cadre de mon rôle à la BAD, étant donné que notre mission est panafricaine et s’étend à travers les 54 pays. Nous avons récemment approuvé un projet dont je suis très fière, qui permettra d’améliorer l’accès à l’éducation secondaire pour 5000 filles, de former 2200 enseignants, et de dispenser des programmes d’alphabétisation à plus de 7500 femmes. Le projet a aussi pour objectif de sensibiliser les populations sur l’importance de la scolarisation des filles, de la réduction des mariages et grossesses précoces, et des violences basées sur le genre. Au-delà des frontières nationales, j’ai les mêmes souhaits pour tous les pays d’Afrique et du monde : un monde où l’accès à l’opportunité est une réalité, quel que soit le continent ou le pays dans lequel on est né.

Si je vous dis le mot « ROOTS », cela vous évoque quoi ?
Cela m’évoque l’un des trois piliers majeurs qui nous guident le temps de notre passage sur terre. Dans la mesure du possible, savoir d’où on vient, qui on est, et où on va. Tout en s’armant de bienveillance envers soi-même, car pour tout le monde, c’est un « work in progress » !