ELIZABETH TCHOUNGUI : Directrice RSE de groupe Orange. Femme de culture & d’engagement

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Tant que ce n’est pas un contrôle au faciès, tout va bien (rires). Elisabeth Tchoungui, je suis Franco-Camerounaise, née aux Etats-Unis, ayant grandi au Cameroun, en Belgique et en Italie. Je suis actuellement Directrice Exécutive au sein groupe Orange, en charge de la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise. Je suis également Présidente de Capital Fee, une association de mentorat fondée par Orange et qui met en contact des marraines salariées de l’entreprise avec des collégiennes et des lycéennes dans les quartiers prioritaires de la ville mais aussi en milieu rural. Je suis aussi Présidente de la fondation scientifique du groupe Orange. Et puis, la culture n’étant jamais très loin, je suis fraîchement administratrice du Théâtre du Châtelet.

Comment fait-on pour jongler entre toutes ces activités alors que les journées ne font que 24 heures et les semaines seulement 7 jours ? Et pourquoi avoir basculé du métier de journaliste à la direction dans un grand groupe ?
Mon moteur est la curiosité, la passion et l’action. Si j’ai rejoint le groupe Orange, après 20 ans de carrière dans les médias, c’est parce que cette précédente carrière m’a permis de faire bouger les lignes, d’éveiller des consciences sur des sujets qui m’ont toujours portés : l’égalité femmes-hommes et les sujets environnementaux. J’ai d’ailleurs été administratrice d’Action contre la Faim et je voyais bien comment, d’années en années, nos bénéficiaires étaient de plus en plus des réfugiés climatiques. J’ai également toujours agi sur un autre sujet qui me tenait à coeur, à savoir changer les représentations en France, dans les médias, de l’Afrique. C’est le continent où tout se passe, le plus excitant, celui du présent et du futur et, quand j’ai été rédactrice en chef dans les services culture, j’ai essayé au maximum de mettre en avant les artistes du continent, toute discipline confondue. Quand j’étais chez TV5 Monde, j’étais très souvent sur le terrain pour de grands rendez-vous économiques. J’ai essayé de toujours mettre l’Afrique en avant et de façon positive dans les différents médias où je suis passée. Enfin, je me suis énormément engagée sur le traitement des personnes en situation de handicap et sur l’autisme, notamment. Au bout d’un moment, j’ai voulu basculer de l’éveil des consciences à l’action. Et, selon moi, les grands groupes internationaux comme Orange ont une capacité d’actions à impact positif extrêmement forte sur les sujets qui me tiennent à coeur : l’environnement et la réduction des inégalités sociales.

Quel est votre agenda d’actions à destination du continent ?
J’ai la charge de rendre réels les engagements d’Orange, en matière de responsabilités sociétales, par des actions concrètes. C’est quelque chose qui est inscrit au coeur du plan stratégique du groupe. Le premier engagement est un effort auquel nous devons tous contribuer car nous vivons tous sur la même planète : La lutte contre le réchauffement climatique. Nous nous sommes engagés à être net zéro carbone en 2040. Cela passe par beaucoup de leviers. En ce qui concerne le continent, nous nous battons pour l’accès aux énergies renouvelables. En Afrique, nous sommes l’entreprise qui déploie le plus de panneaux solaires pour faire tourner les réseaux. Sur la réduction de l’empreinte carbonne, l’enjeu est de solariser au maximum et continuer de déployer du réseau. Nous sommes là pour soutenir la croissance économique et, pour se développer, le réseau est aussi vital que l’eau et l’électricité.
J’aime beaucoup la théorie du Donut de l’économiste britannique Kate Raworth. Elle nous dit que, aujourd’hui, les organisations doivent s’inscrire en-dessous d’un plafond environnemental et au-dessus d’un plancher social. Pour moi, cela résume parfaitement l’ambition d’Orange. Et la démonstration de cette ambition est incarnée par Orange Energie.
Il s’agit d’une offre de kits solaires que l’on fournit et qui a toute son importance avec les enjeux d’électrification que le continent connait. Par exemple, un pays comme la RDC n’est électrifié qu’à 13%. Nous proposons des kits solaires qui permettent de faire vos branchements (téléphone, etc) avec un mécanisme de paiement mensuel permettant aux petits revenus de payer au AS-YOU-GO, c’est à dire qu’on ne paye que ce que l’on consomme. Vous payez votre facture via Orange Money, tout cela est monitoré, et puis vous y greffez des offres de services qui permettent de démarrer des activités génératrices de revenus.
Par exemple, nous avons commencé un partenariat avec la société Cool Box – des congélateurs solaires – ce qui aide concrètement les petits commerçants avec les problématiques liées à la chaîne du froid.

“ Les grands groupes comme Orange ont une capacité d’actions à impact positif extrêmement forte sur les sujets qui me tiennent à coeur : l’environnement et la réduction des inégalités sociales. ”

Quelles sont vos zones d’actions privilégiées ?
En Afrique et au Moyen-Orient, Orange est présent en tant qu’opérateur dans 18 pays, contre seulement 7 pour l’Europe. Finalement, Orange est un opérateur à l’ADN très africain et figurez-vous que le pays où nous comptons le plus d’abonnés est l’Egypte, et non la France comme on aurait pu le penser.

Êtes-vous accompagnée par les différents états pour mener à bien vos différentes actions ?
Face aux grands défis du monde que sont la lutte contre le réchauffement climatique et la réduction des inégalités sociales, on ne peut pas réussir tout seul. Nous travaillons donc toujours dans un écosystème, avec une logique de partenariat public-privé. Je vais vous donner un exemple. Nous avons un programme qui s’appelle « les maisons Orange », nous y formons les femmes à des outils de base liés à la connectivité, la bonne prise en main d’un téléphone… En Afrique, les femmes sont moins nombreuses à posséder des téléphones. Imaginez une commerçante, en milieu rural, qui a un téléphone et qui peut effectuer ses transactions via Orange Money, cela lui facilitera automatiquement la vie. En résumé, les maisons digitales Orange permettent une prise en main des outils numériques. Ce sont des programmes où nous formons les femmes en gestion de projets afin de mieux gérer le petit commerce qu’elles vont monter, etc. Et, autre exemple, une telle initiative a été montée au Cameroun, en partenariat avec le ministère de la promotion féminine. Pour ce genre d’actions, nous avons besoin d’être main dans la main avec les gouvernants.
Nous avons aussi un programme où nous travaillons main dans la main avec les ministères de l’éducation, ce sont les écoles numériques de la fondation Orange. Le concept ? Nous équipons les écoles de tablettes avec du contenu éducatif, que l’on construit avec le ministère de l’éducation nationale. Les défis sont donc énormes et nous ne pourrions y arriver sans une certaine contribution des états.

COMEX ORANGE 14/09/2020 © Nicolas Gouhier

COMEX ORANGE
14/09/2020
© Nicolas Gouhier

Vous avez récemment été décorée à l’Hôtel de Ville par madame la maire Anne Hidalgo. Que cela représente-t-il pour vous ?
C’est une distinction qui m’a particulièrement touchée pour deux raisons.
La première tient en son sens : L’Ordre du Mérite. Cette distinction fait écho à mes modèles, mes parents qui sont tous les deux des purs produits de la méritocratie républicaine. Mon père, Camerounais et fils de planteur de cacao, était à l’école des Missionnaires et a été repéré. Il a bénéficié d’une bourse pour poursuivre ses études en France, en 5ème, au lycée Montaigne. Il a enchainé avec Sciences Po, puis l’ENA. Il est sorti de l’ENA l’année où le Cameroun est devenu
indépendant. On lui a proposé d’être sous-Préfet en Corrèze mais il a fait le choix de participer à la construction de son pays natal. Sans l’école de la République, il n’aurait jamais eu ce parcours. Quant à ma mère, même chose, issue du Tarn et fille d’agriculteur. Elle est allée en pension, puis a obtenu une bourse qui lui a permis d’aller à l’école Normal, à Paris. Années pendant lesquelles elle a rencontré mon père. Ils m’ont transmis des valeurs méritocratiques : le travail et la persévérance.
Cette distinction m’a également touchée car j’y ai vu une récompense collective de l’apport de la diaspora à la fois dans le rayonnement de la France mais aussi la diaspora vue comme un atout pour notre pays pour redéfinir le partenariat avec le continent africain.

“ Le Cameroun, que l’on surnomme « l’Afrique en miniature », représente tout le potentiel de croissance de ce continent multiple. ”

Originaire du Cameroun, que cela représente-t-il ?
Je suis convaincue que vous avez le plus beau titre de magazine qui puisse exister. Je suis profondément convaincue que ce sont nos racines qui nous portent vers le ciel. C’est important de savoir d’où on vient et de cultiver ce socle. En l’occurrence, mes racines sont au Cameroun et aussi dans le Tarn, car les deux sont pour moi très importants. Dans le monde d’aujourd’hui, nous pouvons avoir des identités hybrides et il est primordial de les assumer. Au Cameroun, dès que tu réussis ou que tu as un peu d’argent, il faut que tu ailles construire ta propre case. Et c’est ce que j’ai fait, je suis allée construire ma maison à Kribi, en bord de mer. C’est l’endroit où je vais me ressourcer et j’ai la chance de pouvoir y emmener mes enfants au moins 2 fois par an. Cette maison est dans un petit village de pêcheurs, ils retrouvent leurs copains enfants de pêcheurs, et c’est très important pour notre équilibre.

Quel trait de caractère avez-vous hérité du Cameroun ?
J’ai parfois la tête dure (rires). Mes parents disent « la détermination » mais j’emploie souvent un néologisme : « la tétutesse ». Plus sérieusement, je pense que j’ai retiré de mes racines et ma double culture une grande capacité d’adaptation. Je me sens chez moi à peu près partout et à l’aise dans tous les milieux.
Le Cameroun, que l’on surnomme « l’Afrique en miniature », représente tout le potentiel de croissance de ce continent multiple. Je pense à la créativité des jeunes et des femmes. Il ne faut pas oublier que l’Afrique est le continent où l’on retrouve le plus d’entreprenariat féminin. 25% de créateurs d’entreprises en Afrique sont des femmes, contrairement à 10-12% en Europe ou aux États-Unis. Je me nourris donc de tous ces paramètres et de toutes mes influences pour alimenter ma vision stratégique.

Si vous aviez un message direct à direction de la diaspora qui va vous lire ?
Je suis convaincue que nous avons beaucoup d’atouts. Dans un monde de plus en plus incertain, faisons de cette hybridation que nous avons en nous – de facto – un atout. Face aux difficultés, ne nous enfermons pas dans quelque chose de victimaire car ce n’est pas constructif. Au contraire, allons plutôt puiser dans la force des identités multiples les capacités que nous avons tous pour rayonner dans cette société et faire rayonner ce pays.

Si je vous dis « Roots », vous me répondez ?
De façon spontanée, je pense à la série Racines, je pense à Kunta Kinte. Je l’ai découverte quand je passais mes vacances chez ma grand-mère dans le Tarn. Je me souviens d’avoir vu cette série et c’était la première fois que je voyais une oeuvre parlant de cette histoire de la négritude. Je me souviens d’avoir été très marquée par cette découverte.