FIF TOBOSSI : La success story BOOSKA-P

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Fif Tobossy, j’ai 40 ans. Originaire du Bénin, je suis né et j’ai grandi à Evry-Courconnes. Je suis marié et j’ai deux enfants. J’ai cofondé le média Booska-P.com, je suis journaliste, producteur audiovisuel et entrepreneur.

Quelle est la genèse de Booska-P ?
Booska-P a plus de 20 ans alors je vais te faire la version courte. À la base, je suis un dingue de rap. Tout part de la volonté de mettre en avant des artistes que j’aimais beaucoup et qui, selon, n’avaient pas assez de lumière sur eux. C’est parti de cette simple frustration. Dans mon quartier, il y avait le rappeur Ol’Kainry qui est également Béninois et que je trouvais très fort. Même constat. J’ai arrêté l’école, en 2004, et je l’ai accompagné sur la promotion de son album « les Chemins de la Dignité ».
Passionné de vidéo et de photo, il m’a pris sous son aile et m’a permis d’être à ses côtés durant toute cette étape. De là, il m’a introduit auprès d’énormément de personnes dans le monde du rap et de la radio. Quant au nom Booska-P, cela vient du personnage principal dans le film La Cité de Dieu. Dans cette fiction brésilienne, tu vois Booska-P en permanence avec son appareil photo, ce qui était un peu mon cas, et tout le monde au quartier a commencé à me surnommer ainsi. Le nom du média est donc parti d’une vanne.

Nombreux sont les fans de rap qui ont tenté de lancer plusieurs formes de médias autour de cet art. Qu’est-ce qui explique que vous ayez pu vous démarquer de l’offre déjà existante ?
C’est assez simple, ce qui a fait la notoriété de Booska-P réside dans notre slogan : Toujours à la recherche de l’inédit. Quand on a démarré, il n’y avait aucun site qui proposait un contenu similaire, à savoir : la vidéo. On se remet dans le contexte, on est avant YouTube, DailyMotion, etc. Tous les sites fonctionnaient sur la base d’articles écrits. Du coup, sur Booska-P, nous avons ramené la vidéo, il y avait zéro écrit. On avait 4 sections : clips, sons vidéos, forums.
Tu as juste à cliquer, tu t’assois et tu regardes ton contenu.
2-3 ans après, Tonton Marcel est apparu avec ses vidéos. Il y a eu l’avènement d’internet avec l’ADSL, la rapidité de connexion… Puis, YouTube et DailyMotion sont arrivés. Avec le player YouTube, les artistes avaient désormais plus de facilité à produire du contenu et le poster sur leur chaine. Dans notre cas, pendant 15 ans, on a tenu à garder notre player. Notre 3ème associé, Alexis, est un développeur de fou, un geek par nature et il a développé une solution pour que nous ayons notre propre player, à notre image, et avec toutes les solutions qu’il y a autour par rapport aux statistiques et autres outils. Forts de cette technologie, nous sommes restés focus sur cette idée qui a fait le succès de Booska-P : La recherche de l’inédit. Il fallait qu’on soit toujours présents sur le terrain, en train de filmer les artistes, à l’affût de ce qui n’était pas visible ailleurs…

Tu as assisté à l’éclosion de plusieurs artistes depuis le début embryonnaire de leur carrière. Quelle est la plus belle révélation que tu as vu éclore et que vous avez accompagné ?
La plus belle histoire de Booska-P est et restera La Sexion d’Assaut. À la base, je suis un fan de rap. J’ai toujours voulais filmer mes héros et côtoyer ces artistes que j’avais écouté toute ma jeunesse : Mafia K1fry, Secteur Ä… Là, je me retrouve avec une bande de mecs, Sexion d’Assaut, ils ne sont personne, ils n’ont pas sorti un CD. Au départ, je n’étais pas super fan de ce qu’ils faisaient. Puis, à force de persévérance, de m’envoyer des morceaux, j’ai commencé à apprécier l’humain. Ils se baladaient toujours en bande, toujours à 10, mais ils étaient bonne vibe et ultra polis. Ils étaient nombreux mais il n’y en avait qu’un qui parlait et je trouvais leur délire assez marrant. Avec mon équipe, petit à petit, on a commencé à apprécier les sons qu’ils nous envoyaient, et on leur a dit : « Ok let’s go, on vous suit dans l’aventure ! ». L’autre ambition que j’avais avec Booska-P était d’être là pendant la création d’un tube qui va rester dans l’histoire. J’ai eu la chance d’assister à des centaines de séances studios avec des artistes et, avec Sexion d’Assaut, je peux dire que j’ai vécu en « live » la création de classiques du hip-hop français. Par exemple, lorsqu’ils enregistrent le morceau « Avant qu’elle parte », je suis présent en studio avec eux. Aujourd’hui, Gims est l’une des plus grandes stars françaises. Je peux dire que je l’ai vu débuter, au plus bas, j’ai vu sa progression. Prendre des gens d’en bas et les accompagner jusqu’au sommet, cela fait partie de notre ADN. Et Sexion d’Assaut est de loin le plus bel exemple de réussite que j’ai pu modestement accompagner. Et ce que j’apprécie avec eux, c’est qu’ils sont reconnaissants alors que parfois tu aides des gens qui, lorsqu’ils atteignent les sommets, deviennent amnésiques.

_S4A0465Considères-tu avoir développé un flair pour savoir ce qui va marcher dans l’industrie du hip-hop ?
Aujourd’hui, je pense l’avoir un peu perdu. Pourquoi ? Parce que tout se ressemble, il n’y a pas d’artistes qui se démarquent, tout et n’importe quoi peut péter. Il suffit d’un buzz sur TikTok pour qu’un nouvel artiste explose alors que parfois ce n’est pas spécialement fou. À notre époque, on pouvait déceler, sentir qu’un artiste allait péter. Un mec comme Gims, quand tu écoutais ce qu’il rappait, la plume de fou qu’il avait, tu étais quasi certain que ça allait finir par payer. Je te raconte une anecdote. Comme je te disais, à la base je n’étais pas trop fan de ce qu’ils faisaient. Puis, un jour, Gims m’envoie le morceau « À 30% ». J’ai pris une claque, il était trop fort, c’était une évidence qu’il allait tout arracher. Aujourd’hui, c’est trop aléatoire, il y a trop de paramètres. Alors, bien sûr, il existe quelques rares exceptions, comme par exemple Tiakola, qui dès le groupe 4Keuss dégageait une aura particulière, tu pouvais sentir qu’il était destiné à briller.
Ce n’est pas pour faire le vieux nostalgique, mais j’écoute beaucoup moins de hip-hop. J’ai 40 ans, j’aspire à d’autres choses même si je reste toujours branché. Alors je peux dire sans gêne que mon flair n’est plus aussi aiguisé.

Revenons sur les Flammes, la cérémonie de récompenses du Hip-Hop créée par Booska-P…
Je ne m’en suis pas du tout occupé. En tant que fan de rap, et comme toute personne évoluant dans cet univers, nous avons tous rêvé un jour de faire une cérémonie de récompenses. Auparavant, il n’y avait eu que deux initiatives en France. Il y a eu les Hip-Hop Awards, faits par Angelo de Live Nation. C’était diffusé sur Europe 2 Tv qui est devenu Virgin Tv. C’était la première cérémonie rap et ça a duré 2 ans. Plus tard, il y a eu les Trace Tv Awards, qui ont également fait 2 éditions, avant d’arrêter. Avec Booska-P, à l’époque, on voulait lancer la cérémonie des Booska d’Or. Le premier qui atteignait 100 000 vues sur son clip, on lui remettait un Booska d’or. Donc, très tôt, nous avons eu cette envie de récompenser les artistes par rapport à leurs chiffres. Puis, on a pensé à en faire une cérémonie, mais c’est un boulot titanesque et ce n’est pas pour rien qu’il y avait eu aussi peu tentatives par le passé. Jusqu’à ce qu’arrive l’opportunité des Flammes. Cela partait d’une frustration, de se dire qu’aux Etats-Unis ils ont leurs propres shows, tandis que nous, en France, les Victoires de la Musique ne nous respectent pas. C’est ainsi que nos équipes se sont enclenchées mais, pour ma part, j’ai suivi le dossier de très loin. Je n’étais pas impliqué au quotidien dans la création de cette cérémonie, ce sont nos équipes de Booska-P et celles de Yard qui ont été au four et au moulin. C’était une belle chose que cette cérémonie voit le jour. Cela a été un succès en termes d’audience et même au niveau des retours que nous avons eu. Évidemment, nous sommes en France, donc tu auras toujours des critiques, mais aucune première cérémonie n’a jamais été parfaite. Si tu regardes la première édition du Festival de Cannes, des BET Awards ou des Oscars, ça devait forcément être un peu le bordel (rires). Donc là, pour une première, j’estime que nous n’avions pas à rougir de la cérémonie des Flammes. Le défi est maintenant de pérenniser l’événement et que les Flammes soient là dans les 15-20 prochaines années.

Tu sembles être un peu plus détaché de Booska-P car tu as développé de nombreuses activités en dehors du média. Peux-tu nous parler de cette diversification ?
J’ai monté ma boîte de production, en 2018, parce que j’avais toujours cette volonté de raconter des histoires liées à mon environnement. Produire des documentaires, contribuer au patrimoine culturel, éduquer les gens en leur montrant ce qui a pu exister, cela s’inscrit toujours dans mon ADN et dans cette envie qui m’avait poussé à créer Booska-P. J’ai sorti un premier documentaire officiel pour la télé, en Octobre 2022, sur l’artiste Imen Es. Auparavant, j’avais produit des reportages sur YouTube, en collaboration avec Radio France et Moov’ : « Les Femmes du Rap », une série de 5 épisodes où je présentais des personnalités féminines de l’industrie de la musique. J’en ai fait 2 saisons.
Actuellement, je finlise une série documentaire sur le rap français pour Paramount+ et MTV. La série s’appelle
« 20 piges » et je dresse la comparaison entre deux âges d’or du rap français : 95 à 2000 et 2015 à 2020. Ce sont les deux grosses périodes où le rap a vraiment pété. Je suis très fier de ce projet car, en tant que passionné, c’est un aboutissement. Je repense à quand j’ai commencé dans ma petite chambre avec une connexion internet sans haut débit, pour finir par monter le plus grand média rap de France et produire un documentaire sur l’évolution du hip-hop. Quelque part, pour moi, la boucle est bouclée.
Un deuxième défi qui me tient à cœur et auquel je n’aurais jamais pu rêver : Je suis ambassadeur pour les Jeux Olympiques 2024. Et j’ai un gros projet qui s’appelle « Écris ton hymne ». J’invite les Français à écrire leur propre hymne des JO et il se peut que cela devienne un programme scolaire. L’idée serait que le concept soit proposé à toutes les écoles de France pour que les élèves puissent écrire leur hymne olympique.

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Édition spéciale « Black Excellence ». Mythe ou réalité, en France ?
Je comprends le concept. On est tous sur les réseaux sociaux et quand on voit les Garden Parties qui réunissent Jay-Z, Nas, toute la black excellence américaine, ça nous fait rêver. Mais en France, je pense qu’on ne peut pas le faire. C’est mort (rires). On ne va pas mettre tout le monde dans le même sac, évidemment qu’il y a plein de belles réussites individuelles. Mais moi je parle de force collective, d’un crew de Noirs excellents comme aux États-Unis. À titre individuel, oui. Mais à titre collectif, je suis très sceptique. Pour moi, en France, cela reste un mythe. L’Afrique est un continent large et sa diaspora ne partage pas les mêmes codes. Les Noirs de France n’ont pas tous la même religion, les mêmes coutumes, les mêmes façons d’appréhender le business. Alors j’ai du mal à imaginer une unité émerger de toutes ces différences. Selon moi, la seule solution est de commencer à l’échelle de son pays d’origine. Que les Camerounais se réunissent, que les Béninois se réunissent… mais dire que les Congolais et les Sénégalais peuvent s’asseoir autour de projets communs, j’ai sincèrement du mal à y croire. Car on ne partage tout simplement pas les mêmes visions.

Originaire du Bénin, cela représente quoi ?
Le Bénin, j’y vais depuis que je suis petit car nos parents ont tenu à ce qu’on connaisse notre pays, nos cousins, la famille… Tous les étés, depuis que j’ai 10 ans, j’allais au Bénin. Mais c’était des voyages familiaux, où tu ne prends pas le temps de comprendre le pays. Plus jeune, je ne me projetais pas et ne m’imaginais pas vivre en Afrique. Depuis moins de 10 ans, j’ai cette envie de m’investir au Bénin qui a commencé à émerger, mais pour faire des projets il faut connaître et avoir les bons appuis. Dernièrement, j’ai rencontré ceux que j’appelle mes parrains : Jamal et Ian Mahinmi. Tout d’abord Jamal, par le biais d’un ami Malien qui s’appelle Samba. C’était en décembre 2022. Et, en mars 2023, Jamal me fait rencontrer Ian Mahinmi, le joueur de NBA d’origine béninoise. Avec Jamal, le feeling a été immédiat. Lui fait énormément d’aller-retours au Bénin, au moins 1 fois par mois, où il fait fabriquer sa marque de vêtement. Avec Ian, même chose, la connexion a été instantanée. Et eux deux, Ian et Jamal, ont passé leur temps à me parler du Bénin, comment ça se passe, comment les choses ont évolué, la politique… Des choses que je ne suivais que de très loin. Ils sont de ma génération et ils me parlent avec des mots qui captent mon attention. Ian, joueur de NBA qui vit aux Etats-Unis et voyage partout dans le monde, quand tu l’écoutes te parler du Bénin avec amour et qu’il t’explique toutes les opportunités d’affaires sur place ainsi que le bien-être que la vie locale lui procure, tu es obligé de l’écouter. Il a monté une fondation, il est sur énormément de projets. Pareil pour Jamal, il a monté son atelier de confection, il ouvre des business. Ils m’ont bien briefé sur le pays. Lorsque j’y suis allé cet été, pour 1 mois, j’ai pris une claque ! Les infrastructures, tout ce qui est mis en place pour le tourisme, la valorisation de la culture… Je me suis rendu compte qu’il y avait tant de choses à faire. Le Bénin possède une histoire de fou malade, méconnue du grand public. Tout cela m’a donné envie de m’investir à mon tour. Après ce mois d’été, passé avec ma femme et mes enfants, je suis retourné au Bénin. Au moment où je fais cette interview (début novembre 2023), je reviens de 6 jours à Cotonou. J’y vais en tant qu’observateur. Je ne vais pas inventer l’eau chaude, il y a des gens qui ont fait des choses avant moi, j’arrive en toute humilité et je mûris ma réflexion, avant de passer à l’action.

Si je te dis le mot « Roots », cela t’évoque quoi ?
Je pense à quelque chose de « street », de « freestyle », mais dans le bon sens du terme. On s’organise comme on peut mais on fait les choses.