DANIELE SASSOU-NGUESSO : Femme panafricaine, lobbyiste & entrepreneuse sociale

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je suis une femme panafricaine, fière de ses origines, de son parcours et de ses combats.
Je suis mariée depuis 2007 et mère de 4 enfants.
Je suis Gabonaise, née au Sénégal en 1976.
Après avoir obtenu un baccalauréat scientifique à l’âge de 17 ans, j’ai suivi un premier cycle d’études médicales, probablement inspirée par mon histoire familiale, avec un père docteur en médecine et une mère docteure en pharmacie ! Puis, j’ai décidé de me spécialiser dans l’optique et la lunetterie, un secteur médical (à cette époque) mal appréhendé en termes de diagnostics, de soins et d’équipement de vision en Afrique. Je suis diplômée de l’École Supérieure des Opticiens de Paris.
Après une première expérience réussie chez Grand Optical à Paris, j’ai décidé de m’installer en Afrique à mon propre compte. Tout en construisant une grande partie de mes activités entrepreneuriales au Congo Brazzaville, au Gabon et en RDC.
J’ai ouvert mon premier magasin d’optique, en 2003, à Libreville et, deux ans plus tard, celui de Franceville a vu le jour. Aujourd’hui, mes magasins, sous ma marque « Optical » sont également situés à Brazzaville et Pointe-Noire en République du Congo, et à Kinshasa. En parallèle, j’ai ouvert à Brazzaville la Clinique Médicale Optique (CMO), dédiée à l’origine à l’ophtalmologie. Aujourd’hui, la CMO offre une dizaine de spécialités parmi lesquelles la pédiatrie, l’orthophonie, la cardiologie, la gastro-entérologie et l’ORL notamment. En parallèle de mes activités de chef d’entreprise, j’organise depuis 2008 des actions en faveur des orphelins du Congo via mon association Le Petit Samaritain. J’ai également créé en mars 2016 le Mouvement des Femmes Actives du Congo (MFAC), qui a réuni 8000 femmes à l’occasion de conférences-débats qui ont eu lieu dans 7 villes du Congo. Le résultat de cette formidable mobilisation a été la rédaction d’un « Livre blanc pour l’amélioration de la condition de la femme congolaise », qui a été remis au Président Denis Sassou-Nguesso, à l’occasion de l’élection présidentielle de 2016.
En 2015, j’ai créé la fondation Sounga qui œuvre à l’amélioration des pratiques du Genre en République du Congo, et au-delà. Sounga a déployé divers projets à impact, dont l’incubateur d’entrepreneuriat féminin Sounga Nga, le premier du « Genre » en Afrique Centrale !
L’expérience accumulée pendant ces presque 10 ans d’activités de la fondation nous a permis de proposer d’autres projets, pédagogiques et d’accompagnement, notamment l’Académie du Leadership Féminin, qui depuis 2019 a réuni plusieurs centaines de femmes sur Brazzaville, Pointe-Noire et Kinshasa, venues se former avec des experts et des coachs reconnus aux rudiments de l’entrepreneuriat et du Leadership !
En 2017, j’ai obtenu mon master 2 en politique et management du développement à Sciences Po Paris.
En 2022, j’ai rejoint le groupe Arise IIP (leader en Afrique dans l’aménagement, et le développement de zones économiques spéciales).
Sur le plan institutionnel, je viens d’être élue très récemment à la tête de AWLN CONGO, le réseau des femmes africaines leaders soutenu par la Commission de l’Union Africaine et les Nations Unies. Vous voyez, notre combat porte haut et fort ses valeurs, au profit de nos femmes africaines ; je me reconnais pleinement dans cette identité de femme africaine, lobbyiste, entrepreneuse sociale !

Quel est le champ d’actions d’Arise Congo…
ARISE Inegrated Industrial Platforms (ARISE IIP) est un développeur et opérateur d’écosystèmes industriels de classe mondiale en Afrique, engagé dans la transformation économique du continent.
Spécialisé dans l’identification des opportunités sur les chaînes de valeur commerciales et industrielles à travers l’Afrique, ARISE IIP conçoit, finance, construit et opère les infrastructures nécessaires, en jouant un rôle de catalyseur tout en soutenant les pays dans leur transition vers une économie industrielle.
ARISE IIP a signé en juin 2022 un protocole d’entente avec les autorités de République du Congo afin de développer trois zones industrielles, à Pointe-Noire, oyo-ollombo et Ouésso
Cet accord contribuera à l’industrialisation des secteurs stratégiques de la République du Congo.

“ Je sens que les lignes ont bougé. De plus en plus d’entrepreneuses à succès sont médiatisées à l’échelle du continent. ”

Et en quoi comptez-vous impacter la sous-région ?
Ces dernières années, ARISE IIP a beaucoup développé ses activités en Afrique, avec une présence dans actuellement neuf pays africains, y compris au Bénin (GDIZ), au Togo (PIA) et au Gabon (GSEZ), avec 12 zones industrielles intégrées. Pour vous illustrer le poids économique concret d’ARISE IIP dans notre région, l’exemple du Gabon est saisissant. La GSEZ (Zone économique spéciale du Gabon) créée et gérée par ARISE IIP, est considérée comme un modèle de développement durable et inclusif par les experts, les institutionnels et les acteurs économiques spécialisés sur l’Afrique.
Positionnée sur les activités de transformation de bois, à l’origine de 16 000 créations d’emploi, et qui a attiré 12 000 investisseurs, la GSEZ a permis au Gabon de passer de simple exportateur de grumes au rang de 2e producteur et exportateur mondial de placages, et le premier en Afrique ! La GSEZ a été classée meilleure zone économique spéciale du monde dans le secteur du bois (classement 2020 du FDI). Voilà, c’est ça notre impact pour la sous-région ! Et ce n’est que le début !

Quels sont vos objectifs de développement à court et moyen termes ?
ARISE IIP va investir dans le développement de la zone industrielle de Pointe-Noire sur une superficie de 2700 hectares, projet macro-économique d’envergure. Le projet est fondé sur un partenariat public-privé entre ARISE IIP et la République du Congo.
La plateforme industrielle aura pour but de promouvoir et d’attirer les investissements multisectoriels et commerciaux dans le pays, et de développer les industries de transformation du bois et des produits agroalimentaires de première, deuxième ou troisième transformation. Le protocole d’entente comprend également le développement de la zone industrielle d’Ouésso, ainsi que celle de Oyo-Ollombo. A moyen terme, une fois opérationnelle, la Zone PIC-Pointe-Noire devrait contribuer à la création de plus de 8 000 emplois au cours de la phase d’exécution. Plus largement, PIC-Pointe-Noire vise à développer un écosystème industriel autour de la transformation du bois, du papier et de certains métaux, la production de médicaments et la transformation de produits alimentaires.
Concernant la Zone PIC-Oyo devrait, celle-ci devrait attirer près de 100 millions d’euros d’investissements privés d’ici à fin 2025, tout en créant plus de 1 400 emplois au cours de sa phase de développement. La PIC-Oyo de son côté contribuera à développer la transformation locale du bois et des produits alimentaire.

Vous avez à cœur, depuis plusieurs années, de mettre en valeur l’entrepreneuriat féminin en Afrique. Quel est votre état des lieux de ces 5 – 10 dernières années ? Sentez-vous que les lignes ont bougé ?
Vaste sujet ! Le fond, c’est que la femme doit être indépendante financièrement, pour son propre épanouissement personnel. Dans ce cadre, l’entrepreneuriat est un « outil » qui peut favoriser cette autonomisation de la femme. De nombreuses initiatives ont fleuri ces dernières années dans toute l’Afrique pour aider les femmes à créer leurs propres activités. Et c’est tant mieux car cela aura popularisé l’entrepreneuriat féminin et ses spécificités. Cela aura également mis en évidence quels sont les principaux freins qui pèsent sur la création d’entreprises par nos femmes, qu’ils soient sociétaux et culturels, liés au manque de formation en management ou gestion d’entreprise, ou bien les difficultés d’accès en termes de crédits bancaires ! Et oui, je sens que les lignes ont bougé. De plus en plus d’entrepreneuses à succès sont médiatisées à l’échelle du continent. Les réseaux sociaux ont été une formidable caisse de résonnance, permettant une promotion « entrepreneuriale » à faible coût et à diffusion instantanée !
Néanmoins, il ne faut pas que ce soit l’arbre qui cache la forêt !
En effet, dans cette floraison d’enthousiasme, il y encore de trop nombreux échecs, qui pourraient pour certains être évités. A mon avis, la façon de parvenir à une amélioration collective de l’entrepreneuriat féminin passe par la sensibilisation, la formation et la création d’outils spécifiques d’accompagnement des femmes « entreprenantes ».
C’est la voie que j’ai choisie avec la création de la fondation Sounga, qui sensibilise les femmes qui veulent créer et développer une entreprise, avec l’incubateur Sounga Nga.
Mais toutes les femmes ne souhaitent pas entreprendre, et c’est très louable ! Au sein d’entreprises, d’administrations ou d’ONG, elles peuvent néanmoins se montrer « entreprenantes », c’est-à-dire de faire preuve d’initiatives, d’innovation, de capacité à porter un projet ou d’évoluer à des postes hiérarchiques suprêmes. Tout cela passe par une affirmation de leur potentiel, la démonstration de leur leadership. C’est la vocation même de la formation itinérante proposée par l’Académie du Leadership féminin, dont la prochaine session se tiendra à Libreville. Et avec mon futur « Annuaire de compétences féminines » et sa mise en lumière de la sororité, la boucle est en train de se boucler ! C’est pour cela qu’il faut persister, continuer à sensibiliser, informer, former, écrire des plaidoyers, rencontrer des décideurs ! La tâche est grande, mais les résultats sont encourageants, et ne constituent qu’un premier pas !

“ Partout dans le monde, de nombreuses figures et talents scientifiques et culturels, des dirigeants, économistes ou entrepreneurs d’origine africaine prennent, sans complexe, la place qui leur revient dans la mémoire collective de l’humanité ”

Si vous aviez un message à direction de nos lectrices qui souhaitent entreprendre ou qui rêvent en grand ?
Un seul mot : OSEZ ! Mais pas n’importe comment, donnez-vous un cadre d’actions. Pour cela, voici cinq recommandations pour vos lectrices, tirées de mes observations et mes propres expériences.
Tout d’abord, apprenez à vous connaître vous-mêmes. Vos forces, vos faiblesses. Vos envies, vos projections. Faire de vos faiblesses une force, tester et améliorer votre leadership…
Puis, apprenez à sortir de votre zone de confort, afin de vous tester et progresser dans des environnements difficiles, en croyant en vous en permanence. Afin de vous aider dans cette quête, vous pouvez visualiser vos objectifs. Cela vous permettra de les matérialiser, qu’ils soient plus atteignables, et cela confortera votre confiance en vous. Puis, n’hésitez pas à tout mettre en œuvre pour repousser vos limites, quelles qu’elles soient. C’est par la « mise sous tension » que l’on progresse réellement, ce sont les obstacles qui permettent de franchir les difficultés, pour son projet entrepreneurial, professionnel voire amoureux ! Enfin, il faut savoir donner du temps au temps. Bien faire les choses dans le bon planning, laisser les choses se décanter, mûrir, en gardant en tête qu’il ne faut pas avoir peur de l’échec. Sous réserve qu’il ne soit pas trop destructeur, et donc totalement contre-productif, l’échec permet d’acquérir de l’expérience, et ainsi de faire évoluer positivement ses projets !

L’expression « black excellence », mythe ou réalité ? Que signifie-t-elle à vos yeux ?
Vous savez, il y a de plus en plus voix qui portent le même message : le temps de l’Afrique est arrivé !
Je crois que la « black excellence » ne peut pas se résumer à une pseudo approche historique plus ou moins bien « romancée », ou bien à un hashtag, il faut profiter de ce moment de l’Histoire et avant tout vivre cela comme une prise de conscience.
Partout dans le monde, de nombreuses figures et talents scientifiques et culturels, des dirigeants, économistes ou entrepreneurs d’origine africaine prennent, sans complexe, la place qui leur revient dans la mémoire collective de l’humanité.
Il faut désormais que ce ne soit plus l’apanage de ces élites, que les moins célèbres ou les plus modestes, tous âges et sexes confondus, puissent occuper des lieux et des espaces auxquels leurs ancêtres n’auraient pas eu accès.
Désormais, je suis convaincue que les prochaines générations d’Afro-descendants, entrepreneurs, étudiants, salariés, migrants, non seulement auront comme missions de se construire, de s’instruire et porter haut et fort les valeurs originelles de notre beau continent, mais aussi seront plus armés pour surmonter les blessures sociétales et les diverses injustices auxquelles ils continueront à se confronter, afin de façonner le monde de demain.
Je n’oublie pas les femmes africaines dans cette vision. Ce sont elles qui continueront à porter ce combat, et le gagneront car elles sont tout simplement exceptionnelles !

Originaire d’Afrique Centrale (Gabon & Congo), que représente cette région du monde dans votre cœur ?
C’est ma région de cœur, et d’amour. Celle qui m’anime, pour laquelle je me bats, afin qu’elle progresse, tout particulièrement sur le chemin du combat qui m’émeut, le Genre.
C’est aussi celle qui me permet de me ressourcer, où je reviens très régulièrement pour voir et profiter des miens.
C’est aussi celle où je me suis construite, où j’ai appris l’essentiel de ce que je suis devenue, qui m’a permis d’être qui je suis, avec mes valeurs

Si je vous dis « Roots », cela vous évoque quoi ?
C’est une image duale, presque une fusion de souvenirs !
Tout d’abord familiale, et j’ai presque une photographie sous les yeux, où à peine âgée d’une dizaine d’années, je suis en train de discuter avec ma mère et, à travers cet échange, alimenté par mes tantes également qui s’étaient jointes à nous, je découvre tout ce que l’on attend d’une femme africaine ! Ma vision a évolué avec le temps, mais c’est bien de cet instant que date ma prise de conscience personnelle de notre place, singulière, dans cette société africaine et plus largement dans le monde ! Et en même temps, je songe à Lucie, la plus célèbre des australopithèques avec ses plus de 3 millions d’années, découverte par des archéologues en Éthiopie dans les années 70, au sein de notre continent l’Afrique !
Le doyen de l’humanité est… une doyenne !
Au-delà de la boutade et de la fierté que je ressens quant à être Africaine, les racines, c’est ce qui nous aide à nous construire et nous définir ! Il faut qu’elles soient à la fois solides et propices à notre épanouissement. C’est tout cela que « Roots » évoque pour moi, et tant d’autres choses encore, que chacune de vos lectrices peut également ressentir à la lumière de son propre vécu, parcours ou expériences !