THOMAS LÉVEILLÉ : Fondateur du Village Macé (DreadLuxe / Barber / Studio photo / Pop-Up)

“Dans la rue Macé (75011), nous avons : un salon pour locks, un barbershop, un studio d’enregistrement, un pop-up store & un studio photo.”

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je suis Thomas Léveillé, j’ai 33 ans, je suis d’origine Guadeloupéenne, plus précisément de Marie-Galante, par mon père et Corse par ma mère. Concernant mon activité, je dirais que j’ouvre des entreprises et que je tente de les faire fonctionner (Rires).

Revenons sur ton parcours. On t’avait découvert, en 2016, alors que tu ouvrais ton premier salon de dreadlocks.
En 7 ans, l’évolution a été spectaculaire…

C’est vrai qu’à l’époque ROOTS était venu nous voir chez DreadLuxe dans le 11ème arrondissement, c’était notre premier salon, rue Godefroy de Cavaignac. On a eu un joli succès, à notre échelle, et on a décidé de fermer ce local pour en ouvrir un autre, un peu plus grand. Le succès a encore été au rendez-vous, ce qui nous a donné des perspectives d’évolution intéressantes. 2016, ouverture du 1er salon. 2019, déménagement dans le second salon. On a cartonné jusqu’au Covid. Pendant la pandémie, petit temps de pause et réflexion pour revenir encore plus fort et faire tout ce qu’on avait en tête pour les 5 ans à venir… Là, tout de suite !

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Le Covid, au lieu de te décourager, a été un déclencheur ?
En fait, lorsque j’ai vu le Covid arrivé, je me sus dit qu’il y allait avoir un gros tri parmi les entrepreneurs et que beaucoup allaient disparaître. Les moins vaillants vont tomber et il ne restera de places que pour les plus tenaces. J’avais une petite trésorerie de côté et j’ai pu ne pas me faire engloutir. J’ai fait « All in », c’était quitte ou double. Soit l’idée que j’avais fonctionnait, soit je perdais tout.

Ta 1ère extension a donc été l’ouverture de Studio Barber, un barbershop et studio musique en face de Dreadluxe ?
Tous les business que j’ai faits ont toujours été déclenchés par passion. Au début, pourquoi me suis-je lancé dans les locks ? Parce que je porte moi-même des locks et, étant musicien de base, j’avais un gros réseau dans le monde artistique. Je m’occupe donc, dans un premier temps, de faire des locks aux célébrités. Mon objectif était de convertir toute cette clientèle à mes nouvelles activités. Je suis fils de musicien, mon père était chanteur de zouk et de musique funk créole, il a eu sa petite période de succès dans les années 70. C’est l’héritage qu’il m’a laissé. Je faisais du rap, plutôt contemporain, avec comme nom d’artiste Sango.
Cette activité musicale m’a permis de convertir mes auditeurs en clients et mon réseau en partenaires. C’est ainsi qu’on peut expliquer le succès de Dreadluxe, couplé avec une très bonne prise en charge et la qualité de service. À force de coiffer mes clients dans le salon de locks, je me rends compte qu’on me demande en permanence si je connais un barbershop capable de réaliser la barbe et les contours. J’envoyais donc en permanence mes clients à Strasbourg-Saint-Denis qui était à 3 stations de métro de nous. Je me dis que ça fait quand même 50 fois que j’envoie des clients se faire saboter là-bas, car tu ne sais jamais sur qui tu tombes. 50 clients potentiels qui allaient dépenser entre 20 et 30 euros chacun… Il y avait une boutique à louer, juste en face de mon salon Dreadluxe, je fais mes calculs et là je me dis : « Est-ce que je les porte ou je les laisse dans mon slip ? ». Et nous, on est plus du genre à les porter (rires). Je me dis qu’on est dans le 11ème arrondissement, on a une clientèle déjà en demande, sans compter le passage naturel et le réseau. Je décide alors de créer un concept. Et c’est d’ailleurs là que je suis fort : créer une identité de marque. Quand tu viens dans le Village Macé, tu vois que chaque marque est « brandée » avec soin et que tout a été réfléchi. Pour en revenir au barbershop, je décide de rendre hommage à mon père, qui est très âgé et vit aujourd’hui à Marie-Galante. Je récupère tous les instruments de musique présents dans sa cave et je m’en sers pour la décoration : « Trompette, saxophone, basse, batterie, guitare électrique… » J’accroche tout cela au mur, ça ne coûte rien et ça t’envoie une âme de fou, direct ! Dans ce lieu, j’ai la chance d’avoir un grand sous-sol, ce qui est rare dans Paris et je décide d’en faire un studio d’enregistrement, avec une cabine et une régie. Nous avons créé le 1er barbershop avec un studio sur Paris. Je considère donc ce lieu comme un établissement hybride, un concept store avec double activité et dans lequel tu peux faire du son, du mix, du mastering, de la synchronisation pendant que tes gars se font couper les cheveux en haut. L’un ne dérange pas l’autre et, au contraire, l’un peut aller avec l’autre. On ne fait pas spécialement de pub de ce studio, il n’y a pas de comptes instagram, par exemple. Notre chiffre d’affaire se fait avec le barber, le studio c’est du bonus.

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S’en suit l’ouverture d’un pop-up store…
Après le Covid, on débute des travaux pour le barbeshop. Pendant cette période, il y a un local collé à Dreadluxe qui se libère. C’était une ancienne boutique dans le prêt-à-porter, secteur qui a été particulièrement frappé par le Covid. Ce n’était ni un fond de commerce, ni un droit au bail, mais bien une liquidation. Ayant de bonnes relations avec ma voisine, cette dernière préférait que ce soit moi qui reprenne son ancienne boutique plutôt qu’un autre. Elle pousse donc mon dossier au maximum auprès du liquidateur. Alors que je n’avais plus aucune trésorerie, j’ai tenté un coup de poker énorme. J’y vais au culot et je leur fais une offre ridicule, au bluff. Et ça passe ! C’est ainsi qu’on se retrouve avec un 3ème local dans la même rue, sans l’avoir vraiment fait exprès.
Je n’avais même pas forcément idée de ce que je comptais en faire mais nous sommes des personnes créatives et je ne doutais pas qu’on trouverait. Les deux premiers mois, on a voulu s’en servir comme bureau administratif pour gérer les équipes et les paperasses de nos deux établissements, Dreadluxe et le Studio Barber. Mais l’espace résonnait trop, il y avait trop de hauteur de plafond et c’était une trop belle vitrine pour servir uniquement des bureaux. Le lieu était fait pour être une boutique. Je décide alors d’en faire un pop-up store. Je teste le concept avec une première marque, Ayaovi, sans trop de conviction. Elle explose son chiffre d’affaires et je comprends que le lieu a trouvé son utilité. L’activité commence à battre son plein, j’ai des clients qui viennent de partout, des Coréens, des Allemands, certains vendent des montres, des savons ou produits cosmétiques, des bagages mais beaucoup de prêt-à-porter tout de même, car la plupart des pop-up sont axés mode.

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Et enfin, le dernier spot : Un studio photo
La demande explose et on se retrouve avec de nombreuses dates qui se chevauchent entre elles. Un jour, je fais visiter à des Mexicains qui voulaient le lieu sur 6 mois. Je leur dis qu’il s’agit d’un shop éphémère et que 6 mois est une période bien trop longue. Je leur recommande d’aller voir une agence pour prendre un bail commercial. Sauf que, depuis Covid, plus personne ne veut de bail commercial et s’engager sur 3-6-9 ans. Les gens sont prêts à payer cher, à condition de pouvoir s’en aller quand ils veulent. Du coup, ils tentent de surenchérir pour me faire dégager le commerçant qui était déjà en location de mon espace pop-up. Pour une question de principe, si une personne a réservé et qu’elle a payé son avance, je ne peux pas la dégager, en aucun cas. Impossible. Je dis donc aux Mexicains qu’on a une deuxième boutique pop-up à leur proposer alors que ce n’était pas vrai. Ils me disent « ok », mais seulement si c’est dans la même rue. Je me suis dit que si je trouvais une boutique, quoiqu’il arrive, j’aurais déjà les 6 premiers mois payés. Au fond de ma rue, je tombe sur une nouvelle boutique où est écrit « À louer ». Pendant la visite, j’ai filmé et je leur ai envoyé la vidéo en écrivant : « Voici la boutique » (rires). Ils étaient retournés au Mexique et m’ont dit « C’est validé ». Je leur dis que, pour valider, il faut déjà envoyer 6000 euros. Ils les envoient et, avec cet argent, je prends la boutique (éclats de rires) !
Du coup, 1 an après – car ils ont renouvelé 6 mois supplémentaires – nous voici avec un nouvel espace vide dans la rue Macé. Nous avons décidé d’en faire un studio photo que nous avons tout juste inauguré : Le Studio Macé. Un lieu qui va servir à faire des books, des éditos, des portfolios, des packshots e-commerce, tout ce dont aura besoin une marque ou un artiste. Nous avons 2 photographes résidents, Milo et Shaun (mon associé). Tu peux louer l’espace et venir avec tes équipes mais il y aura toujours un assistant plateau pour tout installer, tout gérer pour toi et faire en sorte que tu passes un bon moment. Finalement, tout cet écosystème, dans la même rue, a été baptisé le Village Macé.

Quelle a été, selon toi, la clé de ta réussite ?
Être très à l’écoute de mes clients, c’est pourquoi je suis un entrepreneur de terrain. Je ne suis pas un homme des bureaux, j’ai besoin d’être au contact des consommateurs, j’ai besoin de les entendre dire « Thomas on a besoin de cela, ce serait bien s’il y avait cela, etc. » En ce moment, on me répète sans arrêt qu’il manque de quoi se restaurer dans la rue. Et on me l’a tellement dit que c’est une alerte rouge qui clignote !

Ton prochain projet sera donc dans la restauration ?
Probablement, mais je sais aussi ne pas me prendre les pieds dans le tapis. Quand on se lance dans la restauration, c’est une toute autre aventure, il faut être bien accroché. La gestion des stocks, les livraisons, les gaspillages, la chaîne du froid, etc. Aujourd’hui, mes business sont plutôt simples à gérer, rien à voir avec la vie de restaurateur. C’est beaucoup de stress et bien souvent la vie de famille y passe. Donc, je prends mon temps, je n’ai que 33 ans, même si je reste très à l’écoute des opportunités qui pourraient se présenter. S’il y a le bon local, le bon timing, le bon porteur de projet à mes côtés, qui sait ?

Et toujours dans la rue Macé ?
Obligatoirement ! Car nous avons déjà une clientèle, l’idée est de faire un effet de concentration. On a une communauté qui est là, qui nous fait confiance et qui suivra le développement de notre écosystème.

Edition “ Black Excellence ”. Mythe ou réalité ?
Pendant longtemps, nous avons eu la réputation d’être des personnes qui aiment la médiocrité donc je n’y ai pas cru et je voyais cela comme un mythe. Mais c’est en train de devenir une réalité. Je sens que nous sommes dans une époque de bascule. Comme s’il y avait une onde commune qui traversait à la fois la diaspora, l’Afrique et les Afro-descendants de la Caraïbe.

Si tu avais un conseil d’entrepreneur ?
Un jour, j’ai rencontré un monsieur très fortuné et je savais que je n’avais que deux minutes pour lui parler. Je lui ai dit : « Donne moi 1 seul conseil pour réussir dans les affaires ? » Il m’a répondu simplement : « Commence dès demain. Je veux que tu te foires le plus vite possible, pour te relever le plus vite possible et tirer les leçons de tes erreurs le plus tôt possible. »

Que représentent la Guadeloupe et le Sénégal ?
Je suis originaire de la Guadeloupe par mon père, mais ma mère Corse s’est remariée avec un Sénégalais qui m’a également éduqué. J’ai une triple culture et je suis d’ailleurs titulaire de la nationalité sénégalaise. J’ai l’ambition d’entreprendere sur ces 3 territoires. Pour moi, la Guadeloupe est l’endroit où je me rebranche. Quand je suis à Paris, je suis en apnée et quand je pars à Marie-Galante, je recharge les batteries. C’est mon paradis. Quant au Sénégal, je construis, j’ai des projets dans l’immobilier mais j’aimerais aussi trouver des projets qui peuvent impacter le peuple et améliorer la vie des gens.

Si je te dis le mot « Roots », cela t’évoque quoi ?
Je pense à la nature. Tout part de la racine. Je connais votre magazine depuis longtemps et la première chose qui m’a interpellée est la puissance de votre nom.