PASSI & BEN-J : Les frères pionniers

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Ben-J : Au lieu de me présenter moi-même, je vais présenter Passi. Monsieur Passi, artiste, chanteur, rappeur, compositeur, producteur, éditeur, manager et père de famille. C’est un des pionniers du rap en France et, de surcroît, d’origine congolaise. Il fait aussi partie des premiers artistes qui ont associé leurs origines africaines à l’art urbain. C’est ce qui fait aussi sa particularité. Voilà, un grand monsieur tout simplement et un grand frère aussi.
Passi : Il y a eu mon premier groupe Ministère A.M.E.R. Après, nous avons créé notre famille musicale appelée Secteur Ä, avec Ben-J, notamment. Nous avons collaboré sur Bisso Na Bisso, mais aussi sur mes productions les Issap Productions, ou encore Première Classe. En ce qui concerne Ben-J, il a débuté à partir du groupe Neg’ Marrons, un des premiers groupes de reggae-ragga français, qui fait partie aussi des premiers groupes de musique urbaine en France. Ils ont su mélanger avec brio culture africaine et culture urbaine. Sur Première Classe, ils ont participé à des featurings qui sont devenus des classiques. Ben-J est souvent avec son acolyte Jacky mais il fait aussi ses affaires en solo. Il y a eu l’album Dancehall C4. Il anime aussi une nouvelle émission africaine qui s’appelle « Afro Dancing » où il reçoit des artistes africains qu’il met sur scène. Ben-J est un grand de la culture urbaine, voire plus loin, de la culture afro-urbaine.

Parlez-nous de la Genèse du Bisso Na Bisso ?
Passi : En 1996, j’étais en train d’enregistrer mon premier album, Les Tentations, et de l’autre côté, il y avait les conflits de Brazzaville. J’ai appelé Ben-J, Ärsenik, d’autres membres du Secteur Ä, la famille aussi, mes cousins, M Passi… Je leur ai dit : « Voilà les conflits qui se passent au Congo, entre Nord et Sud. Nous allons tous nous réunir et dire qu’on est Bisso Na Bisso. Nous sommes tous ensemble. Il n’y a pas de Nord, il n’y a pas de Sud, nous sommes tous Congolais. ». Finalement, le premier album de Bisso a été double Disque d’Or en France, et tellement piraté en Afrique ! Il y en avait dans tous les pays, je pense qu’on a dû vendre 1 million de disques pirates du premier Bisso Na Bisso. Cet album nous a permis de rencontrer Nelson Mandela, d’avoir des prix en Afrique du Sud, de faire des tournées internationales dans toute l’Afrique, au Canada, en Europe. Ce fut magique.
Ben-J : Cela nous a permis de redonner espoir aux Congolais, alors que le pays était en plein conflit Nord-Sud. En France, ça a redonné de la fierté à la diaspora. Les gens avaient besoin de sentir qu’ils n’étaient pas oubliés.

Quel est le morceau qui vous a rendu le plus fier sur Bisso Na Bisso ?
Ben-J : Il y en a beaucoup, mais je dirais Tata Nzambe.
Passi : Tata Nzambe, ça c’est la connection avec Dieu Tout-Puissant. Mais il y aussi le titre Bisso Na Bisso, chanté jusqu’à aujourd’hui encore. Il y a une sorte de magie. Nous avons fait la tournée « L’âge d’Or du rap français » en finissant avec ce titre-là. Nous avons fait des Zénith, des Bercy, en train de jumper encore 20 ans après sur « Bisso na Bisso ». Même quand je fais mes concerts en solo, je fais mon petit bout de Bisso, de même pour Ben-J avec Neg’ Marrons.

Que représente le Congo dans votre vie, dans la personne que vous êtes, dans la construction de votre ADN ?
Passi : Bien sûr, quand nous rentrons au pays, nous allons à Brazzaville parce que nos familles sont là-bas. Mais, d’une certaine manière, tu ne peux pas dissocier le Congo Brazza et le Congo Kinshasa. Tu peux vivre à Brazza, avoir l’influence de Kinshasa et vice versa. Ce sont les mêmes cultures, tu vas y manger le même pondu, parler le même lingala, même si dans des régions il y a d’autres dialectes. Je tiens vraiment à cet héritage du royaume Kongo avec un grand K. De ce fait, nous sommes de Brazzaville mais nous ne pourrons jamais nier notre proximité avec Kinshasa.
Ben-J : Le projet Bisso Na Bisso nous a reconnectés, c’est comme si on nous avait remis un cordon ombilical qui nous liait à notre pays d’origine. Du coup, aujourd’hui, nous pensons Congo, nous vivons Congo, nous y allons deux, trois fois dans l’année. Nous avons énormément de projets à faire là-bas. Nous avons mis des choses en place. Aujourd’hui, nous nous sentons autant Congolais que Français, autant Français que Congolais.

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Si vous aviez un ami étranger qui devait passer 48 heures à Brazzaville, quels sont les endroits que vous lui recommanderiez ?
Passi : Je vais lui dire d’aller manger chez Mami Wata, situé au-dessus du fleuve, et où il pourra apercevoir Kinshasa, de l’autre côté.
Ben-J : Je lui dirai de sortir le soir au Diplomat, une boîte avec du live, des machines à sous… À Brazza, il y a énormément de choses à faire. Nous y mangeons bien. Nous pouvons sortir dans les endroits les plus bling-bling en centre-ville, mais tu as aussi des coins dans les quartiers les plus populaires, où on s’amuse très bien, où il y a de la très bonne musique. Tu peux aller à Bas-Congo, tu peux aller à Wenze, tu peux te balader dans de nombreux quartiers, faire une halte dans de petits restos où on mange de très bons poissons aussi, où tu vas écouter les petites anecdotes des tables voisines. Je pense notamment à « Chez Mère Alice », où je vais tout le temps déguster mon petit bouillon. Tu y trouveras les plats typiques du Congo.

Revenons sur les actualités de chacun. Que nous préparez-vous pour 2018 ?
Passi : Je dirige un label de découverte et production de jeunes artistes qui s’appelle In Fact. Le 17 novembre, je ressors mon tout premier album Les Tentations, qui fête ses 20 ans. Un jour avant, le 16 novembre, je suis en concert à l’Elysée Montmartre et je prévois une dizaine de dates en France pour fêter les 20 ans de cet album. On est également en train de voir pour remonter en scène tous ensemble. La tournée L’âge d’or du rap français a redonné l’envie de faire de la scène en famille. Avec le Secteur Ä, nous avions fait l’Olympia en 98 et nous sommes en train de cogiter à fêter les 20 ans dans cette même salle.
En parallèle, je développe ma marque de fringue Auzärt. Sans oublier mon projet de gamme de bières : Les Tentations, avec différentes déclinaisons (la Ministère, l’Altesse, la Bisso). C’est un projet qui n’est pas évident, qui prend du temps mais qui me tient à cœur.
Ben-J : Je suis en train de préparer une nouvelle galette, un nouveau disque. En fait, je travaille sur deux projets en même temps : je vais sortir une petite mixtape fin février et, ensuite, je vais concocter mon album, entre World musique et des sonorités afro-urbaines, et qui sortira à la fin de l’année 2018. Entre-temps, j’ai une émission télé qui va arriver, la radio aussi, mais tout n’est pas signé donc je n’en dis pas plus. Et enfin, depuis quelques semaines, j’ai commencé à refaire des titres avec mon compère Jacky Brown, pour un prochain Neg’ Marrons !

J’étais en 2015 à Brazzaville pour les Jeux Africains, vous étiez tous les 2 présents. Même chose pour le FIMA à Niamey, où vous étiez tous 2 présents. Quel est le secret de la longévité de vos rapports ?
Passi : Aujourd’hui, nous sommes deux mais, en réalité, nous sommes une grande famille, très liée, où vient se greffer Ärsenik. Là, c’est la version congolaise mais Il ne faut pas oublier nos complices capverdiens Stomy et Jacky. Nous avons des liens en fait avant la musique, depuis l’époque de Sarcelles, Garges, Villiers-le-Bel, les racines du Ministère A.M.E.R, Neg’ Marrons, Ärsenik et plein de nos amis. Nous nous sommes connus avant de prendre le micro. Nous avons des liens de famille, des liens d’amitié que la musique soit là ou pas.
Ben-J : Je pense que Passi a dit l’essentiel mais il faut tout simplement être intègre. Ne pas avoir peur de se dire merde quand on doit se dire les choses. Il ne faut pas hésiter non plus à s’encourager quand on doit le faire. Nous parlons très peu d’amour mais il y a de l’amour entre nous, un amour fraternel.
Passi : Nous sommes toujours là, les uns pour les autres, des décennies après. Si l’un de nous prend son téléphone et a besoin des autres, que ce soit Jacky ou Stomy, les Ärsenik, Pit, Patou, Bouboules… Ils seront là.

Quel message aimeriez-vous transmettre à la jeunesse congolaise ?
Ben-J : Le message que nous pouvons faire passer à la jeunesse congolaise, et africaine au sens large, c’est : « Tenez bon, soyez forts, Dieu est grand. J’espère, et j’en ai l’intime conviction, que le meilleur reste à venir. En tout cas, nous pensons à vous et nous allons tout faire pour essayer, ensemble, de relever ce continent. Nous savons que nous devons nous retrousser les manches et bosser très dur, mais le meilleur reste à venir. »
Passi : En ce qui concerne la musique, je dirais : « À vous de
bosser, car en ce moment, le game est dans l’afro. Maintenant, il y a des systèmes pour exister, où on n’a plus forcément besoin de maisons de disque ou autres. Il y a Internet qui permet d’exploser, par exemple. À nos jeunes, nos petits frères de se servir de la machine et d’exploser au niveau des vues, au niveau de leurs productions. Ils n’ont plus besoin de grosses structures pour exister. Tu as des studios d’enregistrement un peu partout à prix raisonnables, tu as des gars à côté de toi qui ont des caméras et qui savent monter des clips, tu peux poster des choses et prendre le pouvoir très facilement, depuis le pays, sans passer par la case France ». Dorénavant, la culture afro domine le marché, à eux de prendre leur place.

Si je vous dis l’expression « Génération Roots », qu’est-ce que ça vous évoque ?
Passi : Nous sommes totalement dedans ! Racine était d’ailleurs un titre du Bisso Na Bisso. Nous ne pouvons pas évoluer
sans nos racines. En décidant d’appeler votre magazine ROOTS et d’aller chercher aux racines de nos origines, de la mode, de l’art, de la culture, de la gastronomie, je ne peux que vous féliciter pour ce travail. Nous avons tous besoin d’un magazine comme ROOTS et nous espérons qu’encore plus de gens vont lire, plus de gens vont suivre.
Ben-J : Solidarité, panafricanisme, bagarre.

Édition ROOTS n°20 – Spécial Kongo

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