LAURIE PEZERON : Fondatrice de READ! Kidz, le club de lecture des auteurs afros… Pour nos petits !

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je suis une jeune femme noire, même si j’ai 41 ans (rires), d’origine guadeloupéenne. Je me considère comme étant la plus Africaine des Guadeloupéennes et la plus New-yorkaise des Parisiennes !
Je m’appelle Laurie Pezeron et je travaille dans le domaine de la communication depuis plus de 20 ans. Aujourd’hui, je suis responsable de communication à la Ligue de l’Enseignement et je suis la fondatrice d’un club de lecture dédié aux auteurs afros : READ ! petite-et-grande-rosa-parks-manipani-pJe les ai choisis car, en terminant mes études, je me suis rendue compte que je n’en connaissais pas beaucoup. Il fallait que je comble cette lacune, surtout que mon premier livre d’Aimé Césaire m’avait été offert par un Blanc (rires). En 2014, lorsque j’ai appris que j’étais enceinte, il fallait que l’environnement de mon enfant soit doté de livres et, dans ceux-ci, il fallait qu’il puisse s’identifier. Ce club n’est pas, dans un premier temps, un club pour enfants afros uniquement. Mais l’objectif est que, dans la société multiculturelle dans laquelle nous vivons, la lecture d’un livre ne se fasse pas de manière monochrome.

FAMILLES

Quand as-tu crée ce club de lecture pour enfants ?
J’ai crée Club Read en 2016. J’emmenais déjà mon fils à la bibliothèque et on pouvait y trouver un large choix de livres pour enfants. C’est très tôt qu’il faut plonger les enfants dans l’univers de la lecture. En revanche, les livres proposés n’avaient rien à voir avec ce que je voulais lui transmettre. Ça ne parlait pas d’Afrique et, même si les collections jeunesses ont aujourd’hui bien évolué et qu’il y a beaucoup plus de Noirs qu’avant, ils sont encore trop peu selon moi. C’était important pour moi de faire passer le message que les histoires de Noirs ne se résument pas qu’à « Boubou dans la savane ». Il doit exister d’autres scénarios comme « Nicolas est dans le métro » ou encore « Éric va au cinéma avec sa maman ». Il fallait que le personnage noir ne soit pas contextualisé dans un cliché. Il fallait plus de livres sur la famille, les premiers jours d’écoles, les métiers, les voyages. J’ai également remarqué que, lorsque l’on veut parler de diversité et de différence, on met en scène des animaux, on évite d’y convier des humains. Je ne voulais pas que mon fils s’identifie à un lion ou encore à un crocodile, je voulais qu’il s’identifie à un enfant comme lui. Pour mon club de lecture, je m’inspire de ce qui existe déjà et, en suivant plusieurs rencontres dans les bibliothèques, j’ai pris ce que j’aimais bien et j’y ai ajouté ma touche.

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Le club est ouvert pour les enfants de quel âge ?
De 3 à 7 ans, pour l’instant. En réalité, il évolue avec l’âge de mon fils (rires). C’est un atelier qui concerne autant les parents que les enfants, raison pour laquelle ils viennent ensemble. C’est important que le livre soit au coeur de l’éducation, car il y a des sujets cruciaux à traiter. Je prends mon exemple, lorsque j’évoque le sujet de la monoparentalité, il est difficile de trouver la manière de l’aborder pour qu’il soit compris de tous. Qu’il y ait un livre jeunesse avec des mots adaptés aux enfants permet finalement d’aborder n’importe quelle thématique à travers la lecture. On peut même évoquer la mort, aujourd’hui beaucoup de livres parlent du deuil. Le livre devient un outil d’éducation pour les enfants. J’ai un sujet qui me touche particulièrement, ayant été victime d’inceste. Je ne le veux pas pour mon fils et si, plus jeune, on m’avait éduquée en me disant que mon corps m’appartenait et que les adultes n’avaient pas le droit d’y toucher, je pense que c’est quelque chose qui ne me serait pas arrivé. Il existe plein de livres sur l’intimité qui me permettent de discuter avec mon enfant de sujets sensibles.

Les thématiques abordées ne sont donc pas que ludiques, tu abordes aussi des sujets assez lourds…
J’ai pris mon exemple, mais je peux parler de la famille : les familles nombreuses blanches, les familles recomposées, les enfants vivants chez leurs grands-parents, les enfants adoptés ou encore les enfants orphelins. Il existe aussi des livres historiques comme celui sur l’histoire de Rosa Parks, par exemple, qui suscite toujours l’interaction chez les enfants. Les enfants aiment répondre, aiment chercher et sont très spontanés. Au fil des sessions, ils deviennent de plus en plus ouverts. La séance au club de lecture démarre par une introduction et se poursuit par une petite séance de yoga pour retrouver le calme. Je poursuis par la lecture collective, puis en demandant aux enfants d’aller récupérer un livre et de le lire avec leurs accompagnants. Les plus grands lisent aux plus petits et, parfois, des parents se retrouvent à lire pour plusieurs enfants qui voulaient écouter la même histoire. C’est un moment où le livre est au coeur de tout ce que l’on fait.

À quelle fréquence ont lieu ces réunions ?
Les réunions ont lieu tous les mois, sauf pendant l’été. C’est un dimanche par mois, de 15h00 à 17h00 maximum, car l’attention des enfants est courte, puis on termine par un goûter.

Quels sont les tarifs et existe-t-il un abonnement ?
C’est 5€ minimum par enfant, mais les parents peuvent faire des dons à l’association afin que l’on puisse financer les livres et que l’on puisse continuer les sessions.

Quelle est ta perspective de développement ?
Il faudrait que je voyage davantage avec mon club. J’ai eu la chance de partir à Dakar et en Guadeloupe afin de faire des sessions pour adultes et enfants, mais l’accessibilité aux livres est plus compliquée. Ces livres existent, il faut simplement savoir les chercher. Enfin, j’aimerais proposer un système d’abonnement plus structuré et régulier.

Si tu avais un message pour les parents qui vont te lire ?
Il faut acheter des livres pour ses enfants, pas forcément avec des personnages noirs ou écrits par des auteurs noirs, mais il faut les entourer de livres. Je prends l’exemple de mon fils qui a une manière de s’exprimer que, moi-même, je n’ai pas. Quand quelque chose le ronge, il sait le dire et l’expliquer précisément alors qu’il a 8 ans et c’est le fait de lire qui lui permet acquérir du vocabulaire. Et, si l’on me dit que les livres sont chers, je répondrai que l’abonnement Netflix l’est aussi, que les dernières Jordan le sont aussi. Ce n’est qu’une question de choix, les livres sont un budget, certes, mais il y aussi les bibliothèques municipales qui proposent un système de prêt jusqu’à 20 livres par mois.

Si je te dis « Roots », cela t’évoque quoi ?
Je pense à mes locks, je pense à un arbre et aux racines que l’on ne voit pas, la partie immergée sous la terre. C’est le socle, la base. Plus on est encré, plus on est émancipé.