H MAGNUM : Son expertise sur le business de la musique

“ Il ne faut pas penser aux radios mais chercher à « tabasser » le peuple. Les radios n’aiment pas être ringardes donc, dès qu’il y a un mouvement en marche, elles ont peur de passer à côté. ”

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Guy-Herve Imboua, aka H Magnum, j’ai 38 ans. Je suis né à Abidjan et suis arrivé en France à l’âge de 8 ans.
Je me définis comme un amoureux de la musique, un amoureux des gens. Un mec simple qui prend le temps de vivre.

Comment t’es-tu retrouvé embarqué dans le business de la musique ?
J’ai toujours été baigné dans cet univers. Déjà au bled, j’écoutais beaucoup de zouglou, j’allais partout où j’entendais de la musique. En arrivant en France, je suis tombé dans un quartier, Saint-Blaise dans le 20ème arrondissement, où il y avait beaucoup de rappeurs. Tous nos « grands » rappaient et je suis tombé dedans. J’ai fait des freestyles et j’ai kiffé. Comme je suis fils unique, dès que je rentrais chez moi, je n’avais que ça à faire, je me suis mis à fond dans la musique et c’est devenu ma passion.

Énormément de jeunes de quartier rappent dans leur coin. Qu’est-ce qui a fait que tu t’es dit « Je vais en faire ma vie » ?
C’est par rapport aux gens qui t’entourent. Au début, tu fais ça pour le délire et tu tombes sur des gens qui vont te dire « Ah mais c’est lourd en fait, on peut faire quelque chose ! ». Je démarre avec Seven, qui est mon mentor du quartier et faisait partie des grands du quartier. Il me met sur sa compil’. Puis, j’intègre un groupe dans le 93, aux Courtillères. On rappe mais c’est du freestyle, rien de sérieux. Ensuite, je rencontre la Sexion d’Assaut. Et c’est Factor, un « grand » du 19ème qui me mets « réellement » dedans en décidant de me produire. Il avait son propre studio et j’ai dit « Let’s go ! ». J’avais des contacts de partout, j’étais connecté avec tous les quartiers.

Tout le monde connaît le nom H Magnum mais peu sont capables de te situer ?
Je suis un carrefour d’énormément de choses. Je ne suis pas quelqu’un de calculateur et, au fur et à mesure des années, je me suis rendu compte que j’étais un peu le centre de tout. Je suis le plug (rires). 60% du « game » est passé par moi, sans que ce soit une stratégie délibérée de ma part.
Quand j’ai quitté mon producteur, je ne pouvais plus rapper pendant 4 ans à cause de litiges juridiques. Ma frustration était énorme. Du coup, pour rester dans la musique, je donnais de la force par ci, je faisais de la direction artistique par là. J’avais ce flair pour savoir quel artiste ou quel courant musical allait péter. Mais, ayant encore un producteur, je n’avais pas la présence d’esprit de me dire que je pourrais en tirer personnellement profit. J’étais l’homme de l’ombre, je faisais de l’écriture, de la mise en relation… Mais je faisais tout gratuit. C’est lors de ma rencontre avec Scalp (producteur à succès) que j’ai pris conscience de mon réel talent. Il m’a dit « Tu sais que ce que tu fais de façon spontanée, ça s’appelle de la direction artistique et tu devrais le monnayer ». Il m’a également fait prendre conscience que je pouvais gagner ma vie en écrivant. C’est à ce moment que Kendji Girac remporte The Voice et que Scalp, qui était en charge de la production, me confie l’écriture de son album. Ça s’est super bien passé, Kendji a kiffé et on a rebossé ensemble sur d’autres projets. Puis, j’ai commencé à écriture, cette fois-ci officiellement, pour de nombreux autres artistes.

Et c’est là que tu as décidé de te structurer ?
Exactement. J’ai alors lancé mon label en indépendant, j’ai signé des beatmakers et j’ai continué à écrire pour de plus en plus d’artistes. J’ai notamment eu une belle opportunité en travaillant avec Fally sur l’album « Tokooos ». C’était vraiment intéressant car Fally voulait intégrer le marché français, mais en gardant toute son identité congolaise. Et, sans prétention, je détenais cette clé. Faire de l’afro qui parle aux gens d’ici mais qui, en même temps, ne te dénature pas. J’ai toujours été avant-gardiste avec la musique afro et nous avons trouvé l’alchimie parfaite. C’était un équilibre subtil à trouver. Un peu comme les rappeurs qui veulent entrer dans la variété. Si tu te rates, tu ne conquiers pas la variété et, en même temps, tu perds la « street ». Alors, tu te retrouves dans un no man’s land artistique et c’est la fin.
Le boulot sur Fally a donc été phénoménal. Je lui ai ramené les sons, les prods. À ce moment, je bossais avec DSK On The Beat et je lui disais de mettre des beats afro avec des sonorités européennes. Même si ce sont des trucs tristes, même si c’est du Goldman. Sur ces accords de variété, tu me mets une rythmique afro. DSK a parfaitement capté la vibe et l’album Tokooos a été une merveille. À l’époque de Sexion d’Assaut, Gims avait cette inspiration, mais ce n’était pas vraiment calibré afro. Vu que c’est un gros artiste, il avait beaucoup de monde autour de lui, mais qui essayait de l’orienter vers la pop. J’étais celui qui le tirait vers l’afro (rires). Je pense faire partie de ceux qui ont permis aux sonorités afro de s’installer de façon « sérieuse » en France, et pas juste dans un registre « léger » ou « comique », à l’instar d’autres artistes afro de l’époque, avec tout le respect que je leur dois.

“ Si on est matrixé par le succès, comment on découvre le talent ?
Le futur Gims ou Kanye viendra d’en bas. ”

Quelle est recette pour atteindre les artistes Nigérians ?
Moi, je conseille aux artistes de chanter de plus en plus dans leur langue. Les Nigérians ont une culture puissante qu’ils valorisent. Ils montrent leurs tissus, leurs traditions, n’hésitent pas à chanter en yoruba. C’est aussi ce qui fait la force et l’authenticité des chanteurs de rumba congolaise. Je vous donne un exemple : Sidiki Diabaté, avec qui je suis en contact permanent. Je me tue à lui dire de faire un album totalement en bambara. Valorisons nos langues et qui nous sommes.

Mais les radios suivront-elles ?
Il ne faut pas penser aux radios mais chercher à « tabasser » le peuple. Les radios n’aiment pas être ringardes donc, dès qu’il y a un mouvement en marche, elles ont peur de passer à côté. Si on ne commence pas maintenant, on ne va jamais y arriver. Si un Sidiki dégaine un album en full bambara et que le public suit, que les sons tournent partout, quelle radio ne va pas diffuser ? On ne doit pas se mettre ce genre de freins. Quand les radios passent du Rema, que font-elles ? Elles s’alignent sur la demande. Rema chante en yaourt, qui diffuserait un hit en yaourt ? Mais c’est mort, c’est Rema et, que cela plaise à Skyrock ou non, tu seras obligé de le mettre.

L’ouverture de l’Afrique au streaming va-t-elle également permettre d’accélérer cette bascule ?
Je pense oui. Cela va mettre la pression en France et un peu partout, d’ailleurs. Au début, ils nous avaient blagués sur le streaming (rires). Ils nous effrayaient en nous disant que ça allait tuer les artistes. Certes, on est mal payé sur le streaming, mais cela ouvre un champ infini. Tout le monde peut écouter ta musique. Avant, si je n’achetais pas ton CD, je n’allais pas t’écouter. Le streaming rend ta musique disponible dans le monde entier. C’est ce qui a favorisé énormément les Naijas et rendu la musique véritablement universelle. Tout le monde cherche de l’inspi et fouille partout, même les gros artistes. Avec les plateformes de streaming, tu n’es pas à l’abri que le prochain Drake tombe sur un de tes morceaux et en fasse le remake. Il te crédite et, ça y est, tu exploses aux yeux du monde ! C’est un exemple de la puissance du streaming.

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Quels sont tes projets, ton actualité ?
J’ai sorti mon album « Bansky », que je continue à défendre, avec encore quelques clips à sortir. Je l’ai nommé « Bansky » en clin d’œil au street artiste dont on connaît les œuvres et le nom, mais qu’on n’a jamais vu. Parce que je suis, moi aussi, un artiste discret. Je n’ai jamais rêvé de me retrouver sur TF1 ou autres. La lumière m’a
toujours fait peur, mais j’ai toujours aimé la musique et je dois composer avec ce paradoxe.
Hormis l’album, je continue à faire ce que j’appelle du « jus de souffrance ». La musique transmet des émotions et, souvent, ce qui transcende se trouve dans l’épreuve et la difficulté. Je continue mes recherches, comment faire de l’afro avec des mélodies françaises, tout en restant stylé et que ça ne fasse pas trop « copié ». L’idée est que ça glisse. Il y a un public francophone qui n’écoute que des artistes francophones mais qui a besoin qu’on lui serve des trucs aussi lourds que ce que peuvent faire les Américains ou les Nigérians. Celui qui avait réussi cette alchimie à son époque, avec le r’n’b, est Matt Houston. Il chantait en français, ça sonnait kainry à mort et ça ne semblait copié sur personne. Par exemple, faire de la « street », mais afro. En ce moment, j’ai un petit dont je m’occupe et on est en train de lui concocter un projet vraiment « street », avec un fil rouge de sonorités afro. Tu peux l’imaginer avec un pitbull, dans son quartier, ce que tu veux, c’est lourd, c’est crédible et en même temps ça sonne afro. C’est un jeune de 20 ans, charismatique et vierge sur toutes les plateformes. Je l’ai repéré, je l’oriente et c’est l’un de mes gros espoirs à venir.

Originaire de Côte d’Ivoire, cela représente quoi ?
À distance, j’aide beaucoup d’artistes du bled. J’y vais aussi régulièrement et je compte m’y installer, à terme. La Côte d’Ivoire est un vivier énorme. Tous les jours, je suis en contact avec les artistes locaux. Bon, même si au début on me négligeait (rires). Il faut comprendre qu’au bled, quand t’es une star, ça se la raconte sérieusement (rires). Donc, quand tu viens vers eux avec humilité, ils se disent « : « Mais il est tu-ba, en vrai ! Il est trop accessible, il doit y avoir quelque chose de bizarre… » (rires). J’ai ramené des Kaaris, des Gims… à Abidjan, parce que je suis dans la passion du truc et les gens se demandaient s’il n’y avait pas une entourloupe. C’est comme ça que certains ont négligé au départ et, lorsqu’ils voient que ça explose et que c’est réel, ils nous recontactent. Mais là, je n’ai plus ton temps et je te dis clairement « Tu n’es pas un amoureux de la musique, tu es juste amoureux du succès ».