KADER GADJI : Ange ou démon

“ Je me suis rendu compte, après coup, que quand les filles m’abordent, elles s’attendent à avoir quelqu’un d’autre, un vrai bad boy. ”

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je m’appelle Kader Gadji, je suis Sénégalais, j’ai 31 ans. Je suis acteur, comédien et cuisinier.

Raconte-nous comment tu as atterri dans la série « Maitresse d’un homme marié » ?
Je n’étais pas censé faire partie de cette série car le casting pour les hommes était déjà bouclé, mais ils ont contacté ma grande sœur Khalima Gadji, qui est l’actrice principale de la série. À ce moment-là, ça faisait la troisième fois qu’elle passait le casting. La scénariste l’appelle et lui demande de revenir le lendemain, je leur dis que je serai également présent. Elle répond qu’ils n’ont pas besoin d’homme, donc de ne pas venir, mais elle le dit sur un ton très sec. Et comme je n’ai pas apprécié sa manière de me rembarrer, j’ai dit à ma sœur : « Dis-lui que je serai là demain et qu’elle me prendra, qu’elle le veuille ou non ». Le lendemain, je l’accompagne au casting. Je discute alors avec Djalika SAGNA (Ndiaye Ciré) l’actrice qui serait ma femme dans la série, en lui disant que j’aimais ce qu’elle faisait et que c’était une bonne actrice. Pendant ce temps, la scénariste discutait avec ma sœur, ne comprenant pas pourquoi j’étais avec elle. Ma chance a été qu’ils avaient besoin d’un homme pour que Ndiaye Ciré puisse passer le casting et je l’ai accompagné en tant que binôme. Lorsque nous sommes entrés dans la salle, l’équipe de production, le propriétaire de la maison de production et la scénariste étaient tous là. Dans la scène, je devais représenter un macho qui venait de recevoir un café sans sucre de la part de sa femme et je devais montrer comment j’allais réagir face à cette situation. À ce moment, je me suis excusé d’avance auprès de Ndiaye et, pendant la scène, j’ai littéralement pété les plombs face à elle, à tel point que le gardien de la maison est venu en pensant qu’il y avait eu un problème et qu’il fallait nous séparer. Lorsque ma sœur et moi sommes rentrés à la maison, ils nous ont rappelés et nous ont annoncé qu’ils me prenaient. Autre petite anecdote, le chef de plateau de la série « Maîtresse d’un homme mariée » avait demandé qui serait le nouveau « Biram » ? En me voyant, il a dit que j’avais une bonne tête de « bâtard » (rires). Son propos m’a amusé et c’est à ce moment que je me suis rendu compte que chaque acteur a son rôle qui l’attend quelque part. Biram était mon rôle.

Etait-ce ta destinée d’être acteur ou un heureux hasard qui t’est tombé dessus ?
Cela fait 10 ans que je suis dans le métier. Il y a dix ans, justement, j’étais au Maroc et je prenais des cours de cuisine. Mon objectif, avant tout, était d’être un grand chef reconnu, je n’aurais jamais pensé qu’un jour je passerais à la Télévision. Petit à petit, je me suis inséré dans l’univers cinématographique. J’ai fait d’autres productions avant « Maîtresse d’un homme mariée », mais c’est elle qui m’a rendu célèbre. Sans doute était-ce ma destinée.

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Comment ce rôle de Biram a-t-il impacté ta propre vie ?
Après la sortie de la saison 1, j’ai fait une dépression, notamment à cause d’une séquence où l’on m’avait demandé de frapper Djalika et Amina (sa fille). J’ai joué cette scène à fond, je les ai frappés et elles ont pleuré, mais avec de vraies larmes. Et quand la scénariste a dit « coupé », tout le plateau me regardait avec des visages remplis de haine, car ils pensaient que je prenais presque du plaisir à le faire. Je suis sorti, j’ai commencé à pleurer et j’ai même voulu arrêter parce qu’ils étaient en train de faire de moi quelqu’un d’autre. Ma sœur est intervenue, m’a prise à part et m’a dit que je devais faire la part des choses, entre l’acteur et ma personne. Il fallait que j’arrête de mettre des sentiments dans ce que je faisais, et c’est à ce moment que Biram m’a fait comprendre que je n’étais pas quelqu’un de mauvais. J’ai su de suite qu’être comme lui n’était pas bon et j’ai compris également que les femmes aimaient, paradoxalement, les bad boys. Une fois, une femme m’a même attrapé par le dos quand je marchais dans la rue et m’a dit : « Pourquoi tu as donné l’eau de Djalika à la voisine ? », en référence à une scène. Les gens y croyaient vraiment. Et c’est ce qui m’a le plus marqué.

Est-ce facile de se détacher de son personnage ou, à un moment donné, as-tu pensé que vous ne faisiez plus qu’un ?
Je m’efforçais surtout de prouver aux gens que je n’étais pas Biram. J’avais déclaré, dans une séquence de la série, que j’étais sado-masochiste et que j’aimais frapper lorsque j’avais des relations sexuelles… Et toutes les filles du Sénégal ont cru que j’étais réellement comme cela ! Par exemple, lorsque je faisais l’amour avec une fille, elle m’envoyait un message le lendemain en me disant que, finalement, j’étais doux (rires). Je me suis rendu compte, après coup, que quand les filles m’abordent, elles s’attendent à avoir quelqu’un d’autre, un vrai bad boy.

As-tu demandé l’adoucissement de ton personnage au fils des saisons de Maitresse d’un homme marié ?
Oui, car je me faisais de plus en plus insulter, je trouvais également que la scénariste exagérait dans l’écriture de certaines scènes. Je comprenais la réaction excessive des gens, d’autant plus que je recevais des retours d’hommes qui me disaient qu’ils étaient exactement comme moi et qu’ils attendaient de voir ce que j’allais faire pour, à leur tour, changer. Ce rôle m’a fait comprendre qu’énormément de femmes souffrent et qu’on n’en parle pas assez. Par exemple, dans la série, il y avait une séquence où je devais violer Djalika et j’ai demandé à la scénariste comment c’était possible de faire cela à sa propre femme. Pour moi, en tant qu’être humain, c’était impossible et inconcevable. La scénariste m’a rétorqué qu’il existe des hommes qui violent leurs femmes. Le rôle de Biram m’a énormément éduqué et a également permis à beaucoup de femmes de se rebeller contre leurs maris.

« Chaque acteur a son rôle qui l’attend quelque part. Biram était mon rôle. »

Cette série a tout de même suscité de nombreuses polémiques, que s’est-il réellement passé ?
Certaines vérités étaient révélées et fâchaient. On a reçu énormément de plaintes, d’imams par exemple, des pétitions pour que l’on arrête la série, car elle était jugée trop « vulgaire ». « Maitresse d’un homme marié » est la première série sénégalaise qui a donné la libre parole à la femme. Par exemple l’actrice principale a dit dans une scène qu’elle donnait son corps à qui elle voulait, car il lui appartenait. Lorsqu’elle a prononcé cette phrase, cela a fait polémique ; alors que lorsque mon personnage se décrivait comme sado-masochiste, ça ne choquait personne parce qu’en tant qu’homme, c’était normal de s’exprimer de la sorte alors que pour une femme c’était mal vu. Par ailleurs, la scénariste est très féministe, raison pour laquelle la série évoque et défend énormément les droits et les libertés des femmes.

Si tu avais un message à adresser aux femmes ?
Avant tout, il ne faut pas avoir peur de dire non. Refaire sa vie en ayant déjà des enfants n’est pas impossible, puisque certains hommes ont tendance à dire à leur femme que personne ne voudra d’elle si elle a déjà un enfant. Et allez faire du sport, comme ça si votre mari vous frappe, vous pouvez lui rendre (rires).

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Ton challenge va-t-il être d’épouser des rôles totalement différents pour détruire ce per-sonnage et montrer d’autres facettes de ton jeu d’acteur ou de rester sur le même type de rôles et que ce soit ton identité cinématographique ?
Toutes les fois où j’ai passé un casting pour un rôle de gentil, je n’ai pas été rappelé, parce qu’apparemment mon visage ne rassurait pas. Même si je voulais faire des rôles gentils, ça ne passait pas. En ce moment, j’incarne le rôle d’un avocat bipolaire qui essaie de changer et de fuir son passé, il est timide, très maniaque et les gens n’ont pas spécialement accroché avec cette facette du personnage. En revanche, lorsqu’il a changé de personnalité puisqu’il est bipolaire, et qu’il est devenu différent, les gens ont de suite apprécié et m’ont dit qu’ils m’ont reconnu à ce mo-ment-là.

Que souhaites-tu faire dans les prochains mois ? T’exporter ou peut-être réaliser des films ?
En effet, j’aimerais bien me rendre à Atlanta, dans un premier temps, pour toucher un public international. Mais aussi parce que j’aimerais y introduire de très bons acteurs africains, surtout que ces derniers ont tendance à se suffire de peu. Sans vouloir être prétentieux, si j’avais les mêmes occasions que les acteurs américains, ils n’allaient pas être aussi talentueux que moi. Il est tant de jouer sur leur terrain, d’autant plus qu’à Atlanta le cinéma noir connait une ascension remarquable. Alors pourquoi ne pas s’y rendre ?

Qu’est-ce que le Sénégal représente pour toi ?
Je suis le Sénégal. Je suis également Marocain, mais je me sens davantage Sénégalais. J’aime tellement l’Afrique que je ne me vois pas vivre ailleurs.
Malgré mon projet de vivre à Atlanta, je n’y resterai pas plus de six mois sans rentrer en Afrique. J’adore mon pays, j’adore l’Afrique, je crois en nous, on est capable de décrocher des Oscars, d’aller le plus loin possible.

Que peut-on te souhaiter pour les cinq prochaines années à venir ?
Que l’on puisse faire cette interview à Hollywood, si Dieu le veut !