PHILIPPE SIMO : “ INVESTIR AU PAYS ”

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je m’appelle Philippe Simo, j’ai 37 ans et je suis d’origine camerounaise. J’ai commencé les deux premières années de mon cycle universitaire au Cameroun et, ensuite, je suis venu en France (2008) pour terminer mon cycle d’ingénieur en Génie industriel. Au terme de ce parcours, j’ai commencé à travailler comme tout le monde, comme cadre dans le domaine industriel. J’ai notamment travaillé pour de grands groupes dans le domaine du pétrole et de l’énergie : Areva, EDF, pour de grands projets, essentiellement en France, même si le travail pouvait me faire voyager. Pendant ce temps-là, un peu comme tous les jeunes qui viennent d’Afrique, on pense à faire du business au pays. C’est donc quelque chose qui trottait dans ma tête. Et, très rapidement, j’ai commencé à m’intéresser, avec mon épargne, à des opportunités d’affaires en Afrique, notamment dans le domaine du foncier. Acheter des terrains, laisser qu’ils prennent de la valeur et revendre. J’ai commencé à faire ça quelques années jusqu’à ce que je tombe sur une opportunité de terrain agricole, que j’achète ce terrain et que l’aventure s’emballe.

A ce moment précis, quel âge aviez-vous ?
C’était il y a à peu près dix ans. Si on fait la soustraction, je devais avoir 28 ans. Du coup, je me lance dans l’aventure entrepreneuriale, mais toujours avec mon boulot à Paris, en parallèle, avec toutes les galères possibles bien évidemment, parce que c’est très compliqué de faire du business au pays, au début, quand tu ne t’y connais pas. Tu perds beaucoup d’argent. J’ai subi beaucoup d’arnaques.

Comment fait-on pour ne pas se décourager ?
Pour moi, ce n’était pas une option. Mon mindset était clair, je partais du principe que j’allais rentrer en Afrique. Il fallait que je me bâtisse ce qui allait être mon gagne-pain quand j’allais rentrer. Je n’avais donc pas le choix. Je n’étais pas en mode : « Ok, j’ai échoué, je reste en France ». Non. Car rester en France, c’était pour un temps, pour se former, pour apprendre, mais je me voyais en Afrique en train de contribuer à développer des choses et y faire du business.

Quand vous parlez d’Afrique, cela signifie que vous n’étiez pas forcément focalisé sur le Cameroun ?
Effectivement. Même si cela restait le 1er pays auquel je pensais naturellement. C’est là où j’avais le plus de repères. Mon défi était de rentrer au Cameroun pour entreprendre. Et, à chaque fois que je perdais de l’argent, je savais pourquoi j’avais perdu de l’argent. Au fond, je réalisais que j’aurais pu éviter cette perte. J’étais juste naïf et faisais trop confiance aux gens. Mais quoi qu’il arrive, à chaque fois que je perdais, c’était des sommes que je pouvais perdre sans me mettre en danger. Ça pouvait être 500 euros, 1000 euros, 2000 euros…

On a parfois l’impression qu’il faut épargner de gros montants avant de se lancer. Et vous, non. Vous aviez cette certitude de pouvoir démarrer avec peu ?
Oui parce qu’en fait le déclic pour investir en Afrique se produit quand je rentre en vacances au Cameroun, et que je me rends compte qu’avec 100 euros je peux salarier quelqu’un pendant tout mon séjour. Il y avait des tâches à faire à la maison et la maman te dit « bon toi, tu vas me gérer ça ». Du coup, tu cherches un technicien et tu te rends compte qu’avec 100 euros, tu peux donner du boulot à quelqu’un. À mon retour en France, je réfléchis je me dis qu’en fait, avec peu d’argent, je peux vraiment changer le quotidien de ces gens-là.

Quel est le moment de bascule de jeune cadre salarié, dynamique, qui en même temps fait des petits business en Afrique à serial entrepreneur et futur formateur ?
Tout va se faire progressivement. C’est vrai que ça va s’emballer avec internet, mais tout se fait très progressivement. Concernant mes expériences agricoles, je vais beaucoup échouer, beaucoup
d’arnaques, mais je vais apprendre. Alors je vais recommencer, petit à petit, plus prudemment tout de même. Du coup, je vais commencer à avoir de petits résultats. Et puis, j’ai commencé à en parler autour de moi à Paris, à mes collègues. Je leur explique que je fais plein de petits projets, que je fais de l’élevage, de poulets notamment. Je me rends compte que cela suscite un énorme engouement et mes potes d’origine africaine, Ivoiriens, Congolais, Sénégalais… me demandent comment faire la même chose chez eux.

Il y a pourtant souvent la crainte d’investir, surtout dans l’agriculture, si nous ne sommes pas présents physiquement ?
Oui, c’est très juste. Mais je me suis posé une question très simple : Comment fait Bolloré ? Bolloré n’est pas dans tous les pays africains, en même temps. Comment Dangote fait-il pour être implanté dans dix pays ? Lui non plus ne peut pas être partout. J’ai fini par me dire que, même s’il est évident que je n’ai pas leur pouvoir financier, je peux m’inspirer de leur méthodologie. Grâce aux process et aux remontées d’indicateurs, en regardant très rapidement un tableau de bord, chacun d’eux peut savoir comment les choses se passent dans n’importe quel pays. C’est de cela dont on a besoin, savoir gérer nos business comme de vraies entreprises, et pas juste comme un petit commerce de quartier. C’est ma fibre d’ingénieur qui va me pousser à formaliser mon activité et me demander quels sont les principaux indicateurs qui peuvent me permettre de savoir si mon élevage de poulets va bien ou s’il ne va pas bien. Et, à partir de là, que je sois dans la ville ou non, je suis efficace. Et d’ailleurs, même si je suis dans la ville, je ne vais pas dormir à la ferme Le gars qui est au pays (Cameroun, ndlr), qui bosse à Douala et dont la ferme est à Edéa, il a le même problème. Parce qu’il ne vit pas dans la ferme. Il est donc possible de piloter son activité à distance, avec les outils adéquats.

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À quel moment décidez-vous de partager votre expérience sur internet ?
Le 9 mars 2018. À l’époque, je ne sors des vidéos que sur YouTube, car je me rends compte que Facebook ne marche pas du tout. Je vais revenir sur Facebook, un an et demi après, en constatant que les gens prennent mes vidéos sur YouTube et vont les poster d’eux-mêmes sur Facebook. Au début, je me disais que c’était la même audience. Mais en fait non. L’audience que j’ai sur Facebook n’a rien à voir avec l’audience sur YouTube. Je me demande même s’il y a dix abonnés qui sont sur les deux en même temps (rires), tant ils sont différents dans les approches et les Facebook pour l’Afrique et YouTube pour la diaspora ? Clairement ! Oui. Sur YouTube, ma plus grosse audience est la France, ensuite l’Amérique du Nord avec les Etats-Unis et le Canada, puis vient l’Allemagne. Sur Facebook, ma première audience est la France, la deuxième est la Côte d’Ivoire. On voit que l’Afrique est beaucoup plus présente parce que les données sont gratuites sur Facebook, dans beaucoup de pays africains. C’est ainsi que je décide de développer le média, en me rendant compte que je peux vraiment créer une industrie de formations. Ce que j’expliquais gratuitement, au bout d’un certain temps, commence à me prendre énormément de temps, et je demande donc aux gens de payer pour avoir accès aux informations.

Vous êtes désormais à temps plein dans vos activités. Adieu le salariat ?
Complètement et ce n’était pas facile. J’aime parler de chiffres pour que les gens se rendent bien compte. Quand je démissionne de ma boite, je touche 3700 Euros par mois. Je n’ai pas quitté mon boulot parce que j’étais frustré ou que je ne gagnais pas bien ma vie. Non. J’estime qu’avec 3700 Euros en France, ce n’est pas moi qui le dit, tu n’es pas à plaindre. Tu gagnes plutôt bien ta vie. J’ai d’abord créé une une société de prestations de services, en France. Je faisais le même travail que dans mon précédent cabinet de conseil, mais à mon compte. Et j’ai totalement basculé sur l’agriculture, la formation et mes autres business en Afrique lorsque tout a décollé.

Un mot sur vos perspectives de développement, notamment le volet évènementiel ?
J’ai commencé à faire des formations digitales et des événements afin de former la diaspora africaine pour qu’elle rentre en Afrique. Je me suis dit que rien ne vaut le contact. C’est bien d’avoir beaucoup d’abonnés sur internet, mais est-ce que les gens te suivent vraiment ? Organiser des évènements en présentiel était un vrai test. C’est là où les algorithmes de YouTube et Facebook m’ont vraiment aidé afin de cibler au mieux mon audience. Beaucoup de gens m’ont demandé pourquoi tu n’as pas commencé au Cameroun alors que tu es Camerounais. J’ai répondu aux gens que nul n’est prophète chez soi. J’ai commencé par la France et ça a bien marché. Alors des gens en Afrique ont commencé à me demander : « Et nous ? ». Voilà comment je suis allé en Afrique. J’ai démarré ma tournée sur le continent avec la Côte d’Ivoire, puis le Sénégal, le Benin et, enfin, je suis venu au Cameroun, où j’ai d’ailleurs eu un accueil que je n’attendais pas, un très bon accueil. Ensuite, je suis allé en Amérique du Nord, au Canada et aux Etats-Unis, toujours pour faire des événements en présentiel afin de former des gens.

Des évents avec pour mot d’ordre: “ Back to Africa” ?
C’est exactement cela. C’est d’ailleurs le nom de ma 1ère grosse conférence qui a vocation à devenir un évènement annuel. La première édition a eu lieu le 8 octobre dernier, au Palais des Congrès de Versailles. Pour cet évènement, l’idée était de faire venir des entrepreneurs d’Afrique à succès, tous anciens de la diaspora. La volonté était d’expliquer à la diaspora vivant en France : « On était ici avec vous, on connaît vos réalités, maintenant on est en Afrique, et voila ce que nous sommes en train de bâtir. Et on a pu le faire parce qu’on est passé par telles ou telles étapes ».

Un conseil pour franchir le cap de l’entreprenariat ?
Une étude a été faite auprès des gens qui étaient en fin de vie. On leur demandait quel était leur plus gros regret. Et pour l’écrasante majorité, ils n’avaient aucun regret sur leurs échecs, mais sur ce qu’ils n’avaient jamais osé faire. Si tu as un projet qui te tient réellement à cœur, essaies, pour être tranquille dans ta tête. Selon moi, vivre et mourir sans jamais découvrir son véritable potentiel est un terrible gâchis.

Qu’est-ce que représente le Cameroun pour vous ?
C’est une question compliquée parce que, autant j’aime énormément le Cameroun et ce n’est pas à démontrer, autant j’évite d’être dans une vision camerounaise du continent africain. Parce que tous ceux qui connaissent l’histoire du continent savent bien que nous n’avons pas décidé de nos frontières. On a les Fangs au Gabon, on a les Fangs de l’autre côté de la frontière, au Cameroun. On a divisé les familles et les peuples. Alors oui, j’ai un attachement profond au Cameroun parce que c’est d’où je viens, c’est là que j’ai appris les bases de la vie. Je suis clairement un fruit de l’éducation camerounaise, de la mentalité camerounaise. Vous savez, les Camerounais ont une mentalité spéciale en Afrique. Je le dis parce que j’ai beaucoup voyagé sur le continent. Cette mentalité fait que les Camerounais brillent là où ils vont. Parce que les Camerounais sont des gens qui n’ont pas froid aux yeux et n’hésitent pas à se lancer.

Si je vous dis le mot « Roots », vous me répondez ?
Savoir d’où on vient, pouvoir faire briller d’où on vient. Certains n’ont pas ce sentiment, se demandent ce que l’Afrique a fait pour eux, parce qu’ils sont peut-être nés en Europe ; mais je reviendrais toujours sur les propos du président ghanéen Nana Akufo-Addo qui disait que peu importe où vous êtes sur la planète, tant que vous êtes Noir, vous êtes associé à l’Afrique. Vous pouvez être le plus grand rappeur du monde, le plus talentueux journaliste, mais parce que vous êtes Noir, vous êtes associé à l’image de l’Afrique. Et si l’Afrique, dont l’imaginaire renvoie à la pauvreté et la misère, se maintient dans cet état de fait, que vous le vouliez ou non, cela va vous toucher. Donc les amis, que vous vous sentiez Africains ou pas, l’Afrique est collée à vous. C’est votre identité, votre racine. On gagnerait donc tous à la relever.

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