ALAIN NGANN : Changer le narratif africain par la photographie

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je suis Alain Ngann, artiste Camerounais. Je suis designer, de façon générale, même si je suis davantage reconnu, aujourd’hui, dans le domaine de la photographie. J’ai un passé de créatif en agence de communication, avec une formation initiale en architecture.

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Vous rencontrez une personne pour la première fois et vous n’avez plus de batterie sur votre téléphone. Sans visuel à l’appui, comment lui décririez-vous votre ADN artistique ?
J’ai ce besoin de transmission d’images et de narratif. Voici la clé. Certaines de mes photos peuvent évoquer des utopies ou parfois ressembler à des fictions, mais c’est très important. Je m’interroge sur la mémoire, que va-t-on laisser comme image de nous ? Je veux changer le narratif africain. Comment se projeter si nous n’arrivons pas à dresser le portrait d’une Afrique grandiose ? Il y a tout un pan de notre histoire qui est méconnu. J’essaye, à travers le vecteur qu’est la photographie, de marquer des instants et partager. J’exhorte les artistes à travailler sur ce narratif, travailler sur une fierté africaine pour nous rendre plus forts et plus dignes. Nous avons besoin de reprendre confiance et de transmettre cette confiance.

Comment s’est construit votre univers ?
J’ai eu la chance de rencontrer beaucoup d’artistes en local, beaucoup de peintres, de sculpteurs. D’ailleurs, le prochain défi que je me fixe est de me lancer dans la peinture. J’aime la peinture au couteau, lorsqu’il y a de la texture et c’est ce que j’essaye aussi de reproduire à travers mes photos.

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Justement, lorsque l’on regarde vos photos, la première chose qui frappe est cette impression d’avoir face à soi un tableau. Car un oeil non averti peut aisément penser que vos clichés sont en réalité des pièces de peinture. Est-ce la touche Alain Ngann ?
Effectivement, c’est un réel parti pris. Mon but était d’avoir quelque chose de très artistique. Mes précédentes séries étaient plus graphiques. J’ai choisi de m’orienter sur cette voie car j’avais vraiment dans l’idée de travailler sur cette fierté africaine. Nous sommes des descendants d’une grande histoire, de grands royaumes et nous n’avons pas ces représentations majestueuses de nos grands leaders comme, par exemple, on peut le voir avec des tableaux représentant un Napoléon glorieux, épée à la main sur son cheval. Nous n’avons pas su exprimer par l’art la grandeur de nos héros ou conquérants. Je me suis dit : Comment faire pour avoir cette fierté si nous n’avons pas ces représentations fortes qui, selon moi, changeraient totalement le narratif africain ? J’ai voulu travailler sur ces reines, sur ces amazones, sur ces guerrières, sur cette royauté africaine à travers une lumière et une texture qui te poussent à dire « Wow » et à être fier. J’ai un gosse de 9 ans et je veux lui transmettre cette « camerounité », cette « africanité » et ces images d’une Afrique triomphante, qui avance et qui est fière.

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Votre état des lieux de la photographie en Afrique ?
Il y a un très gros engouement pour cette profession depuis un moment. Cela s’explique par la vulgarisation de l’outil, internet, les tutos en ligne, etc. C’est une bonne chose, certes, mais le revers de la médaille est que les gens vont moins en profondeur. Aujourd’hui, beaucoup se disent :
« J’ai un appareil photo, c’est bon, je peux être photographe ».
Malheureusement, ce n’est pas l’appareil photo qui fait le photographe. On essaye de travailler, de réfléchir, de prendre le temps pour aiguiser son regard, l’observation, l’envie de vraiment partager. Il manque un peu de tout cela chez beaucoup de néo photographes, ils sont très pressés d’être, de show-off : « C’est moi qui, je suis… ». Et, si on ne fait pas attention, c’est toute une génération qui va stagner et ne se limiter qu’à ce qu’elle sait faire.

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Comment se procurer vos oeuvres ?
Toutes mes oeuvres sont disponibles en passant par Dupon (17 av. de Madrid, Neuilly-sur-Seine). Nous travaillons ensemble depuis une quinzaine d’années. Tous mes tirages sont des séries limitées.

Si je vous dis le mot Roots, vous me répondez ?
L’Afrique, tout simplement.