SANDRINE SOPHIE : Fondatrice de Kalia Nature

Le Lab’ Kalia Nature regroupe le laboratoire, le showroom et les bureaux de la marque, à Bondy.

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je suis Sandrine Sophie, créatrice et formatrice de la marque Kalia Nature, j’ai 45 ans, et j’habite en Ile-de-France. Originaire de la Martinique, je me considère comme une femme du monde.

Revenons sur votre parcours.
Kalia Nature est née d’une histoire assez intéressante puisque j’ai travaillé durant 17 ans chez L’Oréal dans les pôles recherches.
Ma grand-mère qui était très connue en Martinique, réalisait et vendait ses produits au marché couvert de Fort-de-France. Je suis née et j’ai vécu en Martinique jusqu’à l’âge de 6 ans. Enfant, j’ai baigné dans la nature, les plantes, les fleurs… C’est ce qui m’a mené ici. Lorsque ma fille est née, j’ai eu cette prise de conscience concernant les produits naturels car il fallait s’occuper de sa peau et de ses cheveux le plus sainement possible. Je faisais le tour des magasins bio, tout ce que je trouvais était bien mais pas adapté à nos besoins. Il faut en être conscient, le cheveu et la peau afro ont des besoins qui leur sont spécifiques et, à l’heure actuelle,la grande distribution n’y répond pas. C’est pourquoi, pour les cheveux de ma fille, je me suis tout simplement tournée vers les produits de ma grand-mère que j’ai adapté par rapport à mes connaissances. Par la suite, j’ai moi-même fait mon big-shop, le 4 janvier 2010. J’ai commencé par réaliser des produits dans le cadre familial et non dans l’optique de vendre car, à l’époque ,j’avais un poste plus que confortable chez L’Oréal. Mais j’ai remarqué qu’on me posait de plus en plus de questions concernant mes cheveux. Mon conjoint m’a alors dit : « Lance-toi ! Tu sais pertinemment que le groupe pour lequel tu travailles n’a pas pour objectif de nous aider, toi si ». Je n’avais pas cette ambition de base, même si j’ai toujours eu envie d’entreprendre.

Comment bascule-t-on de produits faits maison à une marque de cosmétiques ?
Je travaillais déjà dans le milieu de la recherche où j’ai acquis bases et compétences techniques. Néanmoins, il me manquait des compétences dans l’entrepreunariat car je me suis lancée seule avec mon conjoint. Spécialisée dans la chimie, j’ai dû me
former aux cosmétiques artisanales bio et à la règlementation cosmétique française qui est beaucoup plus exigeante que la norme internationale. Se lancer dans l’entrepreneuriat est très difficile, « fanm doubout » est un terme créole qui définit très bien la situation : quand on est une femme, afro et entrepreneur en France, il faut avoir les reins solides, car il n’y a aucun accompagnement. J’ai essuyé les refus auprès des banques, c’est pourquoi Kalia Nature s’est autofinancée. Les banques et investisseurs n’y croient pas car c’est une marque cosmétique, afro, faite par une femme alors qu’il y en a déjà tellement en France.

Dans un marché ultra concurrentiel des cosmétiques, pourquoi avoir abandonné votre poste chez L’Oréal ?
Parce que j’y crois. Quand j’ai fait le choix de partir, mes collègues m’ont dit « Tu n’as pas peur ? » je leur ai répondu « l’envie est plus forte que la peur ». Je me suis lancée petit à petit. J’ai énormément travaillé, je n’industrialise pas, je n’externalise pas.
Lorsque vous achetez un produit Kalia Nature sachez que derrière il y a des humains qui fabriquent le produit. L’artisanat permet de faire vivre des personnes, contrairement à l’industrialisation. Aujourd’hui, dans une petite structure on se fait confiance, on travaille main dans la main pour faire avancer la marque.

Nous avons reçu le prix du meilleur leave-in à la NHA, c’est pour nous une consécration car c’est un prix du consommateur !

L’explosion du mouvement Nappy vous a-t-il poussé à vous lancer ? N’aviez-vous pas peur qu’il s’agisse juste d’un phénomène de mode ?
Effectivement, on m’a déjà posé cette question, mais vous savez quoi ? Je préfère que ça commence par un effet de mode et que ça finisse par une prise de conscience. Nous avons une nouvelle génération qui est peu informée de ce qu’ont vécu nos ancêtres et par le cheveu peut-être qu’on arrive à aboutir à notre histoire car c’est ce que nous sommes et ce que l’on tend à devenir.

Que diriez-vous à nos lectrices pour les convaincre d’essayer Kalia Nature ?
Kalia Nature, c’est avant tout la recherche des matières premières innovantes comme les huiles, beurres, plantes, fleurs… D’ailleurs, le nom de la marque vient de la fleur emblématique de la Martinique « Kalia ». Lorsqu’on souhaite traiter sainement son cheveu, quoi de mieux que ce que la nature nous a mis entre les mains et que nos anciens connaissaient parfaitement et qui tend à se perdre. Des ingrédients comme l’hibiscus, le murumuru, le yangu ou le kokum sont très peu utilisés car on a mis en avant la chimie, or celle-ci va atteindre ses limites notamment à cause du “consom’acteur” qui est acteur de sa consommation.

Il y a eu la série sur C.J. Walker qui a cartonné, vous êtes-vous reconnue en elle ou dans son parcours ?
Je connaissais l’histoire de C.J. Walker avant même que la série ne sorte et, à vrai dire, j’ai été un peu déçue car l’histoire a été beaucoup scénarisée. Toutefois, cela reste très inspirant car c’est la première femme afro à devenir riche aux Etats-Unis. Cela prouve vraiment que lorsqu’on a la volonté on peut y arriver. Elle, moi et sûrement bien d’autres avons traversé les mêmes soucis de
financement. Mais elle a continué car elle croyait en son projet. Je dis toujours à mes enfants qu’il ne faut pas avoir peur de l’échec car il permet d’avancer.

Que représentent les Caraïbes pour vous ?
C’est là où je suis née. Culturellement, on a récupéré tellement de choses ! Que ce soit de l’Afrique, de l’Inde ou encore de l’Amérique… Cela fait de nous un peuple métissé mais avec tellement d’histoire que si nous prenions conscience de tout cet héritage nous serions plus forts, malheureusement nous sommes toujours emprisonnés dans une doctrine imposée. Je pense que lorsqu’on mettra en avant des entrepreneurs de la Caraïbe ou de l’Afrique, on va pouvoir avancer. On a ce manque culturel de notre histoire qui nous bride alors que nos terres sont magnifiquement riches, comme nulle part ailleurs et pourtant si peu exploitées. Je répète toujours à mon équipe : « Seul on va vite, mais ensemble on va plus loin » et c’est ce qui fera la force de notre communauté. Le consommateur afro doit comprendre qu’on a plus de force ensemble, plutôt qu’en s’éparpillant.

Kalia Nature a été prisée à la NHA 2019. Comment décririez-vous votre gamme ?
Nous avons reçu le prix du meilleur leave-in avec Kalia, c’est pour nous une consécration puisque c’est un prix du consommateur. La crème hibiscus, c’est le produit-phare de la marque car elle fédère la communauté afro. La gamme est complète, on retrouve par exemple des shampoings solides car Kalia Nature tend vers la protection de la planète et limite son utilisation de plastique. De plus, nous avons de très bonnes notes dans les applications comme Yuka. Je tenais à mettre en avant la qualité de nos produits artisanaux pour tous et à prix accessibles. Pour 2020, nous avons finalisé très gros projet : Le Lab’ Kalia Nature qui regroupera le laboratoire, le showroom et les bureaux de la marque, à Bondy.

Si je vous dis « Roots », vous me répondez ?
Roots, c’est la nature, nos racines. C’est ce en quoi nous sommes ancrés, c’est ce qui fait que nous sommes profondément Noirs.
Cela représente la maison mère d’où l’on vient : l’Afrique.

Édition ROOTS Karayib