LA LUTTE : Discipline nationale, distinction royale

La naissance d’une pratique

Appelée Làmb en Wolof et Njom en Sérère, avant d’être un sport de combat traditionnel, la lutte sénégalaise voit le jour en tant que célébration de la fin des récoltes. Cette pratique naît premièrement chez les ethnies Sérères et Diolas du pays, avant de connaître une expansion importante au sein de la communauté.

La lutte était également une méthode forte et radicale afin d’élire le nouveau champion du village en confrontant la force et la bravoure des hommes, ce qui reste le principe du sport.  Les règles restent partiellement les mêmes qu’en Europe : chaque lutteur doit faire tomber son partenaire ; ainsi, le premier au sol sur le dos, avec ses quatre appuis ou qui sort du cercle est immédiatement déclaré perdant.

Ornés de bijoux aux genoux et aux bras, les Xons sont les Gris-Gris des lutteurs, l’origine étant liée à la croyance, ils serviraient de protection. Bijoux qui mettraient en exergue le prestige du guerrier, le but étant aussi d’apparaître avec la prestance d’un futur Roi des arènes, titre que détient le champion de lutte. Un certain physique est recommandé pour cette discipline, la majeure partie des combattants sénégalais possédant une imposante masse corporelle ce qui est un avantage afin d’éviter plus facilement de tomber face à l’opposant. De larges épaules, des cuisses amples et des bras costauds sont les critères physiques que l’on retrouve chez les compétiteurs. Cependant, si la force physique est un atout dans les combats, il y a aussi l’importance des techniques qui peuvent faire basculer les chances des attaquants.

Capture d’écran 2018-10-31 à 14.24.11 Capture d’écran 2018-10-30 à 10.18.18

Une organisation sociale

L’éthnie Wolof a longtemps régné sur ce Royaume. Ils vivaient dans une société bien hiérarchisée, divisée en castes, chacune ayant un rôle bien défini.
Au sommet de cette hiérarchie : Les Gor (nobles), parmi eux les garmi qui constituent l’aristocratie éligible pour diriger le Royaume. Ces deux détiennent le pouvoir temporel et politique, puis viennent les Nye Nyo (forgerons et artisans), les Griots et enfin les Diamé (anciens esclaves).

Seuls les mariages réalisés au sein d’une même caste étaient permis. La lignée des empereurs du Djolof est matrilinéaire comme en Egypte, les femmes n’abandonnant pas leur nom de famille lorsqu’elles se marient.

Les Français s’installent à Saint-Louis en 1659, s’ensuit une guerre où l’Afrique est divisée par ses envahisseurs. l’Empire Djolof est renommé « Afrique occidentale française » en 1900 par les Français, le Bourba est alors évincé du pouvoir et remplacé par un gouverneur français.

Le peuple garde néanmoins un infini respect pour la famille royale et suivra ses préceptes moraux, jusqu’à la seconde Guerre Mondiale.

Des chants et danses perpétuels

La lutte sénégalaise ne pourrait être complète sans l’éloge cérémonial de ces jolis chants rythmés qui

génèrent à eux-seuls cette pression auprès de la foule et des combattants, provocant par la suite l’excitation de tous.

Le Baccou est un chant d’intimidation qui consiste, par le rythme fougueux et aux danses frénétiques, à déconcerter l’adversaire durant l’affrontement. Malgré le fait qu’il se veuille provocateur, le Baccou encourage également son guerrier à se surpasser face à l’opposant.

Tout le long du combat, les femmes effectuent la chorégraphie du Ndawrabine, en tenue traditionnelle. Inventé par les femmes de la communauté Lébou, une ethnie Wolof, la danse est depuis lors fondamentale dans la lutte au Sénégal !

Cette coutume ne sert pas uniquement de divertissement, elle permet de rassembler le peuple et son histoire en passant par toutes les ethnies, du Sine-Saloum à la Casamance. Ces chants et danses sont un rappel de l’origine du cheminement de la lutte, jadis une pratique traditionnelle avant de devenir un sport de combat professionnel. La violence des combats, mêlée à l’effervescence du public, ravive la passion du Sénégal à la lutte à chaque combat. Une atmosphère euphorique qui amène à comparer la passion pour le football à celle de la lutte.

lutteurs-senegal

Les lutteurs sénégalais emblématiques

D’abord, Yakhia Diop, plus connu sous le nom de Yékini, est ancien champion du titre du « Roi des Arènes ». Originaire de la communauté Bassoul, dans le Sine-Saloum, il compte 19 victoires, un palmarès impressionnant qui ne comptera qu’un match nul et deux défaites dont la dernière lui fera prendre la décision, en 2016, de prendre sa retraite.

Durant 24 ans de carrière, Yékini est resté invaincu de 1997 à 2012, ce qui lui a valu le respect inconditionnel du Sénégal.

Balla Gay II, également une grande figure de la lutte sénégalaise, a un parcours aussi grandiose que celui de Yékini. De son vrai nom Omar Sakho et surnommé « le lion de Guediawaye », sa ville d’origine, il a disputé 24 combats pour 20 victoires et 4 défaites.

Enfin, Bombardier, nom d’arène de Serigne Ousmane Dia, voit sa carrière décollée suite à sa victoire par KO face au lutteur Tyson, champion à cette période. Roi des arènes à deux reprises, Bombardier compte 18 victoires et 8 défaites.

Aujourd’hui, la lutte sénégalaise est toujours autant prisée. Lac de Guiers II, le dernier adversaire de Yékini, continue la lutte ainsi que Balla Gay II.

La place des sénégalaises dans la lutte

Si la lutte fait instantanément penser à un combat d’hommes, les femmes ont également une place dans ce sport de combat.

En effet, nombreuses sont les femmes sénégalaises qui disputent des combats de lutte. Ayant autant d’énergie que les hommes, les confrontations sont toutes aussi violentes.

Dans nombre de régions d’Afrique, la lutte serait interdite aux femmes, le ring serait uniquement assimilé à la gent masculine.

Les mœurs seraient responsables de ce blocage, en particulier par rapport à la tenue légère des combattantes, totalement opposée aux tenues traditionnelles habituelles des femmes.

53kg_sambou_sen-1

Pourtant, quelques femmes ont su dévier la tradition pour réaliser leur rêve en se tournant vers la pratique olympique. C’est le cas d’Isabelle Sambou (ci-dessus), lutteuse professionnelle sénégalaise. Elle débute à l’âge de 19 ans, en 1999, et remporte son premier titre de championne d’Afrique. Depuis là, elle enchaîne les victoires. Avec ses 1.52 m, Isabelle Sambou est neuf fois championne d’Afrique de lutte. Porte-parole des femmes dans le milieu sportif, elle s’exprime sur les idées reçues qui relient toutes les sociétés : « Partout dans le sport, quand tu es une femme, on t’embête, on te dit que ce n’est pas bon. J’ai tout entendu. On m’a dit, tu vas devenir comme un homme, personne ne va te marier, car tu ressembles à un homme ».

Malgré les critiques, elle n’en démord pas et poursuit son objectif principal : la lutte. Elle obtient le prix Sport et Femmes en 2016, décerné par la Fédération de Lutte Association afin qu’elle reste un exemple pour les lutteuses et toutes les athlètes. « Être un exemple pour beaucoup de filles aujourd’hui, c’est une immense fierté. Plein de filles que je croise me disent pratiquer la lutte grâce à moi. » conclut Isabelle Sambou.

La lutte, plus qu’un sport, est aujourd’hui l’un des patrimoines nationaux du pays de la Teranga, également très populaire en Gambie.

Édition ROOTS n°22 – Spécial Djolof