MAMS YAFFA : Stop à la depigmentation !

“1 femme sur 5, originaire d’Afrique de l’Ouest et vivant en Île-de-France, se dépigmente la peau.”

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?

Mams Yaffa, je suis un papa et un entrepreneur. Je suis le fondateur de Miss Mali France, qui a fêté ses quinze ans. J’ai pas mal d’autres projets culturels, d’expositions et j’ai fondé une association qui s’appelle Esprit d’Ebène, dans le 18ème arrondissement, qui a vingt ans aujourd’hui et qui mène une lutte contre la dépigmentation.

Pourquoi avoir choisi de faire de la lutte contre la dépigmentation un combat personnel ?

C’est un combat personnel parce que j’en ai marre de voir des filles défigurées. J’en ai marre de voir des mamans se balader avec des visages aux couleurs rose, vert, jaune, rouge. J’en ai marre de voir certains maux dont elles sont victimes, comme le diabète ou l’hypertension dus à cette problématique de dépigmentation artificielle de la peau. Certaines de ses personnes sont psychologiquement atteintes, c’est extrêmement grave. À ce niveau-là,  Je crois que, si on laisse faire, on est aussi complice de ce qui se passe. Quand je vois des gamines de 12 ans à 18 ans commencer à se dépigmenter parce que leurs tantes ou leurs mamans leur on dit qu’il le fallait, sous peine de ne pas pouvoir réussir dans leur vie professionnelle ou personnelle, nous atteignons un stade où il faut passer à la contre-attaque.

Quel diagnostic faites-vous en France, et plus globalement sur le continent, de la prolifération de ce phénomène ?

La situation en France est assez calamiteuse. Quand vous en arrivez au point que même des gens instruits et/ou pratiquants ont recours à cette pratique, c’est qu’il y a un problème, il y a une névrose quelque part. D’après certains chiffres, 1 femme sur 5, originaire d’Afrique de l’Ouest et vivant en Île-de-France, se dépigmente la peau. Ce phénomène grave est aussi très prononcé dans des pays comme le Sénégal, le Mali, le Congo, la Gambie ou le Ghana. On se dirige vers une vaste problématique de santé publique que les gens se seront auto-infligés. On ne parle même pas de maladie comme le sida, la tuberculose ou le paludisme. Là, ce sont les gens, eux-mêmes, qui se rendent malades et c’est extrêmement grave.

Selon vous, doit-on fustiger les fabricants, les consommateurs ou la société médiatique dans son ensemble qui a tendance à valoriser davantage les femmes claires ?

Effectivement, je crois que l’on doit d’abord fustiger les fabricants, bien qu’ils soient là uniquement pour répondre à une demande et faire leurs chiffres, surtout quand on sait que tout ce marché représente plus d’1 milliard de dollars ! Ils ne sont donc pas  prêts d’arrêter. Je pense qu’on doit durcir les lois, on doit les appliquer et  on doit faire en sorte qu’on interdise les produits cancérigènes, qu’on interdise les produits qui nuisent tout simplement à la santé. Ce sont des produits médiatisés qui ont surtout un effet ricochet, on ne le sent pas tout de suite mais, au fil du temps, des problèmes se créent. Tant qu’il n’y a pas de préventions, on ne peut pas réellement interdire. Et puis, il faut également que nos sociétés se regardent en face. Quand on vous sous-entend qu’il faut être claire pour réussir, quand les codes de la société font que sur une pochette d’album ou dans les pubs on éclaircit les gens ou alors on ne montre que des femmes claires… Il est normal que certaines se sentent dévalorisées, minoritaires et en marge de la société. Lorsqu’on dévalorise les gens, cela crée un repli identitaire, un repli psychologique et cela peut amener à vouloir changer sa situation par la dépigmentation de sa peau.

Quel est votre calendrier d’actions pour l’année 2019 ?

En 2019, il va y avoir un forum et des ateliers de préventions qui vont continuer sur toute la France. Fin 2019, je prévois des actions qui vont se dérouler en Afrique. Entre-temps, on va mettre en place, avec la fondation L’Oréal, un programme de sevrage pour les femmes qui souhaitent arrêter la dépigmentation pour qu’il n’y ait pas de rechute. Une femme qui souhaite arrêter doit être accompagnée parce qu’il y a beaucoup de rechute et on cherche au maximum à éviter cela.

Si vous aviez un message à adresser aux femmes de la diaspora ?

J’ai envie de leur dire : vous êtes magnifiques, comme vous êtes, ne laissez personne vous dire que vous ne l’êtes pas. Quand on vous dit que vous ne l’êtes pas, que vous êtes trop noires, c’est une agression verbale, une agression raciale et j’ai envie de vous dire de rester comme vous êtes, vous êtes tellement belles !

Si je vous dis le mot ROOTS, cela vous évoque quoi ?

Cela m’évoque la tradition, l’Histoire et l’estime de soi.

Édition ROOTS n°21 – Spécial Mandé