COLLECTIVE FOR BLACK IRANIANS : Raviver le souvenir d’un peuple (quasi) méconnu

Quand on est Noir, Africain et Iranien, on navigue une communauté dans laquelle il n’y a pas d’admission de la réalité des dynamiques raciales existantes, indépendamment des réalités des dynamiques raciales occidentales. Les conversations sur si l’on est Noir ou Blanc en tant qu’Iranien sont quasi-inexistantes, et seulement plus fréquentes au sein du discours dominant principalement grâce au mouvement Noir Américain Black Lives Matter. Les discussions sur la race, sur la couleur, sur l’histoire, d’ailleurs peu connue, de l’esclavage transsaharien, et d’autant moins connue de celui du Golfe Persique, sont très rares et souvent mal perçues, traitées de séparatistes et donc, peu comprises. On évolue, ou tout du moins on essaie d’évoluer dans une société qui se dit ne pas discerner entre Noir et Blanc, et pourtant une société qui historiquement a toujours discerné la couleur noire des autres couleurs. Dans la communauté Iranienne tout comme dans la communauté Turque pour nommer un autre exemple de la région, on n’hésite pas à utiliser la couleur noire pour se moquer et faire rire les masses avec la pratique répandue dans la diaspora Iranienne de siyah-bazi, le blackface iranien, une performance habituellement au théâtre où des acteurs non-Noirs se griment la peau de noir et portent souvent les noms de Haji Firuz ou Mobarak, tous des noms d’ancêtres Africains Noirs qui étaient esclaves dans les années 1800 de l’Iran des Qajar.

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Mais, l’identité iranienne n’est pas seulement noire à travers la pratique de la traite de l’esclavage des populations notamment de l’Afrique de l’Est, avec une abolition tardive, en 1929 en Iran. La région et sa proximité avec le continent africain assurent une migration économique à travers la pratique de la pêche aux perles, des migrations de choix, etc.
Le Collectif, j’ai voulu le créer avec un village de voix et d’histoires comme la mienne et différentes de la mienne, d’identités qui se positionnent aux intersections d’être Iranien, d’un pays africain ou de descendance africaine et noire. Nous travaillons avec des historiens qui nous accompagnent dans notre travail de reconstruction de la mémoire collective sur le narratif Noir, Africain, Iranien, Afro-Iranien et Africain de descendance Iranienne. Par exemple, nous avons produit l’histoire de Khyzran, une femme née à Zanzibar dans les années 1830 et trafiquée dans les eaux du Golfe Persique jusqu’en Iran où elle est vendue pour concubine . Son témoignage a été enregistré dans l’histoire mais effacé des mémoires des Iraniens, qui pour beaucoup, malgré une présence de populations Afro-Iraniennes notamment dans le sud de l’Iran, s’étonnent encore de voir un individu Noir parler couramment le Farsi ou se présenter en tant qu’Iranien, que cet individu soit en partie Iranien et en partie Africain ou Iranien de descendance Africaine, Afro-Iranien.

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Le Collectif pour les Noirs Iraniens, c’est en quelque sorte ce qui se passe quand on s’autorise d’embrasser tous les segments de son identité, malgré la cacophonie sociétale et parfois aussi interne qui nous impose de nous « aligner » aux côtés de l’identité dominante et de mettre en périphérie tous nos autres segments, de les taire.
Je suis née en France, j’ai grandi à Téhéran et un peu à Brazzaville, puis dans la banlieue française avec des longs étés intermittents en Iran. Pour moi, l’identité qui m’a fournie un fondement alors que je naviguais les différentes sociétés auxquelles je me sentais appartenir, était et est toujours, mon identité Noire. Mes expériences au parc à Téhéran quand les gamins me traitaient de singes et me sautaient dessus, criant d’autres aberrations racistes et arrachant mon foulard, mais aussi la beauté de ma mélanine qui me suit alors que je navigue la société Française, Américaine, Iranienne ou Congolaise. Mes souvenirs d’enfance reçoivent écho par douzaines, avec les récits que nous partageons d’Iran et de sa diaspora à travers diverses formes de multimédia.
Notre village, notre Collectif offre l’avantage de la nuance avec bien-sûr nos identités Africaines diverses. Je suis donc Congolaise, Alex Eskandarkhah est Iranien, de descendance Africaine donc Afro-Iranien, Nader Shahyegh est Jamaïcain Noir Américain Iranien, Pegah Bahadori est Afro-Iranienne et nos expériences sont toutes profondément ancrées dans l’intersectionalité de nos identités.

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Quand j’ai rencontré Homayoun Fiamor, un des co-fondateurs du Collectif, son expérience en tant que Togolais, Iranien, Français, était différente de la mienne. C’était pour lui, une enfance passée en France avec des étés en Iran, et des souvenirs dont il est très nostalgique aujourd’hui déjà. La diversité de nos histoires est importante en ce qu’elle fournisse un écho comme ceux des après-midis passés dans le nord au bord d’une rivière à manger du kabab enrôlé dans du nan sangag croustillant, la mélanine plus élevée que celle de tous les autres membres de la famille. Alors nous réalisons et produisons nos propres films, afin de nous assurer de la formation de nos points de vue, basés sur nos expériences dans nos communautés. Des courts métrages tels que We Are Here – Nous Sommes Là, d’Alex Eskandarkhah, où son frère poète Afro-Iranien Canadien se rappelle du temps passé en Iran et des regards insistants, du questionnement s’il est vraiment Iranien.

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Nous avons aussi un court métrage, Siyah Zibass- Le noir est beau, de la réalisatrice Afro-Iranienne Sarah Farajzadeh de Bandar Boushehr, sud de l’Iran, qui nous présente l’histoire de deux Afro/Noires Iraniennes qui partagent leur expérience de racisme anti-Noir. Mais aussi Golden Crown – la Couronne Dorée, qui raconte l’histoire d’une Afro-Américaine, Iranienne, et l’histoire derrière son prénom Maya Zarrin Taj Mansour, un court que j’ai réalisé pour le Collectif.

Toutes ces histoires sont là pour tisser notre discours collectif, pour influencer la culture Iranienne, l’équilibrer avec la culture Afro-Iranienne, avec nos récits du Sud et de sa diaspora, et de la culture Noire et Africaine et vice-versa. Tout au long, nous assurant à travers nos séries, Consciousness et Siyah Zibass, que la beauté et l’intelligence de l’Afrique Noire et de ses récits est célébrée à travers l’art que nous produisions en collaboration avec divers artistes Iraniens, Africains, Afro-Américains. Le but est de continuer à puiser dans nos intersections pour influencer notre culture.

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Priscillia Kounkou-Hoveyda, juriste droits de l’homme, documentariste et fondatrice du Collectif Noirs et Afro-Iraniens, une initiative critique qui propose une culture Iranienne qui se tient à ses intersections Noires et Africaines, parmi toutes les autres.

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Homayoun Fiamor, acteur, photographe et co-fondateur du Collectif Noirs et Afro-Iraniens.