Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je suis Alhassane Cherif. Je suis originaire de la Guinée Conakry, en France depuis plus d’une quarantaine d’années car j’ai été contraint et forcé de partir de chez moi à cause de la politique de Sékou Touré. Je suis ethno-psychologue et responsable de la maison Soundjata Keïta dans le 20e arrondissement de Paris qui est un centre de médiation interculturelle et d’aide psychologique aux familles migrantes. Je donne aussi, ponctuellement, des cours à la faculté de médecine de Saint-Antoine sur l’ethnopsychologie.
Qu’est-ce un Ethno-psychologue ?
Psychologue de formation, je suis un spécialiste de la santé mentale qui, tout en se servant de la théorie freudienne, prend en compte les codes culturels et les représentations de celui qui vient d’ailleurs.
Votre parcours…
Je suis venu en France très jeune, j’ai fait toutes mes études ici dans des conditions très difficiles financièrement et psychologiquement car j’ai été coupé de mes racines familiales et parents restés au pays. Avec abnégation et courage, j’ai pu aller jusqu’au bout de ce que je voulais faire comme études en ayant pour seul guide la parole et les valeurs que m’ont inculqués mes parents restés au pays.
Une journée de travail type ?
C’est une journée assez chargée, par exemple à la maison Soundjata Keïta, nous nous occupons de consultation, médiation, expertise et formation (d’étudiants en psychologie ou de travailleurs sociaux). Avec nos patients, nous mettons en place un dispositif constitué du modèle de thérapie africaine, c’est-à-dire que pour recevoir une famille nous sommes nombreux : il y a un thérapeute principal et des accompagnateurs. Nous ne pouvons pas être seuls avec un patient car le modèle en Afrique de la santé et de la prise en charge est un modèle communautaire, tout se fait en groupe.
Avez-vous toujours voulu faire ce métier ?
Plus jeune, je réalisais un stage à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris. Un jour, alors que j’étais avec une collègue interne, un malade africain nous demande si ça ne nous dérange pas qu’il demande à son village de lui envoyer des médicaments en complément de ceux qu’il prenait ici. L’interne lui répond de façon très méprisante: «Non non ce n’est pas comme cela que l’on se soigne ici, voici comment on se soigne..». Résultat, le malade s’échappe de nuit parce qu’il ne sait pas senti écouté et revient deux jours après, presque mourant. Peu de temps après son arrivée, il décédait. À partir de ce moment, je me suis dit qu’il fallait que l’on sache aussi que l’Afrique a ses propres prises en charge. Il est important qu’un psychologue écoute son patient en respectant ses codes culturels afin de comprendre sa souffrance.
Qu’est-ce qui rend ce métier beau ?
Il y a beaucoup de choses qui rendent mon métier beau et passionnant. Je vais tout de même vous raconter l’histoire d’un des 15 enfants soldats que j’ai eu dans ma carrière. On va l’appeler Christian. A l’âge d’environ 11 ans, il perd son frère de 5 ans subitement et comme vous savez, en Afrique, on donne toujours un sens à la mort ou on cherche à lui donner un sens. La famille de Christian, suite au décès de son frère, fait venir un guérisseur qui vient dire que ce n’est pas une mort naturelle et désigne Christian comme étant le sorcier qui a mangé l’esprit de son frère. A ce moment-là, pour conjurer la sorcellerie de Christian, on va l’attacher dans la brousse où il devra rester pendant 3 jours, mais il réussit à s’enfuir. Évidemment, il ne peut plus rentrer chez lui. Un jour, sur son chemin, il rencontre la guérilla congolaise qui l’enrôle comme enfant soldat. Très vite, il obtient des grades. Quelques temps après, suite à une grave dépression, il réussit après un long périple à rejoindre la France. Lorsqu’il arrive ici, il est pris en charge par mes collègues blancs. Il leur explique son incroyable histoire mais ceux-ci ont eu du mal à le croire, estimant que cela était un délire de perception et qu’il était en totale paranoïa. Ensuite, on l’envoie chez moi et, au bout de 6 mois d’ethno-psychologie, il parvient à s’en sortir et mène aujourd’hui une vie d’expert-comptable.
Quelle est votre motivation ?
Chez moi en Guinée Conakry, les Cherif sont une famille de Griots, Marabouts, Guérisseurs et c’est sans doute ce que je serai devenu si je n’avais pas vécu en France. C’était donc un parcours logique. Je me sens en mission ici car j’ai souvent constaté que mes confrères blancs ne comprenaient pas toujours certains patients noirs. Moi, j’écoute leurs paroles, discours, je fais mon travail de psychologue en prenant en compte tout l’aspect culturel.
Si je vous dis Roots, vous dites ?
Cela me fait penser à l’identité, au retour aux valeurs familiales, ancestrales mais c’est surtout pour moi le retour à sa propre racine. L’écrivain et poète Amadou Hampaté Ba, qui est mon maître absolu, disait qu’il ne fallait jamais laisser à quelqu’un d’autre le soin d’expliquer votre culture à votre place.
Édition : ROOTS n°7
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