LES CHEFFERIES : Quel est leur rôle ?

Inventé par le colonialisme, ce terme, loin du folklore qu’il évoque, définit avant tout une institution coutumière, c’est-à-dire fondée sur le droit oral. Ce type de structures politiques existe un peu partout sur le continent Africain et prend une forme spécifique d’un pays, d’une région à l’autre. La résidence ou concession du chef comprenant le Palais Royal et abritant les dépendances de l’édile, les maisons des femmes en pays Bamiléké est une chefferie. La dimension spatiale de ce centre de pouvoir est liée à sa nature même. Le « fo » en est le maître, à la tête d’un réseau de personnes. C’est au départ la cellule familiale restreinte, réunie sur un même territoire. À mesure que ce cocon s’agrandit, alors qu’il se gérait de manière autonome, le besoin qu’une autorité symbolique aide à apaiser les conflits se fait sentir. Au Niger, le chef Haoussa est le Zangouet Naaba. La fonction est héréditaire et confiée à un notable. Souvent le doyen endosse cette fonction. Le chef joue différents rôles au Tchad. Il répartit les produits du grenier qu’il a en gestion, entre les membres de la communauté. Il peut marier les jeunes femmes. Il modère les rapports entre les Hommes et les Dieux. Il peut avoir un autre rôle que religieux, et administrer le village. S’il a beaucoup de pouvoirs, il est cependant soumis à beaucoup de contrôle. Ainsi toute décision à prendre est l’affaire de tous. La palabre, généralement tenue dans la Case Royale, permet de réunir un conseil, de juger et de trancher. Le chef jouit d’un statut privilégié dont il est censé ne pas abuser. L’institutionnalisation des chefferies se fera à la période coloniale. Voyant le bénéfice qu’ils pouvaient en tirer, les colons ont cherché, à leur arrivée, à transformer les chefs coutumiers en agents dociles de leur administration. Ils ne sont donc plus l’autorité de référence, mais des médiateurs entre le nouveau pouvoir colonial en place et les populations à administrer. Un redécoupage administratif et territorial, notamment au Niger, en cantons et provinces a donné lieu à des amputations de chefferies anciennes. Cela a créé de nouveaux territoires, sans réalité historique, assortis de révocations répétées de chefs. Dans d’autres pays, comme au Tchad, la famille élargie régresse au profit du kodj, la famille restreinte. Les jeunes vont remettre en cause la légitimité des vieux. Ainsi, l’idée consistant à penser que toute chefferie est nécessairement ancienne, est une idée reçue. C’est à coup sûr une institution qui continue d’exister, un peu partout, et d’être utile comme l’atteste la récente intronisation d’un chef sénégalais religieux. Lors des conflits en Casamance, en 2001, il a été « engagé » pour temporiser et aider à la sortie de crise. Il réside dans le bois sacré d’Oussouye. Cependant, les chefs souffrent actuellement de la même défiance, que l’on rencontre à l’égard des griots, accusés parfois de n’être que des croqueurs de monnaie. Comme le dit l’adage « un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Un chef qui s’éteint, c’est aussi tout ou partie de l’histoire politique d’un pays qu’on biffe.

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Par Dolorès Bakela

Édition : ROOTS n°7