PIERRE A. THÉODORE “…Et je dois soulever ce monde”

“Nous vivons au quotidien dans les répercussions de notre division. Essayons l’union, la solidarité pour voir ce que ça donne.”

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Pierre André Théodore de mon vrai nom, Defaya Blake pour mon blaze. Je suis un jeune Afro-caribéen passionné de la vie, qui, à bien des égards, désire soulever ce monde…

Revenons brièvement sur votre parcours. D’Haïti au Gabon…
Houuullaaa brièvement vous avez dit ? (rires).
Malheureusement, je n’ai pas vécu bien longtemps à Haïti car peu de temps après ma naissance, ma mère et moi sommes allés retrouver mon père qui vivait en Guadeloupe depuis dix ans. Je suis l’avant-dernier d’une famille de six enfants. J’ai grandi à Sainte-Rose qui est la plus belle ville de la Guadeloupe (rires) dans des conditions modestes avec une mère femme de ménage et un père menuisier. J’ai effectué toute ma scolarité en Guadeloupe jusqu’au BAC avant de poursuivre mes études en aéronautique à Toulouse où je suis resté trois ans. Diplôme en poche, j’ai décidé de rentrer au pays pour des raisons que je ne citerai pas ici (rires). C’est une compagnie aérienne régionale qui m’a donné la chance d’exercer mon métier pour la première fois. C’est aussi à ce moment-là que je me suis lancé dans la politique en devenant conseiller municipal avec en charge la jeunesse et la cohésion sociale. Après quelques mésaventures professionnelles, j’ai pris un virage à 180°. J’ai tout plaqué pour vivre une expérience hors du commun loin des miens, sur l’île de la Réunion puis à Mayotte. Ma vie a pris une autre dimension professionnellement mais aussi personnellement car durant ces cinq années passées dans l’océan indien, j’ai pu réaliser mon rêve qui était de voyager largement à travers le globe. Ensuite, j’ai vécu quelque temps aux Pays-Bas avant d’être licencié à cause de la pandémie du Covid19. Et c’est pendant le confinement qu’on m’a proposé ce poste au Gabon; j’ai répondu par l’affirmative sans hésitation.

Vous avez souffert de dyslexie et de dysorthographie. Décrivez-nous ces handicaps et comment les avez-vous surpassés ?
Et j’en souffre encore. L’objectif était de transformer mes faiblesses en atouts ! Je ne les aborde pas comme étant des handicaps justement mais comme des troubles qui me rendent “Dysfférent”. Je n’arrive toujours pas à écrire sans fautes d’orthographe qui peuvent être logiques pour les autres, je n’arrive pas à lire rapidement et de manière fluide, les mots s’entremêlent, bougent certaines fois et je trouve que je ne m’exprime pas correctement.
Avant de vouloir surpasser ces troubles, je suis d’abord passé par une phase d’acceptation. Puis une fois que j’ai fait corps avec cela, j’ai dû travailler sur mon mental car j’ai vite compris que je devais travailler cinq fois plus que les autres pour être au même niveau. Mais je dois aussi parler des bienfaits d’être Dys car je perçois le monde avec plus de créativité et de simplicité. Mon cerveau est en constante réflexion, j’ai toujours une nouvelle idée.

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Votre objectif est d’inspirer et impacter votre génération. Quel état des lieux faites-vous de la dynamique entrepreneuriale actuelle dans le monde afro-caribéen et quelles sont vos aspirations ou débuts de solution ?
Le point positif est qu’il y a de plus en plus de personnes issues de la communauté qui osent entreprendre. Nous commençons à comprendre que nous aussi nous pouvons sortir de notre condition de victimes et accomplir de grandes et belles choses pour améliorer le monde dans lequel nous vivons. Le champ des possibles est tellement vaste que nous avons tous une ou des places sur l’échiquier entrepreneurial à condition d’être sérieux, respectueux et intègre. Le point négatif est que nous sommes trop souvent isolés, trop peu solidaires, et pas ou mal organisés. Nous n’avons pas encore compris la puissance du lobbying et de l’entraide.
Je pense qu’il faut éduquer les futures générations à être de vrais leaders, leur donner les tips que nos parents n’ont pas pu nous donner et que l’école n’inculque pas, à s’organiser en petits comités afin qu’ils puissent s’entraider dans leurs projets respectifs et créer de vraies success stories. Je désire parcourir le monde et organiser un show afin d’éveiller les consciences, pousser les gens à avoir foi en eux, en ce qu’ils sont réellement.

“Nous commençons à comprendre que, nous aussi, nous pouvons sortir de notre condition de victimes et accomplir de grandes et belles choses pour améliorer le monde dans lequel nous vivons.”

De l’envie de rédiger un livre à sa conception finale, quelles ont été les étapes clés ? Les moments de doutes ou de certitudes ?
Comme je le disais précédemment, j’aime challenger ma vie et j’ai pour habitude de foncer d’abord et de réfléchir après. J’étais arrivé à un stade où je ressentais un besoin de partager mon expérience et de transmettre un certain nombre de conseils au plus grand nombre. Sans me poser trop de questions, j’ai commencé à écrire les grandes lignes de ma vie et l’exercice était de tout développer mais après la 30ème page, j’ai été submergé non seulement par le syndrome de l’imposteur mais aussi par des pensées limitantes. Je me disais que mon histoire n’allait intéresser personne, que je suis dyslexique et dysorthographique donc que cela n’aboutirait pas à quelque chose de qualitatif. À partir de cet instant, j’ai décidé de me faire aider par un coach en écriture ce qui a fait disparaître les craintes sur la qualité de mon œuvre même si je ressentais toujours ce syndrome de l’imposteur.
Le mot certitude a pris tout son sens lorsque j’ai vu non pas une mais plusieurs maisons d’éditions majeures vouloir publier mon livre. C’est plus de deux ans de travail qui se concrétisent et je ne peux pas nier que j’appréhende beaucoup la sortie de mon livre.

Quels sont vos prochains défis ?
Vu que le photographe de ROOTS magazine pensait que j’étais un modèle professionnel, je me dis maintenant pourquoi pas ? (rires).
Plus sérieusement, je travaille actuellement sur l’ouverture d’une section aéronautique au Gabon en partenariat avec l’institut IIEFA du Gabon et le Lycée de Blanchet de Guadeloupe (mon ancien établissement scolaire) donc tout un symbole. Ce projet me tient vraiment à cœur car j’ai l’impression de donner la possibilité à d’autres de vivre les merveilleuses choses que j’ai pu vivre. Je travaille aussi sur l’ouverture d’un établissement en Guadeloupe. Vu le stade précoce du projet, je ne peux malheureusement pas en parler. Ma marque UPPERY PARIS est dans les startings blocks. C’est une marque qui véhicule les valeurs de développement personnel. Enfin, je prépare un concept novateur pour la promotion de mon livre.

Que représente Haïti pour vous ? Y avez-vous des projets à termes ?
Je ressens toujours une forme de dichotomie lorsque je parle d’Haïti car d’une part elle représente parfaitement ce que Madame Taubira appelle le désordre du Monde; ce qui me renvoie à un sentiment de tristesse profond. Mais paradoxalement elle est aussi synonyme de résilience, d’abnégation, et de bravoure, et pour tout cela, j’en suis très fier.
Je n’ai pas vraiment de projet structuré pour Haïti si ce n’est mon intégrité dans ce monde. Néanmoins, je désire intervenir dans les écoles là-bas pour y développer la culture du tout possible.

Si vous aviez un message à adresser à la diaspora ?
Nous vivons au quotidien dans les répercussions de notre division. Essayons l’union, la solidarité pour voir ce que ça donne.

Si je vous dis le mot « Roots », vous me répondez ?
“Qu’en me renversant, on n’a abattu à Haïti que le tronc de l’arbre de la liberté des Noirs, il repoussera par les racines, parce qu’elles sont aussi profondes que nombreuses.” Toussaint Louverture. Tous les Noirs du monde sont les racines de la liberté et du succès donc UP NO DOWN.  

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