HARRY ROSELMACK : La force tranquille

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Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Harry Roselmack, j’ai 47 ans, je suis d’origine martiniquaise, né à Tours, en Indre-et-Loire. Je suis, entre autres, producteur, journaliste, écrivain et j’ai fait un peu de musique aussi.

Sous la présidence de Jacques Chirac, vous avez occupé, dès 2006, l’un des postes les plus prestigieux en télévision, à savoir animer le JT de TF1. S’en est suivi un tapage médiatique sans précédent. Est-ce que vous trouvez qu’on en a trop fait, pas assez fait et est-ce que les lignes ont bougé depuis votre nomination ?
Est-ce qu’on en a trop fait ou pas assez, je n’ai pas vraiment à en juger. On en a beaucoup fait parce que pour le pays c’était quelque chose de disruptif et les disruptions provoquent toujours commentaires et analyses. Ma sœur, qui vit en Angleterre depuis plus de 20 ans, a été surprise de toutes ces réactions, car au moment où j’arrivais sur le JT de 20h en France, Sir Trevor McDonald un présentateur anglais d’origine jamaïcaine, anobli par la Reine d’Angleterre, prenait sa retraite à Londres. Ce décalage en dit long sur l’état de notre pays par rapport à ces questions de diversité. Je pense que, depuis 2006, les choses ont évolué mais pas assez. Ce n’est pas qu’une question de couleurs sur les écrans. Ce dont a besoin la diversité ici, c’est de sentir que ce qu’elle a à apporter fait partie intégrante aujourd’hui de l’identité française. Or la vision que la France renvoie d’elle-même à l’étranger n’intègre pas ce qui a été amené par les vagues d’immigration successives. Tant que cela ne sera pas fait, vous aurez beau mettre 5 ou même 20 Noirs ou Maghrébins à l’antenne, ça ne changera pas fondamentalement les choses.

Vous ne partez donc pas du postulat que c’est par la représentativité médiatique que l’on façonne l’inconscient des gens ?
Bien sûr, cela y participe. J’ai moi-même constaté que j’ai pu avoir un impact sur le fond, et pas seulement de forme, dans les rédactions au sein desquelles j’ai travaillé. Il y a des sujets auxquels je vais être plus sensibles que certains de mes confrères en raison de mes racines. Ce que je disais est que le problème est beaucoup plus profond que l’image que l’on peut renvoyer derrière un écran. Le problème est celui de l’identité nationale. Celle qui est censée nous rassembler. On l’a bien vu lors du débat sur l’identité nationale initié par Nicolas Sarkozy et qui était en soi une très bonne idée. On a vu comment cela a dérivé… Des débats organisés en préfectures avec des gens qui définissaient une identité de retrait, de racines françaises, chrétiennes, blanches, qui ne correspondaient pas à l’identité réelle du pays aujourd’hui. Nous devons régler ce problème.

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Avez-vous essayé de sensibiliser, à votre échelle, les pouvoirs publics ?
Je veux casser une idée reçue – et dont nous (journalistes) sommes responsables collectivement – qui consisterait à croire que nous côtoyons les puissants et aurions la capacité de les influencer. Dans mon cas, je ne connais ni le Président, ni le Premier Ministre, ni les ministres. Je connais très peu de parlementaires et pas de façon suffisamment proche pour leur parler des choses dont nous sommes en train de converser à cet instant. Je ne peux pas avoir de rôle d’influence directe à ce niveau-là. Je pense que notre rôle est de travailler de la façon la plus professionnelle, en étant ce que l’on est. En revanche, quand je suis journaliste sur l’antenne de TF1, je ne suis pas un Noir, ni un homme vs une femme. Je suis un citoyen ouvert à 180° sur ce qui peut intéresser ses concitoyens. Ce qui a le plus impacté le public, auprès des Blancs et des non Blancs, c’est de se rendre compte qu’un JT de 20h présenté par un Noir restait un journal de 20h de qualité et qu’il n’y avait pas de différence. J’ai fait les mêmes études et suivi le même cursus que tout présentateur de JT et il n’y a pas de raison que le travail d’un présentateur Noir soit de moins bonne facture. C’est en cela que l’on normalise les choses, que l’on fait reculer les idées parfois préconçues.

Vous étiez un journaliste qui exerçait auparavant en radio, à l’abri des regards. Que cela fait-il de devenir du jour au lendemain un « people », un sex symbol pour certaines, une figure de représentation de la communauté noire pour d’autres… Est-ce pesant au quotidien ?
Il y a des choses que j’assume, d’autres moins. Tout ce que vous citez je les considère comme des conséquences de ma passion pour un métier que j’ai choisi par amour des gens et par amour des mots. J’assume d’être devenu une sorte de symbole et repère pour beaucoup.
J’ai fait et je continue de faire des choses qui impactent et marquent une forme d’évolution positive, donc pas de problème. Ensuite, pour le rayon vedette ou sex symbol, c’est flatteur mais je ne me gargarise pas de ces choses-là. Je ne vais pas me cacher derrière mon petit doigt en disant que j’ai la même vie que le citoyen lambda, ce ne serait pas totalement vrai. Mais ce n’est pas un sésame à toute épreuve et ce n’est pas toujours très agréable. Disons que je compose avec, plus que je ne m’en félicite.

Vous avez développé d’autres axes à votre carrière professionnelle, notamment à travers la réalisation. Pouvez-vous nous en toucher quelques mots ?
Ce sont les aléas de mon clavier d’ordinateur qui m’ont mené vers cette carrière de journaliste. Mon guide dans tout ce que je fais professionnellement parlant est et restera toujours l’écriture. Le fait de me poser devant un ordinateur ou une feuille blanche et écrire. Faire du journalisme, c’est parler de l’âme des gens et j’ai désormais envie de parler à leur âme. Pour parler à leur âme, il faut faire de l’art, que ce soit du cinéma, de la littérature, de la musique… J’ai envie de cela parce que je me rends compte que les gens sont à un point de rupture de ce qu’ils peuvent supporter comme frustrations. En tant que journalistes Tv, nous sommes porteurs des mauvaises nouvelles du monde et en ce sens, c’est important, mais je ne sais pas si nous faisons du bien aux gens. On peut parler de l’âme humaine tout en lui faisant du bien, sans la stresser davantage et je crois que c’est cette démarche qui m’a conduit vers la fiction. J’ai réalisé mon film Fractures que j’exploite depuis maintenant 2 ans et que je vais continuer à développer sur différents supports. C’est difficile mais gratifiant. Il y a également d’autres projets sur lesquels je suis en train de travailler. J’ai écrit un recueil de nouvelles en binôme avec un ami écrivain. Cela s’appelle NOUVELLES D’APRÈS 20 H, il est sorti fin octobre 2020. J’écris également et accompagne des auteurs de fictions. C’est un domaine qui m’intéresse.

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Si vous aviez une baguette magique et la possibilité de collaborer avec n’importe quels acteurs ou actrices anglophones et francophones vivants ?
En anglophone, Denzel Washington, c’est vraiment le top !
Ce serait magique. Je l’ai d’ailleurs rencontré et j’ai été frappé, comme jamais auparavant, par le charisme d’un homme. En francophone, je dirais Omar Sy à contre-emploi, Matthias Schoenaerts et Audrey Tautou dont je suis sûr qu’ils peuvent encore nous surprendre.

Quel est votre ressenti sur cette édition Karayib ?
C’est une très bonne initiative. C’est très bien de se le remettre en tête : nous sommes évidemment capables de réussites. Franz Fanon a très bien expliqué comment le complexe colonial a fait d’une partie d’entre nous des gens complexés, névrosés, qui pensent qu’ils ne sont pas capables de… Il faut stimuler l’estime de soi et combattre ce complexe, notamment par la lecture. Et pourquoi pas celle de cette édition spéciale de ROOTS Karayib ! Je peux témoigner du parcours de Clarisse Hieraix que je connais depuis très longtemps et qui partage cette couverture. Je peux témoigner que l’excellence d’un parcours n’est pas quelque chose de magique, d’instantané. Je l’ai vue travailler, je l’ai vue financer son école de mode en bossant chez McDo, je l’ai vue obtenir ses diplômes en cumulant plusieurs métiers. Elle a toujours été d’un courage et d’une constance exceptionnelle qui l’ont mené là où elle est aujourd’hui. C’est un exemple du fait que le travail, l’engagement, le fait de ne rien lâcher sont des clés qui mènent au succès. Josselyne Béroard est une sommité caribéenne qu’on ne présente plus. Joey Starr est quelqu’un que j’apprécie énormément et pour des choses qu’il ne montre pas toujours au premier abord : sa sensibilité, sa fragilité… Durant ce shooting, j’ai découvert Wil Aime que je ne connaissais pas et qui m’a l’air d’être très prometteur. J’ai également pu échanger avec Kelly Massol. Ce genre d’initiative permet de nous côtoyer, d’échanger. Et surtout, l’intérêt d’une couverture avec ces 6 profils d’excellence et diversifiés est de permettre aux lecteurs de s’identifier à au moins l’un d’entre nous.

Quel est votre lien avec la Martinique ?
Si vous aviez un message à adresser à la diaspora ?
C’est un lien grandissant. Plus j’avance, plus ce lien est fort, plus cet appel vers mes origines est puissant. Quand je vais aux Antilles, je sens une cohérence totale entre ce que je suis et ce que sont ce « pays » et ses habitants. Si j’avais un message à adresser, ce serait de prendre soin de nos enfants. J’ai parfois un peu peur quand je vois certains jeunes Caribéens qui semblent peu guidés. C’est donc un appel aux parents, aux familles élargies, parfois même aux voisins : vous êtes des guides pour les enfants alors il faut toujours avoir un œil sur eux pour les guider, les conseiller.

Si je vous dis le mot « Roots », cela vous évoque quoi ?
La Martinique.

Édition ROOTS Karayib