Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Jammeh Diangana, j’ai 25 ans, je suis originaire de la Gambie. Je suis acteur et, en parallèle, entrepreneur.
Le grand public te connaît depuis le film Banlieusard. Comment es-tu tombé dans la marmite du cinéma ?
Plus jeune, je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. J’avais plein d’ambition, je voulais être boulanger, mécanicien… Mes parents voulaient que je fasse un métier respectable où on est bien habillé, ils me chuchotaient à l’oreille que je devais faire du commerce international… J’ai pensé à être banquier…
Mais, l’année de mon baccalauréat, je me suis retrouvé dans les problèmes car il me manquait des points. Si je n’ajoutais pas une option, je risquais de ne pas avoir mon diplôme. C’est ainsi que j’ai choisi l’option théâtre et, de là, tout a commencé.
L’option théâtre a été la révélation ?
En quelque sorte oui. Au départ, je n’étais pas trop à l’aise, c’était un choix par dépit. Au fur et à mesure des séances, je me suis senti à l’aise et les choses se passaient de mieux en mieux. À la fin de l’année, nous avions organisé une représentation au Théâtre des Amandiers, avec une salle comble. J’avais invité des amis et c’est eux qui, à la fin, m’ont dit que je devrais sérieusement songer à persévérer dans cette voie. Mais vu ce que mes parents prévoyaient pour moi, je ne les ai pas écoutés et j’ai choisi la voie classique. C’est comme ça que, une fois le bac en poche, je me suis lancé dans des études en banque.
Alors qu’est-ce qui a provoqué le déclic ?
C’est en allant à la fac que je me suis rendu compte qu’être assis sur un banc, écouter un prof… Je n’y voyais pas d’utilité immédiate. Dans cette période à cogiter, je repensais à mes activités au théâtre et je me disais que ce serait tout de même extraordinaire si j’arrivais à faire de cela un métier.
Je décide alors d’arrêter mes études et recontacte ma prof de théâtre pour lui dire que je vais me mettre à fond dans cette voie. Je commence à éplucher toutes les pages Facebook de castings et à m’abonner sur les sites spécialisés. J’avais décidé d’arrêter les cours en janvier et, au bout de 5-6 mois, je décroche un premier rôle en tant que figurant dans Roulez Jeunesse, un film où jouait Eric Judor. Je m’en rappelle comme si c’était hier. C’était une façon de me mettre le pied à l’étrier. J’ai fait tous les castings possibles et imaginables. Même s’ils recherchaient une blonde aux yeux bleus, j’étais prêt à postuler (rires) ! J’avais conscience que, sur un projet de film, il n’y a pas qu’un seul personnage. C’était une période de charbon, vraiment très compliquée. La deuxième fois, j’obtiens encore un rôle de figuration dans un court-métrage. Comme j’avais faim, je sautais sur toutes les occasions. Je n’avais aucune notion de prestige ou autres, j’étais déterminé. J’ai participé à un troisième projet au Nikon Festival, avec de jeunes étudiants, c’était à Montpellier. Puis, j’ai fait une dernière figuration pour un film étranger où Stéphane Bak jouait le rôle principal. C’est à ce moment précis que je me suis dit : « Ok, je vais redoubler d’effort et m’imposer une détermination sans faille ! ».
“ Je priais sans arrêt en demandant, mot pour mot : « Dieu, accorde-moi le rôle de Souleymane dans le film Banlieusard de Kery James ». Jusqu’à ce que je reçoive ce coup de fil qui a changé ma vie. ”
Finalement, comment décroches-tu le « Graal », à savoir ton premier grand rôle dans Banlieusard, le film de Kery James ?
Pour accéder au rôle principal dans Banlieusard, cela a été très compliqué. J’ai été au courant du projet Banlieusard au moment où Kery James vient sur Nanterre pour y faire une étape de sa tournée théâtrale : À VIF. Étant donné que ma prof de théâtre savait que j’écoutais beaucoup de rap et que j’étais un fan de Youssoupha, Rohff, Mafia K’1 Fry… et qu’il y avait une classe de STMG programmée pour aller à la rencontre de Kery, elle décide de faire en sorte de me « plugger » pour que j’ai l’occasion de discuter avec lui. J’y vais, on l’interviewe et là il me demande si j’ai déjà fait du cinéma. Il me fait part de son projet de long métrage et qu’il y a, peut-être, un rôle qui pourrait me correspondre. Il me passe alors les coordonnées de la directrice de casting, en me disant : « N’hésite pas à la rafaler, ce n’est pas du piston, je te donne l’info, maintenant à toi de faire le job. » Et c’est ce que j’ai fait. Je l’ai harcelée pendant 4-5 mois sans réponse jusqu’au jour où j’ai eu un retour de sa part. Elle me dit que le projet est mort et que, de toute façon, le casting était déjà clôt, donc que j’arrête d’inonder sa boîte mail. Je savais que Kery était encore en tournée théâtrale alors je fais tout pour le recontacter et lui demander quel est le souci. Il m’explique alors que le projet a des problèmes de financement et me conseille de rester actif. Entre temps, je participe au concours Eloquentia pour essayer de me faire repérer et voir ce dont je suis capable face à un public. Je remporte Eloquentia et, peut-être 5 ou 6 mois après, apparaît un casting pour le rôle de Souleymane dans Banlieusard. Netflix avait décidé de se mettre derrière le projet et je décide de postuler. Nous étions en juillet 2018. Je suis reçu par le directeur de casting. On t’envoie un texte qui est déjà dans le film et il faut que tu arrives à l’interpréter. Il s’avère que le texte que l’on m’envoie est une plaidoirie et moi, quelques mois auparavant, je venais de remporter un concours d’éloquence. Donc je me dis « Bingo, c’est tout bon pour moi ! » Je fais mon essai, tout se passe super bien, on me dit « c’est sûr qu’on va te rappeler, tu as fait une super prestation, etc ». Deux semaines après, on me rappelle pour un second passage, avec deux fois plus de texte, mais cette fois-ci avec une pression de dingue car il y aura Kery James et Leïla Sy (la réalisatrice) qui seront présents. J’avais une séquence à interpréter avec Kery et une séquence avec mon futur petit-frère dans le film. La première partie avec Kery se passe super bien, mais la deuxième partie avec mon frère un peu moins. À ce moment, lui était déjà quasi sûr d’avoir son rôle.
Je rentre chez moi, pas super satisfait de ma presta et on me rappelle deux semaines après pour me dire finalement que le rôle de Souleymane a été confié à un autre. Ils m’expliquent qu’ils ont privilégiés quelqu’un qui est déjà introduit dans le cinéma. J’étais réellement dégouté car j’étais persuadé que ce rôle était taillé à ma mesure. J’avais totalement capté le « mood » du personnage et il n’était pas si éloigné de ma vraie personne. J’appelle alors le directeur de casting pour lui dire que, selon moi, ils viennent de faire une « dinguerie » ! Ce jour-là, j’avais les larmes aux yeux, j’avais faim, j’étais hargneux. Il m’explique en gros : « Calme toi, ça fait partie du jeu. Sois déjà content d’être arrivé jusqu’au casting final et reste à côté de ton téléphone au cas où un petit rôle se débloquerait. » J’étais assommé et, vu que Banlieusard n’avait pas été concluant, je décide de reprendre des études, cette fois-ci en sciences du langage. Après 2 ou 3 semaines de cours, j’étais toujours autant dépité, je ne faisais que penser à Banlieusard. Je suis de confession musulmane et je priais sans arrêt en demandant, mot pour mot : « Dieu, accorde-moi le rôle de Souleymane dans le film Banlieusard de Kery James ». Jusqu’à ce que je reçoive ce coup de fil qui a changé ma vie. J’étais en cours, Dez le responsable de casting m’appelle et me demande mes disponibilités. J’étais resté sur notre dernière conversation, donc je me dis qu’il m’appelle car un petit rôle s’est débloqué. Et là, il me rétorque : « Si je t’appelle, c’est pour le rôle principal. Le premier choix n’était finalement pas le bon, es-tu toujours partant ? Reste à côté de ton téléphone, je vais te rappeler dans la journée car tu devras certainement passer demain au studio » À ce moment-là, je n’y crois pas réellement car j’avais déjà eu trop d’ascenseurs émotionnels. Il me rappelle 5 minutes plus tard et me dit : « Ecoute, tu peux être en cours ou ce que tu veux, Kery et Leïla veulent te voir tout de suite. Donc soit tu restes là où tu es et rates l’opportunité, soit tu saisis ta chance. » Comme dans les films, je prends mes affaires et je sors en catastrophe de ma salle de cours en prétextant une urgence. Je m’en souviens, c’était un mercredi. J’arrive à Vincennes, toute l’équipe du film était prête. Kery me fait entrer dans une petite salle, il me prend face à face et pose le scenario sur la table « Ouvre-le à telle page et commence à me lire tout ça à voix haute. Essaye d’incarner le personnage. Ok, c’est bon, tu es prêt ? » Là, il appelle toute l’équipe et ils déboulent tous dans la pièce. Il y avait également Chloe Jouannet, la fille d’Alexandra Lamy, qui joue le rôle de mon « crush » dans le film. Je fais mon essai, cela se passe super bien et on me dit : « Ok on va te recontacter dans les jours à venir ».
Je rentre chez moi. Le vendredi, je vais en cours. Je n’avais pas checké mon téléphone et je tombe sur un message « C’est Kery, rappelle-moi ». Là, mon coeur bat à 100 000 et il me dit : « Toutes les choses faites dans ce monde le sont par la Grâce de Dieu. On avait pris un premier acteur, ça ne s’est pas passé comme on le souhaitait. On s’est réunis avec l’équipe, on a réfléchi sur ton cas et c’est toi qu’on a choisi de prendre. Tu seras la colonne vertébrale du film ». À cette époque j’avais des bagues aux dents et Kery ça le dérangeait un peu au niveau de l’esthétique. D’autant plus que le tournage démarrait lundi, 3 jours après. Là, tout s’est accéléré en 48 heures : rdv en urgence avec un dentiste, en même temps j’ai la maquilleuse et la costumière qui m’appellent, mon téléphone a chauffé en moins de 5 minutes et j’ai réalisé que j’étais vraiment dedans ! J’ai eu 2 jours de préparation avec un coach, puis tout le reste s’est fait sur le plateau. Et la suite, vous la connaissez.
“ Sois audacieux, vas à la rencontre des gens, même si tu as l’impression de déranger ! ”
T’es-tu immédiatement senti à ta place ?
Au départ, tu te demandes un peu ce que tu fabriques là. Même si on n’avait pas un budget de malade, tout est fait pour que tu sois mis dans d’excellentes bonnes conditions. Ils font en sorte que ta seule préoccupation soit de te concentrer sur ton acting. On me loge dans des hôtels, alors qu’avant cela je n’avais jamais dormi dans une chambre d’hôtel. Je me sentais comme un poisson dans l’eau car j’étais encadré par un mec que j’écoute et respecte depuis que je suis petit. C’est un peu comme si c’était la famille.
Quand Banlieusard 1 sort, le projet est un carton. Comment vis-tu cette soudaine notoriété ?
Dans mon quartier, personne n’était au courant que je tournais le film. Je ne voulais pas me « mettre l’oeil ». Quand le projet est sorti, j’ai reçu énormément de bienveillance. Mais, comme dans un café, si tu mets trop de sucre… Il a fallu que je sache gérer tout cet enthousiasme. Et je n’ai pas su le gérer correctement. J’ai commencé à me perdre et ne plus me reconnaître. J’ai senti des personnes s’approcher pour gratter un peu de mon buzz, etc. Et c’est pour cela qu’au bout d’un moment, j’ai coupé les réseaux sociaux car toute cette attention autour de moi me perturbait.
Savais-tu qu’un Banlieusard 2 serait programmé ?
Vu la fin du premier film, je savais que c’était une éventualité. Mais on n’en savait pas plus car on était dans un contexte particulier, avec l’arrivée du Covid. Je débute à peine et le Covid gêle toute activité ! Il y a tout de même eu 4 ans entre les deux films. C’était une grande période de flou.
Le cinéma est un univers qui fascine. Si tu avais un conseil à donner pour quiconque voudrait s’y frotter ?
Avec l’expérience Banlieusard, je me suis rendu compte que, réellement, tout est possible. En revanche, je suis un mytho si je dis que tout est facile et que tout le monde va y arriver. Mon seul conseil est que, si tu es persuadé de vouloir en faire ton métier, fonce ! Sois audacieux, vas à la rencontre des gens, même si tu as l’impression de déranger ou de saouler. Parfois, le fait d’être « relou », ça marche (rires).
Que peut-on te souhaiter pour les 5 années à venir ?
Ce qu’on peut me souhaiter est la même chose que l’on peut souhaiter à toute la jeunesse en France, en Afrique et partout dans le monde : la paix, la santé et la réussite dans ce que j’entreprendrai.
Si tu avais une baguette magique, quel serait le rôle que tu aimerais incarner et aux côtés de qui ?
Si j’avais ce pouvoir, je choisirais de jouer n’importe quel rôle, en anglais, aux côtés de Michael B Jordan.
Originaire de la Gambie, que cela représente-t-il ?
Mon père est né au Sénégal, mais il est retourné très vite en Gambie. Donc, de base, ma famille est gambienne à 100%. J’ai eu la chance d’y aller 3 fois. Mais pour un jeune de 25 ans, dont les parents sont très attachés à leur culture, je trouve que ce n’est pas assez. J’ai hérité de la Gambie les valeurs de solidarité et d’hospitalité. À mes yeux, c’est un pays qui est extrêmement noble. D’ailleurs, le fait de tourner au Sénégal pour Banlieusard, pays voisin de la Gambie, ce fut un grand moment. Pareil pour Kery James qui est d’origine haïtienne, ça a été un instant très fort de pouvoir être sur la terre africaine. J’étais juste un peu déçu de ne pas avoir eu le temps de faire un crochet par la Gambie car j’ai encore beaucoup de famille sur place, mais le timing du tournage a fait que c’était mission impossible.
Si je te dis « Roots », tu me réponds ?
Mon père.
Commentaires