Saint Ann’s Bay, c’est le nom de la petite ville jamaïcaine où est né, le 17 Août 1887, un certain Marcus Garvey. Benjamin d’une fratrie de onze enfants, il est le fils d’une domestique travaillant également à la ferme, et d’un tailleur de pierre. C’est son père qui lui inculque dès son plus jeune âge, la soif de connaissance et l’amour de la lecture.Descendant des marrons (esclaves noirs qui parvenaient à s’échapper des plantations avant l’abolition de l’esclavage) et chrétien, il se rend régulièrement à l’église. Là, ce qui subjugue le jeune garçon, en dehors bien évidemment de l’aspect religieux, c’est l’aisance avec laquelle les différents prêtres s’adressent aux paroissiens; il souhaite pouvoir captiver les foules comme eux. A l’âge de 14ans, il est contraint de mettre un terme à ses études, faute de moyens. Quelques années plus tard il emménage à Kingston, comme des milliers d’autres jamaïcains en quête de travail. Mais peu de temps après son installation, il est pris dans un mouvement de grève lancé par les ouvriers de l’usine où il travaille; le jeune homme, grâce à ses qualités d’orateur et ses larges connaissances, est très vite nommé porte-parole de la protestation. Bien que le mouvement ait échoué, Marcus Garvey est désormais piqué par la fièvre de la lutte contre les inégalités.Il décide donc d’éditer en 1909 son propre journal : The Watchman (le veilleur). La même année, il se rend au Costa Rica, là il est frappé par les conditionsde travail des noirs sur les chantiers (notamment celui du fameux canal de Panama). En effet, les ouvriers blancs sont classés comme « employés d’or », leurs salaires et leurs statuts sont bien meilleurs que ceux des ouvriers noirs, qui eux sont classés «employés d’argent». Inspiré par sa précédente expérience, il récolte les témoignages de ses confrères, les conseille et prend leur défense face aux autorités locales et aux chefs de chantiers. Mais les enjeux économiques et politiques, dominent malheureusement l’aspect humain. Considéré comme un « nouveau Toussaint Louverture », il est expulsé du territoire. A son grand étonnement, son retour en Jamaïque est triomphal. A présent il sait que la cause qu’il défend dépasse sa simple volonté ou même les frontières de l’empire britannique, Marcus Garvey se veut serviteur du peuple noir… Conscient d’être investi d’une mission, il décide d’aider les siens à travers le monde. Antilles, Amériques du sud, Angleterre partout où il se rend c’est toujours le même constat: traités de manière inhumaine et vivant dans la pauvreté, les noirs sont toujours leslaissés-pour-compte de la société.Il poursuit son périple à Londres où il rencontre plusieurs partisans, ensemble ils militent dans la rue, affirmant à quel point être noir doit être une fierté. Il clame «Soyez aujourd’hui aussi fiers de votre race que l’étaient vos pères dans le passé. Nous avons une belle Histoire et en créerons une autre qui étonnera le monde».
Dans les bibliothèques de la capitale, il trouve les écrits des premiers militants noirs comme Edward Blyden ou encore Booker T. Washington. Ces livres sont un véritable déclic, ils sont une nouvelle source de motivation et lui servent de ligne directrice dans la poursuite de son combat. En 1914, fort de son périple, il retourne en Jamaïque et fonde l’UNIA: Universal Negro’s Improvement Association ( l’Association Universelle pour le progrès des Noirs). Cette association a pour but d’élever les consciences et de rendre chaque homme et femme noir(e) fier de sa couleur. Il décide de créer comme Booker T. Whasington, des lycées destinés à l’apprentissage de techniques industrielles pour les jeunes jamaïcains; mais trop isolé, ne peut mener son projet à bien. Malgré son découragement , il choisit de partir aux Etats-Unis afin d’obtenir une entrevue avec l’homme qu’il admire, le fameux Booker T. Whashington. Cependant cette rencontre n‘a pas lieu, telle une malédiction la mort emporte ce dernier alors même que Marcus Garvey se rend à sa rencontre. Là encore, c’est avec indignation qu’il constate qu’aux Etats-Unis la situation de ses frères noirs est tout aussi (voir plus), injuste qu’ailleurs: les intellectuels, les artistes ainsi que les métis, sont tous, sans distinction, considérés comme des non-blancs et donc assujettis aux lois ségrégationnistes.Il décide alors de déplacer le siège de l’UNIA à New York, où il rencontre un autre grand leader noir, W.E.B. Dubois (Voir article Roots #4 NDLR). Et bien que leur cause soit commune, les moyens pour y parvenir sont très différents. Pour W.E.B. Dubois l’intégration des noirs est possible grâce à la culture, l’enseignement et la mise en avant de l’art, alors que M. Garvey, adopte une position plus radicale, car selon lui, l’intégration ne peut être possible dans les pays où les lois sont érigées uniquement par les blancs.Peu à peu la voix du jamaïcain se fait entendre dans le Nouveau Monde. A présent des milliers d’auditeurs se déplacent pour assister aux meetings de Marcus Garvey. Il lance en 1918 un nouveau journal, The Negro World, sous le slogan « Un Dieu, un but, une destinée ». La Black Star Line est le plus grand projet mis en place par M. Garvey, il s’agit d’une compagnie maritime visant à encadrer le retour des noirs vers l‘Afrique. Car c’est là le but de notre militant: permettre aux noirs, descendants d’esclaves, de retourner sur leur terre d’origine. Plusieurs voyages sont organisés et des centaines de familles sont emmenés vers le Libéria (pays non en proie à la colonisation). Mais son image est fortement écornée lorsque les médias dévoilent qu’il est en pourparler avec des responsables du Ku Klux Klan, dans le but de récolter des fonds. En effet, l’organisation qui prône la suprématie blanche, désireuse de vivre sans noirs à l’intérieur des frontières américaines, peut selon M. Garvey, et seulement dans le cadre du retour de son peuple vers l’Afrique, devenir un allié financier. C’est alors une période difficile qui commence, car beaucoup de ses partenaires se retirent. En 1922, un procès concernant la mauvaise gérance de sa compagnie le conduit devant le tribunal pour escroquerie. Il est reconnu coupable et écope d’une peine de prison accompagnée d’une amende de 1000 dollars. Dénonçant les Colonies et accusant les pays occidentaux d’exploiter le continent africain tout en se faisant passer pour « bons civilisateurs », il considère que ces accusations sont portées à son encontre à cause de son rôle de contestataire de plus en plus important. De la prison il continue de diriger son organisation grâce au soutien de sa femme Amy Jacques, une jamaïquaine qu’il a épousée la même année et qui travaille également au sein de son association.
En 1923 elle publie pour lui Philosophie et Opinions de Marcus Garvey. Libéré en 1927, sans même pouvoir repasser par le siège de L’UNIA à Harlem, il est extradé vers la Jamaïque, où l’attendent des milliers d’admirateur. Plus qu’une célébrité, il est considéré en Jamaïque, et plus particulièrement par les adeptes du mouvement Rastafari, comme un prophète. On le nomme même couramment Mosiah (l’équivalent de Moïse).Il se remet rapidement au travail, reprend les commandes de l’UNIA, et part régulièrement en Europe afin de prêcher la bonne parole.
Sa vie politique et journalistique reprend également. Marcus Garvey recommande l’instruction du peuple noir pour mieux se défendre : «Un peuple qui n’a aucune connaissance de son Histoire, de ses origines et de sa culture est comme un arbre sans racines».
En 1935 il quitte à nouveau la Jamaïque et part vivre à Londres, laissant sa femme Amy et ses deux enfants. Mais progressivement son mouvement perd de l‘ampleur. Vivant dans la misère notre apôtre de la cause noire s’est éteint le 10 Juin 1940 sans même avoir pausé le pied sur le continent africain.En 1962, à l’heure de l’indépendance jamaïcaine, il est désigné par le gouvernement comme étant le premier Héros National.Marcus Garvey s’est battu toute sa vie pour les siens, et bien que certaines de ses idées puissent être contestées, on ne peut contester le fait qu’il ait mené son combat avec le cœur, guidé avant tout par l’amour qu’il ressentait pour les noirs du monde entier.
«Je ne connais pas de frontière à la cause de la race noire. Le monde entier est ma province jusqu’à ce que l’Afrique soit libre».
Par Tamandra Geny
Édition : ROOTS n°6
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