Rencontre avec la journaliste et militante anti-raciste Rokhaya lors de sa conférence intitulée “Médias et Minorités : pourquoi le miroir est -il invariablement déformant?”, organisée le 19 septembre 2016 à la Loge.
À l’aube des présidentielles 2017, quel est ton état des lieux sur la place des noirs dans les médias en France depuis l’avénèment de Harry Roselmack au JT de TF1, 10 ans après ?
Il y a une amelioration indéniable de la visibilité des minorités dans l’espace médiatique français. Il est vrai qu’après les révoltes de 2005 et l’arrivée d’Harry Roselmack, on a assisté à une vraie progression sur la composition des plateaux télé mais qui ne s’est pas nécessairement accompagné d’une interrogation similaire dans d’autres organes de médias, comme la presse écrite. Peut-être parce qu’elle estime ne pas avoir les mêmes gages de visibilité à donner. Je dirais qu’entre 2005 et 2012 il y a eu une progression et l’idée selon laquelle il fallait vraiment composer des plateaux assez divers avec des figures non-blanche s’est propagée. Mon sentiment est que cette question qui était un vrai débat dans les années 2000, n’en est plus un aujourd’hui. J’ai l’impression que beaucoup de ces médias n’ont plus du tout le sentiment qu’ils doivent continuer à faire des efforts. Étant donné que la France est passée par un certain nombre de crises, ce débat est passé au second plan.
Ce sujet peut-il être posé sur la table lors des présidentielles ou l’actualité terroriste risque de l’effacer, de facto ?
Ce n’est pas un sujet populaire et les candidats le considèrent comme étant clivant. On ne peut les forcer à en parler que s’ils ont le sentiment d’avoir un intérêt quelconque à traiter le sujet, mais aujourd’hui, les électeurs considérés comme étant les plus désirables sont ceux du Front National. Ce sont des électeurs qui peuvent être repoussés par des candidats qui tiendraient compte de considerations liées à des arabes, noirs ou asiatiques.
Ce n’est pas un sujet bankable.
Même si l’on sait que les personnes dites des “minorités” votent de façon écrasante pour les partis de gauche, il y a cette idée qu’il s’agit d’une population déjà aquise. La Gauche ne fait donc pas d’effort car elle considère que ces populations non-blanches votent soit à gauche, soit ne votent pas du tout et qu’il n’est donc pas nécessaire d’aller les draguer. Et cela s’est verifié en 2012, avec les scores fabuleux de François Hollande en Seine Saint-Denis ou en Guadeloupe et Martinique.
La question du boycott est une vraie question politique, mais j’ai l’impression que culturellement, en France, ce n’est pas une arme qu’on est capable d’utiliser. On peut l’utiliser dans le cadre des élections, certes, mais également à visée des médias concernés. Lorsqu’un media recrute un chroniqueur qui de manière répétée tient des propos qui sont offensants et insufflent de la haine dans l’opinion, on pourrait également se dire qu’il faut les boycotter. Malheureusement, je ne sais pas si en France nous sommes capables de nous regrouper “politiquement” pour enfin peser. Il y a un noyau militant qui peut parfaitement mettre en place un système de boycott, mais je ne suis pas sure qu’il sera suivi par la masse. Aujourd’hui, la chance que l’on a se nomme les réseaux sociaux, où des hashtags sont nés et ont donné la possibilité de ridiculiser des positions problématiques.
Pour le second point, je pense effectivement que les réactions venant de l’extérieur peuvent faire bouger les lignes. Je me rappelle que lors de “l’affaire du magazine Elle” – qui avait fait un papier délirant et dénigrant sur les codes vestimentaires des femmes noires – il y a eu des réactions hexagonales, puis Rihanna a réagi et cela a joué un rôle. Immédiatement, lorsqu’une personnalité étrangère s’implique, cela a du poids. De même pour l’affaire Guerlain, où des groupes ont fait venir des militants afro-américains qui leur ont fait comprendre qu’il n’y avait pas des noirs uniquement en France et que s’ils s’organisaient la résonnance pourrait se faire à l’échelle internationale, et je pense que cela aussi a joué un rôle.
Tout cela ne te donne pas envie de t’engager en politique ?
Je considère que je fais de la politique via le militantisme, mais je n’ai pas de réelles envies de m’engager dans de la politique partisane pour plusieurs raisons. Quand on s’engage dans une campagne, on est obligé de faire des choix dans une volonté d’être élu et ce ne sont pas forcément les motivations profondes qui priment. J’ai envie de construire des choses qui vont changer l’imaginaire collectif et je le fais à travers des documentaires et mon métier de journaliste. Documenter l’époque que l’on vit est important pour aujourd’hui mais aussi pour les générations futures.
Un message à la génération ROOTS pour nos 5 ans ?
ROOTS est une revue que je trouve extrêmement belle et en même temps très affirmative dans son identité afro-descendante et je souhaite que cette génération, de même que ceux descendant d’autres vagues migratoires, s’assument. La question du corps noir à travers le cheveu, à travers la peau, est très lissée dans les médias et je crois que notre génération a envie de s’affirmer et d’être pleinement elle-même, sans présenter d’excuse, noire jusqu’au bout des cheveux.
Commentaires