MAÏMOUNA DOUCOURÉ : Réalisatrice Afro-féministe

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je m’appelle Maimouna Doucouré, je suis scénariste réalisatrice. Je suis née à Paris et j’ai grandi dans le 19ème. J’ai 35 ans et je suis d’origine sénégalaise.

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Peut-on revenir sur votre parcours ? Comment êtes-vous tombée dans cet univers qui, de loin, paraît quasi inaccessible ?
Pour moi, c’était un univers totalement inaccessible et pourtant j’en rêvais. Je pensais clairement que ce n’était pas pour nous. Ce n’était pas un écran qui nous séparait du cinéma, mais plutôt un monde. Alors, j’ai gardé ça un peu secret, tout en écrivant parce que j’adorais écrire des histoires et je regardais beaucoup de films. Ça me fascinait. Mais j’ai continué mon parcours de vie dans complètement autre chose. Et mon rêve n’était jamais très loin. Je faisais du théâtre, j’écrivais et puis j’avançais comme ça en me disant qu’un jour peut-être ça viendra sans vraiment y croire. En 2013, j’ai participé à un concours de scénario et on m’a contacté pour me féliciter et me dire que j’allais pouvoir réaliser un film. J’avais trois mois pour en faire un sans argent. Ça a été une expérience de dingue et j’y suis arrivée. Je me suis dit que je n’avais pas fait d’école, que je n’en étais pas capable, mais j’ai pu réaliser mon premier film, mon premier court-métrage. Après ça, j’ai créé un autre film qui s’appelle « Maman » et qui a eu une carrière assez exceptionnelle étant donné qu’il a été sélectionné dans plus de 200 festivals à travers le monde. Ce court-métrage a remporté plein de prix et un César en 2017. Maintenant j’avance, je continue. J’ai plein de choses à dire et il y a « Mignonnes » qui est sorti en août 2020. Mon premier long métrage. Il devait sortir avant, mais avec le Covid il y a eu pas mal de freins.

Comment bascule-t-on du court-métrage au long-métrage ?
Disons que le court-métrage est un sprint et que le long-métrage est un marathon. Même si le court peut aussi être un marathon, parfois, mais c’est un petit peu plus rapide. L’écriture demande plus de temps. Par exemple, pour écrire « Mignonnes », j’ai fait un travail d’enquête pendant un an et demi. Ce n’était pas une invention de l’esprit, mais ce sont des choses que j’ai vus sur le terrain. J’ai eu l’idée en voyant des jeunes filles de 11 ans danser sur une scène de quartier. Elles dansaient de la même manière que l’on peut voir dans le film avec des vêtements courts et transparents. Enfin, comme elles le voient dans les clips finalement et dans toutes les images auxquelles elles ont accès. Elles étaient juste dans ce mimétisme là. Et je me suis demandée si elles avaient conscience de la signification de leurs gestes. Comme c’était en plein air, il y avait du monde, notamment des mamans et je voyais les réactions. J’étais avec une copine et on a commencé à échanger. C’était un vrai choc de cultures. Et je repensais à moi quand j’avais leur âge. Avec mes copines on dansait sur du reggae. Je me rappelle que c’était très sensuel. Il fallait descendre jusqu’en bas (rires). La grande différence entre mon époque et aujourd’hui, c’est l’exposition. Nous, on le faisait entre nous, pour nous et c’était bon enfant. On allait en après-midi (boîte de nuit, à ciel ouvert, mais en journée). C’était en moyenne pour les gens de 15 ans, mais on y allait déjà à 11-12 ans. On voulait paraître un peu plus grandes dans le “game”, comme on dit. Alors j’ai repensé à tout ça. Et je me suis demandée comment ces jeunes filles vivent cette expérience à l’ère du numérique avec tout ce qui se passe. La pornographie est totalement banalisée et très accessible. En France, la moyenne tourne autour de 12 ans concernant le premier visionnage de la pornographie. J’ai commencé à arrêter plein de jeunes filles dans la rue et dans les parcs. Elles m’ont raconté des histoires qui m’ont tellement bouleversé et que je n’ai même pas osé raconter. J’en n’avais ni la force ni le courage honnêtement. Par exemple, il y a de la prostitution chez des petites de 12 ans ou encore l’escorting qui est à la mode en ce moment et qui commence aussi très tôt. J’ai parlé avec une assistante sociale qui m’expliquait un cas d’escort qu’elle devait gérer. Et ce n’était pas la première fois que ça arrivait. Quand elle me racontait cela, j’en tremblais et je n’ai pas voulu aller jusqu’à là dans mon film.

Comprenez-vous que certaines images de Mignonnes puissent heurter ?
Oui, je comprends tout à fait. Maintenant, mon parti pris artistique en tant que réalisatrice était d’être à hauteur d’enfant. De raconter mon personnage à 100% et d’être avec elle. Que le spectateur soit pris par la main et vive une expérience avec elle. Je ne porte pas de jugement clair sur mes personnages. On vit cette histoire avec elle, on ressent ce qu’elle ressent, on voit ce qu’elle voit. Par exemple, la scène sous le lit, on ne voit que les pieds. On comprend ce qu’elle comprend et on voit la vision du monde telle qu’elle se le représente. Quand elle est à l’extérieur, tout est coloré. Elle est trop bien avec ses copines. C’est sa vision du monde, c’est la manière dont elle l’interprète. Quand elle est chez elle, c’est un peu sombre et, au fur à mesure de l’histoire, ça devient de plus en plus sombre. C’est comme ça que j’ai construit la lumière du film, les décors, les costumes, etc. Finalement, c’est à travers cette danse qu’elle pense trouver une forme de libération. Et elle s’expose parce que directement après avoir dansé, les filles publient sur les réseaux sociaux pour avoir des likes. Ce qu’elles voient, c’est le résultat, mais elles ne comprennent pas ce que ça veut dire de danser comme ça. En tant que réalisatrice, j’aurais pu cadrer d’une certaine manière et filmer son visage, mais mon personnage ne vit pas de cette façon. Elle déploie son corps en entier pour rechercher cette forme d’amour qui lui tient tant en cette période de vie si compliquée et si révoltante pour elle.

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Est-ce un film à destination de toutes les générations ?
En sortant de ce film, on est obligé de parler. Qu’on soit d’accord ou non. L’objectif est de donner la parole et d’écouter les plus jeunes parce que je trouve qu’on ne le fait pas assez. En tout cas, dans notre culture, étant d’origine sénégalaise, on ne calcule pas trop les enfants alors qu’ils voient tout, entendent tout et savent tout. On se dit que ce sont des enfants jusqu’au jour où il se passe un truc : une qui tombe enceinte ou un autre qui finit en prison. Ce sont des enfants, mais ils ont l’état d’esprit et l’intelligence pour comprendre certaines choses. Ce film est une prise de conscience.

Votre actrice principale crève littéralement l’écran. Comment s’est déroulé sont casting ?
On a vu 700 petites filles, à travers la France. C’était un casting assez intense et l’actrice principale était la toute dernière. Quand je l’ai vu, j’ai pleuré parce que je l’avais tellement attend ! C’était un plaisir de dingue. Je pense qu’elle a un don, mais qu’elle ne le savait pas. Elle n’avait jamais pensé à jouer.

Comment fait-elle pour être aussi à l’aise, à seulement 12 ans ? Êtes-vous intervenue ?
Oui, je suis très très fusionnelle avec mes acteurs. Déjà, il y a des prédispositions. Moi je pense qu’il y a un don qui est là quelque part. C’est un travail qu’on ne fait pas avec n’importe qui. Il y a beaucoup de complicité, d’échanges. Chaque personnage avait un animal qui lui était attribué. Par exemple, le personnage principal était un chaton qui a évolué en chat et qui est devenu une panthère. Le fait qu’elle se mette dans la peau de l’animal l’aidait à trouver sa démarche et sa posture. En fonction de l’évolution, ça me permettait de trouver la justesse du personnage.

La France connaît un problème de visibilité au niveau des acteurs et des actrices noirs. Vous donnez-vous pour rôle de faire émerger des nouveaux talents, un peu comme Spike Lee l’a fait avec Denzel Washington ou d’autres ?
Evidemment. Si on ne le fait pas, qui va le faire ? On m’a déjà dit d’aller aux États-Unis et de ne pas rester en France parce que j’allais galérer. Mais hors de question, je veux rester à part entière Française. Si chacun de nous part, il ne faut pas s’étonner que ça n’avance pas. Il y a de belles choses qui se sont passées dernièrement. On voit le succès avec « Les Misérables », « Tout simplement Noir », etc. Tout cela est encourageant. Il faut qu’on fasse émerger de nouveaux visages. Il faut que, nous aussi, on ait nos Kerry Washington, Viola Davis et Lupita Nyongo. Et puis, à travers ce cinéma, on peut offrir de nouveaux modèles parce qu’on n’a pas eu beaucoup de représentations et c’est dur de se sentir exister dans la société et de se construire. Je pense que c’est notre rôle de montrer de nouveaux visages positifs pour que la nouvelle génération puisse se projeter et se voir belle, grande et avec de multiples possibilités pour l’avenir.

Édition spéciale Afrique de l’Ouest. Que représente le Sénégal représente pour vous ?
Mes racines. Je suis née en France, mais j’ai beaucoup de famille au Sénégal comme ma grand-mère, notamment. Je pense que mon amour des histoires vient du Sénégal parce que quand j’étais petite et que j’allais voir ma grand-mère au village, il n’y avait pas de television, ni d’électricité. Elle nous racontait des contes pendant des heures et des heures et ça me fascinait beaucoup. Je pense qu’il y a cette connexion qui s’est créée et qui m’a donné ce goût pour les contes. Pour moi, « Mignonnes », c’est un conte avec plusieurs figures. Celle de la tante est très importante parce qu’elle est interprétée par Mbissine Thérèse Diop, la première actrice africaine à avoir joué dans un film. Et pas n’importe lequel, car c’était le premier film africain de l’histoire : « La Noire de… » dirigé par le grand Ousmane Sembène. C’était un honneur pour moi de l’avoir dans le film. Mes origines sont très ancrées, mais on peut sentir ma double culture, mon amour pour ma culture africaine et ma culture occidentale.

Un message pour nos lecteurs ?
Je pensais que le cinéma n’était pas pour moi mais j’ai réalisé mon premier long-métrage. Quelque soit vos rêves et vos inspirations, le but est de faire tomber les barrières limitantes et mettre en place le projet de sa vie.

Si je vous dis « Roots », cela vous évoque quoi ?
Je vois le continent africain, le berceau de l’humanité.

Édition ROOTS Afrique de l’Ouest