JEAN-PASCAL ZADI : Sa conscience nègre

Il y avait une envie réelle de tous les participants. On a toujours des préjugés sur tel ou tel célébrité mais, au final, tout le monde a sa conscience nègre […] Ce n’est pas parce que tu vois un acteur noir faire l’humoriste dans un film qu’il n’a pas les idées en place.

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je m’appelle Jean-Pascal Zadi, j’ai 40 ans, je suis né à Bondy. Je suis acteur, producteur, réalisateur. Je suis d’origine ivoirienne, mes parents sont des Bétés, vrais vrais Bétés même (rires).

On a tous en mémoire le film Tout Simplement Noir, qui a été le succès de l’été 2020. Suite au Covid, il est sorti plus tard que prévu et est tombé en plein dans l’actualité Georges Floyd et du mouvement Black Lives Matter. Ce timing est un simple hasard, une aubaine ou était-ce un frein ?
Ce n’était pas une aubaine car il y a tout de même un frère qui est mort. Mais j’ai l’impression que le problème des violences policières, qu’on a aussi essayé d’aborder dans Tout Simplement Noir, est quelque chose de récurrent. Peu importe la période où on aurait sorti le film, ça aurait été un sujet en vogue. Même à l’heure où on fait cette interview, il y a un gars qui est en train de se faire malmener quelque part. À l’époque, ça avait surpris les Blancs, qui disaient : « ça tombe au bon moment ». Comme c’est arrivé aux Etats-Unis, ils se sont intéressés à ce sujet, mais nous autres vivons avec cette crainte tous les jours. Alors, il est vrai que l’affaire George Floyd a donné une pleine grande caisse de résonnance à la sortie du film mais, pour moi, cette crainte de la police est toujours présente. Même pour moi qui ai 40 ans, cette crainte quand je marche la nuit, je l’ai toujours quand la police passe à côté de moi.

La célébrité n’a pas atténué ce sentiment ?
Je ne m’en rends pas compte. C’est seulement quand je croise un policier et qu’il m’apostrophe en me disant « Salut ! » que je comprends que les choses ont changé. Mais ma carcasse reste une carcasse de Noir, donc quand je marche je ne me sens pas célèbre (rires). Cette angoisse est là, pas seulement pour moi, mais aussi pour mes petits neveux, pour mes gars, pour tous.

Comment vivez-vous cette notoriété soudaine ?
Aujourd’hui, j’ai 40 ans donc ça ne change pas grand chose à ma vie. Si j’avais eu 20 ans, peut-être que j’aurais pété les plombs. Mais là, j’ai 3 gosses, je suis marié, je suis concentré dans le boulot. En revanche, d’un point de vue professionnel, ça m’ouvre de nouvelles portes. Avant, personne ne voulait travailler avec moi et, désormais, j’ai de nombreuses offres. Je reçois des mails de Netflix, France 2… La notoriété m’a donc offert la possibilité d’avoir plus de boulot. Sinon, si c’est histoire d’aller en boîte de nuit, etc, je ne suis pas dans ça.

C’est la première fois que l’on voit autant de personnalités noires regroupées au grand écran. Penses-tu que ce film fera date dans sa génération ?
Je ne sais pas si ça va faire date, mais on a montré qu’on pouvait, nous les Noirs, s’associer ensemble sur un projet cinématographique. On a montré, qu’aujourd’hui en France, on peut faire un film avec des Noirs et ça marche. Et à ceux qui disent : « Non, il ne faut pas aller voir ce film, ce sont des vendus », comme dirait ma mère je leur répondrais : « Au nom de Jésus, ils sont vaincus ! » (rires). Ce dont ne se rendent pas compte ceux qui ont fait des campagnes pour dissuader les gens d’aller voir le film, c’est qu’ils se mettent eux-mêmes des bâtons dans les roues. Si ce film n’avait pas marché, il y aurait eu encore moins de films avec des Noirs. Le fait que ce film ait fonctionné, ainsi que celui de Ladj (Les Misérables), cela montre que nous pouvons aussi être bankable.

Comment s’est effectué le casting du film ? Était-ce le parcours du combattant pour convaincre toutes ces personnalités de participer au film ? Comment a-t-il été accueilli ?
Je connaissais uniquement Fabrice Eboué. C’était le seul gars que je connaissais (rires). Et Éric Judor, vite fait. Finalement, tous les autres sont venus parce que ça leur semblait important de montrer que nous aussi pouvons faire des films qui traitent de nos problématiques et qui parleraient à tout le monde, pas seulement les Noirs. J’ai une anecdote sur Omar Sy. Déjà, je ne m’attendais pas du tout à réussir à l’avoir et il y a un truc qu’il m’a dit lorsqu’il a accepté de jouer dans ce film : « Ton truc, on va le faire et on va leur montrer que, quand on est organisé, on peut faire des trucs de ouf ». Cela m’a marqué. Il y avait une envie réelle de tous les participants. On a toujours des préjugés sur tel ou tel célébrité mais, au final, tout le monde a sa conscience nègre, et tout le monde veut faire avancer les choses. Ce n’est pas parce que tu vois un acteur noir faire l’humoriste dans un film qu’il n’a pas les idées en place. Il y avait une idée générale de tous de faire un truc marquant, et je suis juste arrivé au bon moment.

Est-ce que le film continue de te faire rire ? Et quelle est la scène que tu trouves la plus marrante ou la plus réussie ?
Je l’ai vu tellement de fois ! Mais les choses qui me font rire ne sont pas forcément ce que la plupart retiendra. Par exemple, l’un des trucs qui me fait rire c’est quand au début du film je fais 4 pompes et que je dis : « mon modèle, c’est Mohammed Ali » (rires). C’est ce genre de conneries qui me fait rire. Ou quand je suis en studio avec Soprano, que je rappe et que je dis : « Venez jeter vos papiers partout, fuck les Babtous », ce sont ces petits trucs bêtes qui m’amusent (rires).

Ce film aura finalement été la concrétisation d’un long cheminement ?
J’ai commencé à bosser ce projet et écrire le scenario depuis 2015. C’est une histoire qui me tenait à cœur. Je me faisais refouler de toutes les boîtes de production qui me riaient au nez en me disant : « Vas-y, ton truc est naze, c’est pété » (rires). Il y a même un gars qui m’a dit un jour : « Les Noirs, ça n’intéresse personne, jamais je ne vais produire un truc comme ça ».

Tu l’as invité à l’avant-première ?
Non, je ne suis pas dans ça. Lui il est assis là-bas, il sait qui il est, il a vu le succès du film. Cela faisait donc longtemps que j’avais ce film en tête, mais il fallait que j’aille au bout.

On a reçu beaucoup d’acteurs et humoristes et on fait le constat que les Noirs ne pouvaient souvent avoir accès au grand écran que par le biais de l’humour. Qu’en penses-tu ?
C’est partiellement faux. Regardez « Mignonnes » réalisée par Maimouna Doucouré, qui est une consœur de talent, Abdéramane Sissako, Raul Peck… Il y a plein de gens qui font des choses sérieuses mais est-ce que les gens y vont ? Si tu vas sur iTunes, il y a des films qui sont réalisés par des Noirs. On est en France, la plupart des films qui marchent sont des comédies, quelque soit le casting. Le cinéma, c’est une industrie, ils mettent de l’argent là où ça va rapporter. Ce sont des businessmen, ils ne sont pas là pour faire de l’associatif. Déjà, posez vous la question si les films sérieux de Blancs, si les films d’auteurs fonctionnent. En France, la comédie domine, c’est un fait. Dans ce gâteau de la comédie, nous aussi, il faut qu’on prenne notre part. Et puis, il faut comprendre une chose : Les gens qui réalisent des films en France sont des Blancs. Aux Etats-Unis, il y a une flopée de réalisateurs noirs. Il y a déjà une logique d’économie de marché. Quand Will Smith arrive, il pèse une tonne. Moi quand j’arrive, je suis qui ? Le cinéma investit là où ça va sortir, comme on dit en Côte d’Ivoire. Sinon, il y a Moussa Mansali qui fait des films sérieux, Djibril N’Zonga des Misérables. Il faut voir qui va investir sur eux. Il faut qu’il y ait des réalisateurs qui aient envie de faire des histoires avec eux.
Si tous les mecs en place sont des réalisateurs de comédie, il faudra davantage de réalisateurs noirs présents pour faire des trucs sérieux et faire travailler ces acteurs. Aux Etats-Unis, ils ont eu Spike Lee, Tyler Perry, Ryan Coogler qui a fait Black Panther et la liste est longue. Je ne suis pas trop dans le délire de crier qu’il faut mettre des renois partout. Ils vont mettre un noir dans Joséphine Ange Gardien ou dans Julie Lescaut et on continuera de vous dire « Oh, c’est bon là, on a mis un Noir ! » (rires).
On est encore tributaire des autres. Et au-delà même de la réalisation, il faut que nous-même on produise. Car tu auras beau avoir des réalisateurs noirs, si le producteur ne comprend pas ta vision, il ne va pas produire.

Tes prochains défis ?
Je n’ai pas de défi, j’ai un travail. Mon travail, c’est de faire des films, d’écrire, de jouer si le scenario me plaît. D’ailleurs, là on vient de me proposer un scenario sérieux que je vais faire. C’est un rôle de gangster un peu sérieux. Sinon, pour mes projets, il y a également le montage de la saison 2 de Craignos et mon deuxième film avec John Wax qu’on espère tourner au mois d’Avril, avec Gaumont.

Édition spéciale Afrique de l’Ouest. Que représente la Côte d’ivoire pour toi ?
La Côte d’Ivoire c’est trop important, c’est la base, man. Je suis né dans une famille pauvre de 10 enfants. Mes parents n’avaient pas les moyens de nous emmener souvent en Côte d’Ivoire. Pas comme les Arabes, les Algériens rentraient en vacances chez eux comme s’ils allaient à Rosny 2 (rires). Mes parents faisaient des allers retours et ils nous ramener des cassettes, des sketchs, donc la culture ivoirienne a toujours été présente dans ma vie. J’ai grandi en France mais c’est comme si j’étais en Côte d’Ivoire. Je connais tout ! Les sketchs de Gazé Gagnon. Tout le monde crie « Gohou », mais c’est arrivé bien plus tard dans les années 2000. Moi je te parle de Varietoscope, de Gazé Gagnon, des clips de zouglou des années 90, les films comme Balle Poussière, La vie est belle, La vie Patinée, Visage de femme… La culture ivoirienne est impregnée. Maintenant que j’ai un peu plus de moyens, j’emmène mes enfants en Côte d’ivoire dès que j’en ai l’occasion.

Si je te dis « Roots », tu me réponds ?
Je pense aux arbres, quelque chose d’ancré, qui est fait pour durer.

Édition ROOTS Afrique de l’Ouest