LES COULIES

« L’immigration consomme presque autant de créatures humaines que l’esclavage » : c’est un système de migration concernant des milliers d’Asiatiques-principalement chinois et indiens- qui migrèrent des Indes orientales vers Indes occidentales dans la première moitié du XIXème siècle, que Victor Schoelcher, grand acteur de l’abolition de l’esclavage dans les Antilles françaises, dénonce. Aujourd’hui, ce sont près de 10 000 en Martinique, 30 000 en Guadeloupe qui descendent de ces migrants indiens et chinois qui se sont engagés volontairement à travailler dans les champs des îles sucrières pour pallier le manque de main d’œuvre résultant de l’abolition de l’esclavage. En effet, alors qu’est proclamée la fin de l’esclavage en 1948 dans les Antilles françaises où la canne sucre constitue un élément prédominant de l’économie et que le départ des noirs libres causent des pertes dans les plantations, Martinique et Guadeloupe se sont transformées en terre d’accueil. Elles furent d’abord une terre d’accueil pour des Européens mais leurs migrations devint vite désavantageuse pour les propriétaires békés qui étaient obligés de leur accorder d’avantages de concessions comparés à leurs employés noirs. Ce sont ensuite des Chinois qui avec la mise en place des traités inégaux (1842) , voit leur interdiction d’immigrer levée. Dès lors, en trois décennies, environ un demi million de chinois émigrent vers les Antilles et la Réunion. A partir de 1856, le « coolie-trade » s’étend aux Indiens principalement issus des régions rurales du Tamil Nadu et du Gujarat, qui fuirent les transformations imposées par la couronne britannique les empêchant d’accéder à la terre pour leurs cultures vivrières. Ces indiens embarquent volontairement dans des bateaux qui les emmèneront vers les côtes antillaises, un contrat de travail de cinq ans à la main pour finir avec une rémunération bien moindre qui celle énoncée dans leur CDD, habitant dans les cases anciennement occupées par les esclaves noirs. Ce n’est qu’en 1884 que le gouvernement de Calcultta met fin au recrutement de travailleurs indiens par les autorités françaises mais peu d’Indiens auront choisi durant cette période l’option du rapatriement une fois leur contrat terminé et resteront donc sur ces îles. Le nom « coolies » est d’abord donné à ces migrants indiens puis aux chinois, deux expliqueraient cette expression : l’une serait que le mot provient de l’association des mots chinois ku et li (souffrance et travail), l’autre serait qu’il fait allusion à la caste Kuli présente dans la région de Bombay. Qu’importe la provenance de l’expression, celle-ci revêt aujourd’hui et depuis l’arrivée des migrants asiatiques une connotation négative. En effet, très vite après leur installation, ces migrants, fixés en Martinique et en Guadeloupe majoritairemeent à Basse Pointe et Macouba , sont accusés d’être responsables de la raréfaction de la terre, dénigrés car considérés comme les nouveaux esclaves dans la société post-esclavagiste antillaise, employés par des békés qui leur réservent des conditions de vie misérable.Ce dénigrement se perçoit dans des expressions comme « coolies mangeurs de chiens » ou « faib con an coolie » qui soulignent leur pseudo infériorité. Aujourd’hui, si la fracture sociale entre migrants indiens et autochtones créoles est partiellement fermée c’est grâce à l’ascension depuis la 2nde moitié du XXème siècle de descendants de coolies qui ont peu à peu effacé l’image dévalorisante de leurs ancêtres. C’est surtout l’action de personnes comme l’homme politique guadeloupéen Henry Sidambarom, fils d’immigré originaire de la région tamoul en Inde du Sud, qui se battit pour la reconnaissance de l’intégrité des « coolies chapes », descendants de migrants indiens, leur intégration à la société autrement que par la cuisine par exemple (le colombo antillais est un plat d’inspiration indienne) mais par la loi, et obtint en 1923 l’acquisition de droits civiques pour les « fils d’Hindous guadeloupéens ».

Édition : ROOTS n°13