JOSEPH DE SAINT-GEORGE : Le « Mozart noir » oublié

C’est sur l’île de la Guadeloupe que Joseph Bologne de Saint George voit le jour un 20 décembre 1745. Il est le fruit d’une liaison adultère entre Nanon, une esclave guadeloupéenne, et son père George de Bologne, un riche planteur d’origine hollandaise et ancien mousquetaire. Le père de Joseph est condamné à mort par pendaison après un duel où il tue son adversaire.
 
C’est à cette annonce qu’il prend la fuite et demande à sa première femme de cacher son jeune fils et sa maîtresse qui risquaient d’être confisqués en même temps que ses biens. Pour des raisons encore inconnues, Louis XV intervient et lui accorde grâce et réhabilitation. La famille rentre donc en Guadeloupe, et en 1753, Joseph est alors affranchi par son père et envoyé en France.

Ses parents finissent par le rejoindre à Paris, son père abandonne sa première épouse à Agen, et sa fille au couvent. C’est alors qu’il affiche sa liaison avec son ancienne esclave, mère de son fils. Étant donné les moeurs de l’époque, cette relation est évidemment très mal perçue par tous. Mais l’avis des autres importe peu à George de Bologne, son but étant de hisser son fils métisse au plus haut de la société française.  
 
En 1759, le jeune Joseph est pensionnaire dans l’une des plus prestigieuses académies. Il se prépare alors à servir le roi comme officier de cavalerie. Il est formé en fils de grand seigneur par le maître d’armes La Boissière et le chevalier Jacques-Philippe du Gard, écuyer de la grande écurie. À 15 ans, il endosse l’uniforme des gendarmes de la Garde commandés par Charles de Rohan, prince de Soubise, tout en continuant d’exercer ses deux passions que sont l’escrime et le violon.

Saint-George_DEon_Robineau

Joseph Bologne de Saint George a toujours eu un don pour la musique, car c’est en très peu de temps qu’il apprit le violon.
C’est le compositeur François-Joseph Gossec qui sera son professeur et lui apprendra à se perfectionner. Joseph composera entre 1772 et 1782 énormément d’opéras, mais également quelques pièces lyriques.
À l’époque, sa musique est très appréciée du public et se retrouve jouée dans toutes les cours d’Europe, certains musicologues déclarant même que sa musique a influencé Mozart qui, on doit le rappeler, est né 11 ans après lui. Gossec fait de lui l’un des principaux violonistes du « Concert des amateurs », créé par lui-même en 1769. 4 années plus tard, après avoir pris la direction du « Concert Spirituel », il nomme alors Joseph Saint George chef d’orchestre et en fait le meilleur de France !
 
Par la suite, Joseph candidate pour diriger le prestigieux opéra de l’Académie royale de musique. Il est en position de favori, sans compter qu’il est alors le professeur d’une certaine Marie-Antoinette… Mais une pétition faite par des chanteuses est adressée à la reine contre Joseph Bologne Saint George, qui décide alors de l’évincer. Le sujet de la pétition était « représenté à sa Majesté que leur honneur et la délicatesse de leur conscience ne permettaient jamais d’être soumis aux ordres d’un mulâtre ».
 
En 1793, Joseph Bologne devient le premier colonel noir de l’armée française de la « Légion des Américains et du Midi », autrement appelée « Légion Noire ». Rebaptisée « 13e régiment des chasseurs à Cheval », elle est exclusivement composée de noirs et métis. L’un des officiers sous ses ordres se nomme d’aileurs Alexandre Dumas… Accusé de trahison suite à la révolution à la tête de son bataillon des hussards, il sera malheureusement destitué et emprisonné durant 18 mois, près de Clermont, dans l’Oise. À sa libération, il reprend ses activités de chef d’orchestre, sans parvenir à retrouver le succès d’antan. Il meurt seul dans son hôtel particulier parisien, à 54 ans.

Sa mort est honorée dignement dans les journaux de l’époque, mais Bonaparte, qui est alors premier consul de France, rétablit illégalement l’esclavage aux Antilles, en 1802, et fait brûler toutes les oeuvres de Saint George. Quelques temps après, Napoléon Ier interdira formellement aux Noirs et gens de couleurs d’entrer dans l’armée, l’accès au territoire métropolitain et l’ensemble des mariages interraciaux.
 
La destruction des oeuvres de Joseph Bologne Saint George conduit à l’oubli de celui-ci.
Mais en 2001, la rue Richepanse à Paris (limitrophe des 1er et 8ème arrondissements) est débaptisée pour devenir la rue du Chevalier-de-Saint-George. Une plaque sur laquelle on peut lire : Compositeur et chef d’orchestre, Capitaine de la Garde Nationale Lille et Colonel de la Légion des Américains et du Midi. De quoi réhabiliter la triste histoire du « Mozart noir » guadeloupéen, oubliée de tous, sur volonté de Napoléon.

Par Cécilia Manzambi
Édition : ROOTS n°20