“ Cette maladie (la drépanocytose) m’a conduite à la résilience : je ne lâche rien et je vais toujours au bout de mes objectifs ! ”
Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Stéphanie TOURE-JENNI, 38 ans, avocat au Barreau de la Seine-Saint-Denis et originaire de la Côte d’Ivoire. Mon cabinet se situe à Bobigny, juste en face du Palais de Justice où j’exerce à titre individuel.
Jeune, femme, originaire d’Afrique subsaharienne et ayant grandi dans le 93, vous êtes une success story française…
Pour être franche, mon parcours n’a pas été simple, je devais me battre plus que les autres et toujours me surpasser pour atteindre mes objectifs. Ma condition de femme et ma couleur de peau n’ont pas toujours aidé, j’ai essuyé de nombreux échecs, je suis tombée à plusieurs reprises mais j’ai toujours su me relever.
Après avoir obtenu mon baccalauréat Sciences Economiques et Sociales (SES), je me suis tournée vers ce que j’aimais depuis toujours le droit. J’ai obtenu un Master 1 et Master 2 en Droit de la santé. Mon parcours de vie m’a conduit tout naturellement vers cette matière afin de pour voir venir en aide à toute personne rencontrant des difficultés dans le domaine médical. Par la suite, j’ai intégré un Institut d’Etudes Judiciaires (IEJ) afin de préparer l’examen du CRFPA, examen qui m’a permis d’accéder à l’Ecole de Formation du Barreau de Paris qui permet d’obtenir le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (CAPA). C’est grâce à ce certificat que vous pouvez exercer la profession d’avocat.
Etre issue de l’immigration et vivre en banlieue n’est pas synonyme d’échec. Bien au contraire, il faut juste savoir comment faire briller la flamme qui est en chacun de nous. Peu importe d’où l’on vient tant qu’on a la volonté, la détermination, on peut gravir des montagnes et rien, absolument rien ne peut nous arrêter. Tout le monde a sa place, il faut juste aller la prendre !!!
Avez-vous eu des modèles de réussite ou mentor qui ont accompagné de façon directe ou non votre cursus ?
Je répondrais sans hésitation mes parents, ils sont pour moi des modèles de réussite et à la fois mes mentors. En Côte d’Ivoire, ma mère était Sage-Femme et en arrivant en France, elle s’est battue pour que son diplôme de Sage-Femme obtenu en Côte d’Ivoire soit reconnu en France afin qu’elle puisse exercer.
Mon père était aussi dans le corps médical, je me souviens qu’il cumulait deux emplois et on le voyait peu. Mes parents se sont battus pour exercer des métiers qui leur permettaient de vivre décemment et de nous offrir une très belle vie.
Les personnes qui m’entourent (amis, proches) et qui sont aussi d’origine africaine sont des modèles de réussite qui ont su se hisser à des postes intéressants tels que kinésithérapeute, chef d’entreprise dans les cosmétiques, médecin, restaurateur, notaire, ingénieur, consultant en finance. Bien s’entourer est très important du fait que cela vous pousse automatiquement à vous élever au même stade qu’eux.
Souvent les barrières mentales brisent des élans ou de futures carrières. Vous n’avez jamais douté de pouvoir accéder à une profession dite élitiste ?
Je suis une femme noire venant du 93 cela peut représenter un handicap. Comme énoncé plus haut, en tant que femme noire, il fallait toujours fournir le double voire le triple pour être jugée à ma juste valeur et être acceptée au même titre que les autres.
Que l’on soit aux Etats-Unis, en Europe ou ailleurs, nous devons toujours redoubler d’effort en tant que noir pour être reconnu.
Je ne compte même plus le nombre de curriculum vitae envoyés afin d’obtenir un emploi ou un stage, environ 400 et c’est 400 sont restés soit sans réponse, soit je recevais des réponses négatives. Autant vous dire que vous avez envie de baisser les bras et de tout abandonner. Pire, durant mes études, lorsque je passais des examens : au niveau des écrits j’obtenais souvent de bonnes notes vu que c’était « anonyme » et dès que je passais les oraux, c’était une autre histoire. Je ressentais à ce moment là, une différence de traitement due à ma couleur de peau. Je devais donc briller et viser l’excellence pour accéder à ce que j’aime. Conseil : ne jamais abandonner malgré toutes les embuches que vous pouvez rencontrer au cours de votre vie.
Quel est votre moteur, votre secret pour aller de l’avant ?
Pour tout vous dire, je suis atteinte d’une maladie héréditaire (génétique) qui se nomme la « DREPANOCYTOSE », j’ai la forme la plus grave soit la forme Homozygote (SS). Elle est ma faiblesse mais ma plus grande force. Je souffre en silence, la preuve c’est mon petit secret et très peu de personnes sont au courant. Je ne le crie pas sur tous les toits par peur du regard des autres qui pourraient changer leur opinion sur moi ou surtout avoir une forme de pitié. Je souhaite que les gens me considèrent comme une personne normale.
Je ne vous cache pas que c’est à cause de cette maladie que j’ai toujours voulu être avocate. Très jeune, j’étais la justicière dans la cour de l’école et je défendais tout le monde. Je déteste l’injustice et je trouve que c’est terriblement injuste d’être malade et de ne pas pouvoir avoir de remède, d’être impuissant.
Cette maladie m’a conduite à la résilience : je ne lâche rien et je vais toujours au bout de mes objectifs avec mon handicap. J’avance à mon rythme, lentement mais je ne m’arrête pas : je suis jusqu’au-boutiste. D’ailleurs, la drépanocytose est la première maladie génétique au monde et en France. C’est une maladie qui touche essentiellement les personnes noires et les pouvoirs publics ne s’intéressent pas voire très peu à cette pathologie. Ce qui est révoltant !!!
Aujourd’hui, il est indispensable de faire bouger les choses. De nombreuses associations existent et oeuvrent pour cette maladie mais j’ai l’impression que les choses bougent très lentement depuis toute ces années de lutte. Il faut donc toucher des personnalités puissantes tels que Kylian M’Bappé, Omar Sy, Rihanna, Burna Boy, Yemi Alade et bien d’autres afin que le message puisse traverser toutes les frontières. C’est malheureux mais un message est souvent entendu lorsqu’une personne influente se bat ou s’exprime pour une cause.
A quoi ressemble une semaine type dans la vie de Stéphanie Toure-Jenni ?
Il n’y a pas de semaine type. Les journées ne se ressemblent pas et c’est ce qui me plait. Parfois, je peux planifier une journée de rendez-vous client au cabinet mais dès que je reçois un appel provenant d’un commissariat afin d’assister un client placé en garde à vue, je dois tout de suite être réactive et réorganiser ma journée en déplaçant mes rendez-vous client et filer immédiatement au commissariat en question. J’interviens dans différents domaines (pénal, civil, étrangers, droit de la santé, …) et je suis donc confrontée à plusieurs problématiques. Chaque dossier est important et doit être traité avec la plus grande attention. Parcourir les différents tribunaux, les différents commissariats, se rendre en maison d’arrêt, rencontrer tous types de personnes (clients, confrères, magistrats, greffiers, …) est très enrichissant. Les semaines sont rarement calmes : il y a toujours une urgence à traiter, un nouveau dossier qui peut occasionner le changement de tout un emploi du temps. J’aime transmettre mon savoir et mes compétences et pour cela je prends souvent des stagiaires afin de leur présenter le métier d’avocat à travers l’étude des dossiers, les rdv clients, assister aux plaidoiries ou autres. Ils ressortent à chaque fois grandit de ce stage et certains veulent embrasser plus tard la profession. Là, je me dis que j’ai fait du bon travail et que j’ai fait naître des vocations.
Au delà de votre profession, vous êtes également une femme et maman engagée. Parlez-nous de votre combat pour l’éveil des jeunes et leur donner la pleine conscience qu’ils peuvent tout accomplir…
Effectivement, j’ai créé une association pour les jeunes (entre 14 et 25 ans). Les jeunes sont l’avenir de cette société. Il est primordial qu’on leur accorde une place très importante. Je souhaite que les jeunes prennent conscience de leur potentiel, qu’ils puissent atteindre leurs objectifs si ils le veulent vraiment.
Vu mon parcours de femme malade, si j’y suis arrivée, ils peuvent largement y arriver. Certains ont juste besoin qu’on les soutienne ou bien qu’on les guide.
La réussite n’a pas qu’une seule couleur (blanche), la réussite est pour tout le monde.
Il est donc fondamental de transmettre des valeurs aux jeunes et surtout leur permettre d’avoir confiance en eux, de croire en eux. L’association permettra à ces jeunes de trouver un endroit où se réunir afin de discuter sur divers thèmes qui font l’actualité ou pas, de les accompagner durant leur parcours scolaire ou de vie, d’avoir accès à des formations et des stages à travers le réseau qui sera mis à leur disposition. La transmission d’un savoir permet à une société de s’élever et surtout d’évoluer. Mon but est que les jeunes puissent recevoir ces connaissances pour avancer sereinement dans la vie.
Si vous aviez un message à adresser à nos lecteurs ?
Allez au bout de vos rêves, au bout de vos objectifs. Travaillez et ne baissez jamais les bras. Si jamais l’envie de lâcher vous traversait l’esprit, ce n’est pas grave, reposez-vous et repartez de plus belle. C’est la finalité qui compte peu importe le temps que vous y mettez.
Comment faire pour entrer en contact avec vous ?
Aujourd’hui avec la technologie, on peut me joindre par différents moyens.
Téléphone : 06 22 08 27 43, mail : stj.avocat@hotmail.com,
site internet : stj-avocat.fr et depuis peu sur Instagram et oui, il faut s’adapter : stjavocat
Si je vous dis ROOTS, cela vous évoque quoi ?
Purement et simplement Racines. Cela symbolise d’où l’on vient. Là où tout à commencé. Mon père m’a toujours dit :
« Si tu ne sais pas d’où tu viens, tu ne peux te connaître ». Il est donc fondamental de connaître son histoire, ses racines afin de pouvoir s’épanouir pleinement et surtout les transmettre de génération en génération.
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