BIG ANTHO : Le designer qui rêvait en grand !

“Créer une architecture propre au Congo et qui fera référence dans le monde, un peu comme le Baron Haussmann à Paris.”

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?

Je m’appelle Anthony Maurice Niaty-Mouamba, 32 ans, originaire du Congo Brazzaville. Je suis architecte et designer d’intérieur.

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Revenons sur vos débuts Comment êtes-vous devenu l’un des jeunes architectes en vue du Congo ?

Suite à la guerre de 97, ma famille et moi avons été obligés de quitter le Congo. Arrivé au Bénin, j’ai fait mes études jusqu’en Terminale. J’avais déjà cette grande passion pour le design et l’architecture. Je suis issu d’une famille d’artistes, de dessinateurs. Arrivé en France, j’ai fait une fac d’éco, suivie d’une mise à niveau en arts appliqués à Lyon. Ensuite, je suis allé à Paris faire des études de design d’espace. À la sortie de mes années d’études, je me suis retrouvé sur le carreau. Je me suis alors résolu à créer ma propre structure d’architecture d’intérieur à Paris, avec un ami, et qui s’appelait Good Art. Notre premier contrat fut de décorer l’espace Pierre Cardin pour Noël, où se tiendrait des festivités avec de nombreuses personnalités : Jean-Marie Bigard, Jamel Debouze…  Après cet évènement, suite à quelques différents, je me suis séparé de mon associé et nous avons cessé l’activité. Comme je suis quelqu’un qui ne lâche jamais rien, j’ai décidé de redémarrer et de m’auto former en design graphique. En cette période, je flânais parmis le gratin afro-parisien et je dénichais, par ci par-là, un contrat pour un logo, pour une affiche, etc. De là, j’ai rencontré des personnes qui m’ont proposé de faire designer maquettiste pour un magazine mode. J’ai évolué avec eux pendant 3 ans, et ce fut une superbe expérience. J’ai pu voyager, faire de nombreuses rencontres. Cela m’a forgé une grande affinité pour le tissu, pour la mode… Via cette expérience, j’ai notamment rencontré Nabile Quenum, mon défunt ami et photographe avec qui j’ai énormément travaillé.  Par la suite, j’ai enchaîné sur des collaborations avec des Philippins, pour lesquels je dessinais des sacs, concevais les publicités et participais à des salons à New York où l’on présentait nos produits.

En parallèle, j’offrais mes compétences à un cabinet d’architecture monté par deux amis Béninois: Cof Archi. Sans oublier mes prestations pour l’agence Black Fahrenheit, avec la refonte de leur logo, de leurs images et la gestion de contrats en sous-traitance qu’ils me confiaient. Face à ses multiples compétences, je me suis dit qu’il était temps de créer une agence de design global. L’idée est de gérer l’image de A à Z pour le client: du logo, en passant par l’affiche publicitaire, jusqu’au design des boutiques…

C’est à ce moment que vous décidez de rentrer au Congo ?

Dans cette société de design global que j’ai monté, nous sommes 4 : mon frère, une très grande amie Sylvia Mavuba, à Paris, ma sœur Jessica qui fait design mode et mon grand frère qui est un homme d’affaire qui a investi l’argent de départ. Je décide alors de rentrer au Congo Brazzaville pour mener à bien ce projet. Nous voulions un nom évocateur pour notre agence, qui rappelle la fraternité, et qui nous soit propre. En cherchant, nous sommes tombés sur Leki, qui voulait dire petit frère et que nous avons remixé en « Lekhi ». Le logo est un singe penseur avec des lunettes, qui n’est autre que le vieux Rafiki du Roi Lion.

Le 7 novembre 1997, au moment où je monte les escaliers de l’avion, triste de quitter mes amis, mon Congo, je me retournais et je disais dans ma tête : « je reviendrai pour te construire ». Cette phrase m’a marqué pendant toutes mes études. Je n’avais qu’une chose en tête : construire le Congo et j’allais enfin pouvoir passer à l’action ! Mon rêve serait de créer une architecture propre au Congo et qui fera référence dans le monde, un peu comme le Baron Haussmann à Paris.

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Quelle a été votre crédibilité en rentrant au Congo, pour décrocher vos premiers contrats ?

Je ne connaissais personne, j’avais un sacré style de fashionista parisien, je n’étais vraiment pas dans le moule (rires). Les débuts furent difficiles. Aujourd’hui, j’ai la chance de rouler dans un Prado, mais personne ne sait que, parfois, il me manquait 1000 francs et je devais marcher du centre-ville à Batignolles ! Le mouchoir en papier en poche pour essuyer la sueur du soleil ardent de Brazzaville (rires). Mais ma chance est que, lorsque je suis rentré, cela coïncidait avec une vague de retours de jeunes de la diaspora. À force de présenter tes projets, sans relâche, et avec professionnalisme et compétence, tu finis forcément par tomber sur quelqu’un prêt à te donner une chance. Un beau jour, je suis tombé sur cette maman qui m’a confié mon premier contrat. Il s’agissait de lui faire un bâtiment sur 3 étages, qui n’a finalement jamais vu le jour, mais j’ai tout de même été payé pour le projet. J’ai enchainé un second contrat, puis un 3ème, etc.

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Pouvez-vous nous citer quelques-unes de vos réalisations ?

L’éventail est large. À Brazzaville : un salon de coiffure à Batignolles qui s’appelle Gentleman Brothers, la boutique Essence de Beauté au centre-ville, l’espace de vente de la marque de laces Andrea’s Hair chez Design Street, des maisons de personnes privées, les bureaux de mr Lassana Yoka : Trend Venture ; à Pointe-Noire : une pharmacie, mais aussi le Central Bar, imaginé avec un ami Franck Labar… pour citer quelques œuvres réalisées. De 2014 à 2018, j’ai bossé sur une centaine de projets. Certains ont avorté, d’autres ont été freinés par la crise, d’autres sont en stand-by, d’autres sont en cours. Quant à mes 2/3 prochains projets qui vont arriver, je ne peux en dire plus, par souci de confidentialité avec le client.

“À Pointe-Noire, Le Twiga est, selon moi, l’une des plus belles œuvres architecturales du pays.”

Quel état des lieux faites-vous de l’architecture au Congo ?

Je présente mes excuses aux anciens mais, à mon goût, il n’y a que 4 bâtiments qui sont réellement « beaux » dans ce pays : L’ARPCE, la Banque Centrale, Elbo et la Tour Nademba. Le reste, c’est du déjà vu… Le monde va dans une mondialisation dans laquelle nous ne devons pas tout intégrer, notamment l’architecture. Sinon, toutes les villes n’ont qu’à ressembler à Paris et où sera l’intérêt qu’un Parisien quitte sa ville et vienne visiter Brazzaville ? Les gens raffolent de l’Asie parce que l’architecture, même des grandes villes, est différente de l’architecture européenne. Aujourd’hui, à Brazzaville, vous ne trouverez pas un bâtiment culturel typiquement africain. Par contre, on peut retrouver cette signature congolaise à Pointe-Noire, notamment au travers d’un monument : Le Twiga. Situé sur la plage de Pointe-Noire, Le Twiga est, selon moi, l’une des plus belles œuvres architecturales du pays.

Si vous aviez un conseil pour un entrepreneur de la diaspora qui déciderait, comme vous, de rentrer s’investir au Congo ?

On n’a pas besoin d’avoir un carnet d’adresses pour commencer un business, on a besoin d’une seule chose : avoir un cerveau qui tourne. Le cerveau qui tourne va te donner une stratégie, cette stratégie il faudra savoir la changer quand elle ne marche pas, et ainsi de suite. Enfin, Il faut toujours avoir une longueur d’avance sur tes amis qui te diront qu’ils vont t’aider, parce que personne ne va t’aider. Mais tout n’est pas noir. J’ai rencontré des personnes magnifiques, avec qui j’ai de grands projets. Le Congo est vaste, il y a une grande diversité de personnes et de cultures. C’est en réussissant à mélanger tout cela qu’on pourra en faire sortir quelque chose de beau. Nous aspirons tous à donner de la force à ce pays, alors travaillons.

Si je vous dis « Roots » (Racines), cela vous évoque quoi ?

Je dis culture. C’est la culture 2.0, l’évolution de la culture africaine. Vous nous montrez l’Afrique qui est belle, l’Afrique qui se lève et qui entreprend… C’est cela ROOTS.

Édition ROOTS spécial Kongo