Ma place sur cette cover représente dix années de travail et je suis enfin prête à sortir de ma zone de confort pour montrer aux gens que, à force de persévérance, on peut faire sa place sur le marché !
Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je suis Kelly Massol, la fondatrice de la marque Les Secrets de Loly, j’ai 36 ans, je suis originaire de la Martinique par mon père et Guadeloupe par ma mère.
Vous vous êtes lancée en indépendante et n’étiez pas forcément du métier. Revenons sur vos débuts…
J’ai créé mon entreprise Les Secrets de Loly à l’âge de 25 ans. Au départ, c’était un site internet qui vendait d’un côté des
matières premières cosmétiques, des huiles, du beurre de karité, etc. Et de l’autre côté, une petite gamme de produits capillaires à base de produits naturels. De base, je n’étais pas chimiste, je travaillais à l’époque en tant que téléconseillère pour l’État. J’avais une problématique capillaire, je n’arrivais pas à m’occuper de mes cheveux bouclés-crépus par moi-même. Je ne trouvais rien qui me convenait et c’est ainsi que j’ai commencé à fabriquer mes propres produits capillaires. Petite à petit, j’ai commencé à fournir mes copines, puis les copines de mes copines. Au bout d’un moment, j’avais
tellement de produits chez moi, que j’ai été obligée d’écouler le stock sur internet.
Quel a été l’élément déclencheur pour vous décider à en faire un business prospère ?
Nous étions des centaines de femmes sur les forums et chats de discussions à avoir la même problématique : En France, il n’ y avait pas – ou peu – de solutions et produits adaptés pour permettre aux femmes comme moi de porter leurs cheveux naturels. J’étais sur Boucle et Coton, le premier forum francophone dédié à l’entretien du cheveu afro au naturel et, à force de décrypter les compositions, j’ai commencé à me passionner sur la manière de composer des cosmétiques. J’aimais fabriquer des formules, des shampoings, des savons…
Les géants de l’industrie ne nous écoutaient pas. Pour eux, le segment « afro » représente une goutte d’eau et on devait se contenter des miettes que l’on voulait bien nous donnait. Cette situation me paraissait anormale et, au bout d’un moment, je me suis dit que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. C’est ainsi qu’a germé l’idée de me lancer sur le créneau.
De nombreuses marques ont suivi la vague du cheveu « nappy ». Qu’est-ce qui a fait que vous êtes devenue l’un des gros poissons de ce marché, 10 ans après ?
L’authenticité. Je n’arrive pas à vendre un produit cosmétique à une cliente que je n’utiliserais pas moi-même. Quand je formule, je formule égoïstement, pour moi et pour des femmes comme moi. Je ne cherche pas à créer un besoin, mais à réellement répondre à des besoins existants. Quand je me pose la question sur le nouveau produit que je vais sortir, je me demande ce dont les filles ont besoin.
Quand je vous dis “Caribbean excellence”, cela vous évoque quoi ?
La Caraïbe regorge de talents, c’est d’ailleurs pour cela que je suis ravie de participer à l’élaboration de ce numéro spécial et d’y figurer. Pendant très longtemps, nous n’avons pas eu de modèles de réussites pour nous dire : « Ok, en tant que femme noire, je peux réussir ». Aujourd’hui, nous avons des modèles mais ce sont toujours les mêmes visages qui reviennent. C’est très important de se dire que nous avons des « girls next door » parties de rien et qui ont pu construire quelque chose de solide et pérenne. Dans la Caraïbe, nous avons un expression qui dit : « Fanm doubout », c’est-à-dire que lorsqu’on se fixe un objectif, on a tendance à l’atteindre en mettant toute notre énergie dans une cause nous tenant à cœur. Nous ne devons plus nous excuser
ou avoir peur d’être Afro-Caribéens, entrepreneurs et jeunes.
Avez-vous eu des modèles caribéens, homme ou femme, à vos débuts ?
Sans prétention, ce n’est pas que je n’avais pas de modèles mais, mis à part dans le showbusiness, je ne voyais pas de Noirs à qui me référer. À la télévision, il y a une dizaine d’années, on ne voyait que des Noirs qui étaient là pour amuser la galerie. Je me suis donc lancée dans le grand bain sans véritable figure d’inspiration. Aujourd’hui, j’ai justement décidée de me mettre un peu plus en avant, afin de montrer aux miens que, non seulement c’est possible, mais qu’on peut le faire et bien. Au delà de l’excellence, ce qui est très important pour moi est de pouvoir représenter du mieux possible ma communauté. Je ne veux pas que les gens aient quelque chose à dire de mon travail, de la qualité de mes produits, de la qualité de mes compositions. J’ai un rôle que j’ai décidé d’embrasser : mettre la barre le plus haut possible pour inspirer les autres à faire de même.
Aujourd’hui, vous fêtez les 10 ans de la marque et tout semble vous réussir. Au-delà de votre cas personnel, sentez-vous une dynamique entrepreneuriale s’enclencher ?
Il y a des pépites, ici et là, mais il n’y a pas assez de communication entre les uns et les autres. Il commence à y avoir des connections entre certains entrepreneurs, cependant ce n’est pas encore assez élaboré. Aux Étatts-Unis, quand un Noir
arrive avec un projet, le « Black Business Support » se met instantanément en marche autour de lui. En France, les entrepreneurs ont tendance à moins vouloir se montrer de peur qu’on leur vole leur idée. Quand tu as un bon projet, que tu es sûr(e) de ce que tu fais et que tu veux le faire avec excellence et en y mettant tout ton cœur, quelqu’un d’autre peut vouloir te copier, il le fera différemment.
Quel est votre diagnostic, plus précisément au niveau des Caraïbes ?
Ça bouge énormément ! Aujourd’hui, il y a un véritable rayonnement, non pas de la métropole vers les Caraïbes, mais des Caraïbes vers la métropole. Le marché tourne et la roue tourne. Ce ne sont plus forcément les mêmes têtes qui font la pluie et le beau temps. Il y a de nouveaux acteurs sur le marché qui sont des acteurs locaux et qui cherchent à faire travailler la communauté sur place. De l’autre côté, on voit que cela donne également une impulsion en métropole, alors qu’avant c’était le schéma inverse. Je le vois même auprès de certains de mes clients, qui en l’espace de 4-5 ans ont fait ouvertures sur ouvertures de magasins et qui apportent une qualité de service qui est égale à celle de multinationales qui ont beaucoup plus d’argent. Les jeunes entrepreneurs de la Caraïbe prennent de plus en plus les choses au sérieux et se rendent compte qu’ils peuvent et doivent être maitres de leur destin et qu’il n’y a pas toujours à dépendre de la métropole pour faire des choses. Localement, il y a de plus en plus d’initiatives. Je pense notamment au Karibbean Beauty Fest,
organisé par Johanna Morvan. D’années en années, l’événement grandit, il a un rayonnement sur les réseaux sociaux et il y a des gens de métropole qui se déplacent en Martinique pour y assister. Cela montre qu’il y a un intérêt économique de développement local et de rayonnement à l’international. La nouvelle génération est vraiment différente. Peu le savent, mais le département de France où il y a le plus de créations d’entreprises est la Guadeloupe. Il y a du chômage, personne ne veut nous embaucher, alors on crée nos propres emplois !
Vous partagez la cover avec 5 autres personnes d’univers différents : mode, entreprenariat, beauté, journalisme, entertainement… Que retirez-vous de cette expérience ?
C’était un bonheur de rencontrer mes coéquipiers pour cette couverture. J’ai rencontré des gens qui étaient dans le partage et l’échange. Je pense que c’était très enrichissant car on se fait toujours une idée des gens via les réseaux sociaux. On se demande s’il sont comme cela en off et ils étaient exactement comme l’idée que j’en m’en faisais : accessibles. Ma place sur
cette cover représente dix années de travail et je suis enfin prête à sortir de ma zone de confort pour montrer aux gens que, à force de persévérance, on peut faire sa place sur le marché ! Aujourd’hui, ma marque est reconnue comme en train de devenir l’un des leaders pour les cheveux crépus, bouclés, naturels, mais, finalement, je suis toujours restée très proche de mes
clientes. Le but n’est pas de se mettre dans une tour d’argent et je pense que c’est grâce à cette proximité que des jeunes filles peuvent se reconnaître en moi et en ma marque.
Que représente les Karayib pour vous ?
Ce sont mes racines. Je suis une enfant de la Caraïbe, née en métropole. C’est un point d’attache qui fait que je sais d’où je viens et ce que mon peuple a vécu. J’ai des enfants et je ne veux pas qu’ils se disent que tout est rose, je veux qu’il sache ce que leurs ancêtres ont vécu, notamment ma grand-mère. Elle est arrivée à Paris après la seconde Guerre Mondiale et a vécu le fait d’être une femme noire et forte, en métropole. Je porte mon passé et j’espère pouvoir le transmettre à mes enfants.
Édition ROOTS Krayib
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