Dans la cuisine japonaise, c’est le calme, la concentration, notamment dans le maniement des couteaux.
Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Kevin Ngoue, 44 ans, originaire du Congo Brazzaville, cuisinier de profession depuis une vingtaine d’années. Je touche un peu à tout, mais je me suis spécialisé dans les sushis.
Un chef Noir spécialisé dans les sushis, c’est suffisamment rare pour que vous nous expliquiez ce parcours atypique !
Mon parcours est assez long. Je suis arrivé en France grâce à mon père pour les études, à l’âge de 7-8 ans. J’ai effectué un C.A.P Cuisine que j’ai raté une première fois. J’ai voulu baisser les bras. Et s’en sont suivies malheureusement quelques conneries de jeunesse. Puis, j’ai compris que je devais me ressaisir. Je savais que la cuisine était le domaine dans lequel je devais m’épanouir. Chez nous, la cuisine, c’est dans le sang. Ma grand-mère, mon grand-père, mes tantes, mes frères et sœurs… Tout le monde sait cuisiner. J’ai grandi avec cette richesse et j’ai compris que je devais me relever. Pendant 2/3 ans, j’ai arrêté la cuisine, j’ai bossé chez Leader Price en tant que chef de rayon. Puis, je suis revenu vers la cuisine. J’étais à Rueil Malmaison, on faisait des canapés et petits fours pour les réceptions, mariages, etc. Quelques temps après, je me suis séparé de ma conjointe et j’ai quitté ce job, vous savez la vie n’a pas toujours été facile avec moi. Je me suis installé à Versailles chez une tante, environ 6 mois. Il fallait que je trouve du travail pour l’aider à payer le loyer. En allant chez Pôle Emploi, j’ai vu une annonce concernant un restaurant de sushi. Je me suis dit que ce serait l’occasion de changer d’univers. L’entretien s’est super bien déroulé, j’ai été pris et il fallait alors faire une formation de 4 mois pour être parfaitement à l’aise avec la technique spécifique à la gastronomie japonaise. Des recruteurs m’ont proposé un CDI dans un restaurant de sushis situé en Bretagne. N’ayant plus réellement d’attaches à Paris, J’ai saisi l’occasion de pouvoir changer d’air et je me suis installé à Rennes, en participant à l’ouverture du franchisé EAT SUSHI. Là-bas, j’ai rencontré un jeune Sénégalais, Modou, qui travaillait avec moi. Pendant notre formation, Modou se décourageait souvent et j’étais celui qui le persuadait de ne pas lâcher. Pour ma part, j’ai été pris sous l’aile d’un chef chinois, Gang, avec qui je suis toujours en contact aujourd’hui encore. Il m’a aidé à trouver mon logement, tous les dimanches on allait jouer au football, il m’a été d’une grande utilité pour mon intégration. Dans le restaurant, il m’a bien encadré et m’a permis d’approfondir ma formation. Par la suite, j’ai moi-même formé d’autres personnes, notamment le jeune Modou. Lui était dans la rapidité et moi dans la qualité et la propreté. Mon responsable me répétait sans cesse : « Avec toi Kevin, c’est la qualité au top ».
C’est de là que vient mon slogan professionnel : « La qualité, au top ». Avec le temps, Modou et moi sommes devenus les 2 chefs du restaurant et nous avons formé une dizaine de personnes. Les gens hallucinaient de voir deux Noirs spécialistes du sushi. On nous prenait en photo, les gens étaient à la fois surpris et fiers. Tout se passait bien, mais le fait d’habiter à Rennes m’éloignait trop de Paris et de mes enfants. Après 5 ans, je suis donc revenu en l’Île-de-France et ce fut le début de mon aventure solo dans le monde du sushi.
Comment passe-t-on de sushiman dans un restaurant en Bretagne à chef traiteur reconnu à Paris ?
On a commencé à me solliciter, surtout dans le milieu musical. Je suis originaire de Trappes et, par le passé, j’ai eu à présenter le rappeur La Fouine à mon grand-frère qui s’est par la suite occupé de sa carrière. J’ai donc participé de façon indirecte à l’éclosion de cet artiste et c’est tout naturellement que l’on a fait appel à moi pour confectionner des buffets sushis lors des séances studio. J’ai pu faire goûter mes réalisations auprès de La Fouine, mais aussi de ses artistes : Sultan, Cindy, Kamelancien… Et cela a permis de crédibiliser d’avantage mon image. À cette époque, je n’avais rien à perdre. Par exemple, j’allais au culot au marché aux Puces, à Clignancourt, pour proposer mes barquettes de sushis. Encore une fois, les gens étaient incrédules face à un Noir qui maitrise l’art du sushi. Mon nom s’est diffusé au fur et à mesure et le bouche-à-oreille a fait le reste.
Quelles sont les qualités d’un bon sushiman ? Comment basculer de la cuisine africaine à la cuisine japonaise ?
La cuisine africaine est un héritage familial. Comme je vous le disais auparavant, c’est dans le sang. Mais j’aime la cuisine dans sa globalité, dans sa diversité. Qu’il s’agisse de la cuisine française, marocaine, asiatique… Je suis quelqu’un de curieux et c’est ainsi que j’ai pu basculer dans la cuisine japonaise, avec de la patience et de l’application. Dans la cuisine africaine, c’est la joie.
Dans la cuisine japonaise, c’est le calme, la concentration, notamment dans le maniement des couteaux.
Quels ont été les moments clés dans votre carrière ?
J’en citerais deux. Tout d’abord, le jour de l’écoute de l’album de La Fouine. C’était dans un grand studio à Saint-Cloud, il y avait les boss de Sony et Skyrock qui étaient présents. On m’a confié un budget et j’ai préparé des sushis et makis pour tous les invités. Au départ, ils ne savaient pas que c’était moi qui avait cuisiné. Je les ai laissés manger, j’ai observé leurs comportements. Ils n’ont pas laissé une assiette vide et semblaient tous très satisfaits. Je leur ai alors dit que j’étais le sushiman derrière ces mets et ce fut l’étonnement général ! Ce jour m’a particulièrement marqué car je venais d’être « validé » par des boss qui ont l’habitude de manger dans les plus belles tables et goûter aux meilleurs traiteurs. Les gens ont commencé à faire circuler le nom « Kev Le Chef de… Famille » Par la suite, j’ai même eu l’occasion de pouvoir cuisiner pour ses fans, Il y avait énormément de monde, j’ai fait des brochettes poulet, bœuf-fromage, des makis, des sushis… Les gens ont commencé à faire circuler le nom « Kev Le Chef de Famille ». Le deuxième moment marquant fut le jour où j’ai participé à la Première édition du salon le Kongo à l’honneur. Créé par Nelly Biyola et Carole Ndomba et qui s’est déroulé le 25 Janvier 2020. Regroupant les prestataires congolais : traiteurs, weddings planners, créateurs… J’ai été surpris par l’engouement et la curiosité autour de mon stand où les sushis et les makis sont partis comme des petits pains ! C’était un honneur pour moi et une fierté de participer à cet évènement avec mes frères et sœurs du Kongo… Kongo avec un K ! Il s’agissait de moments d’accomplissement et de reconnaissance pour me conforter dans mes choix. Je me suis toujours battu, je me suis fait seul, mais aujourd’hui c’est également avec l’appui et l’accompagnement de ma conjointe que j’avance sereinement vers mes projets.
Que représente le Kongo pour vous ?
Le « K » est très important car je considère que ces deux pays (Congo Brazzaville et Kinshasa) forment un même ensemble. Quand on grandit, on se rend compte qu’on est un seul peuple. On mange la même chose, parle la même langue, s’habille de la même façon…
Ma mère est M’Bochi, mon père est Lari, je parle lingala, je cuisine congolais… Mon plat préféré est d’ailleurs le fumbwa. Pour moi, le Congo est le centre du monde, je suis fier d’être Congolais et je ne remercierai jamais assez ma famille, et spécialement mes parents, pour cet héritage culturel et leur soutien sans faille.
Si je vous dis « Roots », vous me répondez ?
La tranquillité, le calme et soyons fiers de nos origines !
Instagram : @pro_kevlechefdefamille
Mail : kevlechefdefamille@gmail.com
Édition ROOTS spéciale Afrique Centrale
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