L’esclavage, en Argentine, commença au XVIème siècle. Buenos Aires fut parmi les ports principaux où accostaient les bateaux négriers durant la traite occidentale. L’Argentine servait de point de passage pour emmener certains jeunes africains vers Potosi (en Bolivie), mais aussi pour les obliger à travailler dans les exploitations minières, à la Casa de la Modena, au service de notables… Ainsi, selon un recensement de 1778, tandis que le pays n’était habité que par 210 000 individus, 80 000 d’entre eux n’étaient pas des hommes libres, certains étaient noirs et d’autres métis (issus de parents européens et africains). Les Espagnols leur ont donné des noms comme mulato (mule, descendant d’une jument et d’un âne) pour les métis d’origines africaines et argentines ou encore salto altras (saut en arrière) pour les individus à la peau plus foncée que leurs parents. Ces noms servaient à les classifier, les stigmatiser, pour empêcher leurs évolutions sociales. En dehors de l’esclavage, des africains et afro-descendants auraient été forcés de partir au front, utilisés par l’armée espagnole comme chair à canon, par exemple, en 1806 et 1807, pendant les invasions anglaises à Río de la Plata et les tentatives d’occupation de Montévidéo et de Buenos Aires. On promettait à ceux qui dépassaient les cinq années de service, dans l’armée, au front : la liberté. Mais l’armée ne respecta pas, dans la plupart des cas, ses engagements. Des indépendantistes, opposés aux royalistes, en libérèrent cependant pour les accepter au sein de leurs forces en faisant d’eux des affranchis. Suite à l’abolition en Angleterre, en 1788, et durant les invasions anglo-saxonnes, un soulèvement d’esclaves se fit à Buenos Aires. Malheureusement la révolte fut réprimée et s’arrêta. Tout porte à croire que même si l’Angleterre avait maintenu sa présence en Argentine, l’esclavage n’aurait pas été aboli. En effet pendant l’invasion, le général anglais, William Carr Beresford, leur aurait fait signifier que leurs conditions de vie ne changeraient pas. Dans le cas d’une victoire du Royaume-Uni, les expatriés auraient voulu profité eux-même, apparemment, d’une main d’œuvre non- rémunérée…
Un argentin célèbre a aboli l’esclavage : le général José de Urquiza dès 1852. Il parviendra à la faire accepter dans la Constitution nationale en 1853.
Il fut président de la nation de 1854 à 1860. Il sera assassiné en 1870. La société argentine aura donc participé pendant un peu plus de trois siècles à un crime contre l’humanité. Mais cependant, l’esclavage se poursuivit, clandestinement, dans de pires conditions qu’auparavant. La discrimination à l’égard des Africains, elle aussi, a perduré après l’abolition. Un des président de la nation, de 1866 à 1872, ne cacha pas son opinion : Domingo F. Sarmiento. Il souhaita que les composantes africaines et métisses de la population disparaissent. Sous sa présidence, il y eut la Guerre de la Triple Alliance et une fièvre jaune due aux mauvaises conditions dans lesquelles vivaient les noirs et les métis. La guerre de la Triple Alliance a vu s’affronter le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay face au Paraguay, de 1865 à 1870. L’une des raisons de ce conflit serait le fait que le Paraguay s’était industrialisé et attirait donc la majorité des fonds britanniques. Mais les autres pays avaient, eux aussi, besoin de plus de finances, la situation déplut surtout, dans un premier temps, au Brésil. Une histoire de lutte de grandes puissances qui jeta encore les Argentins noirs dans le tumulte de la guerre et une fois de plus les promesses de plus de considérations à leurs égards n’ont pas été tenues. Ces causes participèrent donc à faire diminuer le nombre d’individus tandis que les institutions encourageaient l’immigration européenne. Selon Sarmiento : « L’instruction seule n’est pas suffisante pour sortir l’Argentine de sa barbarie, il faut qu’il y ait une réelle infusion de gènes blancs ». Alberdi, un autre politicien argentin, dont les œuvres participèrent à la création de la Constitution de 1853, sur laquelle se base toujours les institutions du pays, avait déclaré : « Les Argentins sont des Européens adaptés à la vie en Amérique. » et « Tout ce qu’on appelle civilisation en Amérique est européen ». Aussi noir sur blanc est inscrit, donc institutionnalisé, dans les papiers de recensement de 1895 : « Bientôt, l’Argentine n’aura qu’une population totalement unifiée, formant une nouvelle et belle race blanche, produit du contact de toutes les nations européennes sur le sol américain ». Les recenseurs se félicitaient de dénombrer de moins en moins de personnes d’origine africaine. Ils avaient enregistré trois causes principales à la diminution du nombre de personnes de couleur : la participation des esclaves de force aux guerres, le taux de natalité très faible et celui de mortalité très élevé.
La population discriminée décida alors de créer un journal en 1877 : « El Unionista » qui publia une déclaration d’égalité des droits et de justice pour toute personne quelque soit sa couleur de peau. Les rédacteurs du journal écrivaient dans un autre numéro de celui-ci : « La Constitution est lettre morte et les comtes et les marquises abondent, suivant l’ancien et odieux régime colonial, ils essayent de traiter leurs subalternes comme des esclaves, sans comprendre que parmi les hommes qu’ils humilient, il y en a beaucoup qui cachent sous leurs grossiers vêtements une intelligence supérieure à celle de ceux qui les offensent. ». D’autres journaux, moins connus, furent les porte-parole des « Africains d’Argentine » comme « La raza africana, o sea el demócrata negro » et « El proletario
La population argentine a donc des racines africaines, comme vu précédemment, mais pourtant elle se réclame encore exclusivement latine et ayant été inspirée par les Européens (les Espagnols surtout). L’institution, toute entière, parle peu d’eux car « ils n’existent pas », ils auraient bizarrement disparu après l’abolition de l’esclavage… Alors que pourtant, la culture africaine s’est même métissée avec la religion catholique, la danse courante appelée candombe est issue de racines africaines. Aussi des preuves de leurs existences ont été retrouvées, ce sont surtout des objets d’art africain : des têtes sculptées, des pièces de céramique, des pipes… Les Africains enchaînés, fiers de leur culture, résistaient aux maîtres en démontrant leurs sensibilités.
Actuellement, deux communautés de la population sont majoritairement méprisées : les Argentins noirs et par extension les immigrés africains (principalement sénégalais, maliens, nigérians). Ils se regroupent, entre eux, pour se faire entendre, s’exprimer au sujet de leurs cultures, leurs passés car la traite occidentale est peu enseignée en cours. Comme le souligna, l’écrivain, James Baldwin : « Les gens nous regardent comme si nous étions des zèbres. Et vous savez, il y a des gens qui ont de la sympathie pour les zèbres et d’autres non. Mais personne ne considère les zèbres comme des personnes. ».
Actuellement 5% de la population de l’Argentine est en attente de plus de considération…
Par Julien Serru
Édition : ROOTS n°9
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