GASTRONOMIE ULTRA-MARINE : Où en est-on ? Où va-t-on ?

Gastronomie ultramarine et entrepreneuriat :
Retour d’expérience sur la création d’activités.
– Jonathan Valminos fait figure de précurseur. Sans expérience dans la restauration, il a lancé le concept de La Kaz, le snacking caribéen, en 2010 avec deux associés. Aujourd’hui, l’entreprise compte 2 restaurants, envisage l’ouverture d’un 3ème à Créteil ainsi qu’un développement en franchises. Ils reçoivent 300 personnes/jour avec un ticket moyen de 8€. Ils ont lourdement investi dans le design de leur local, convaincus qu’une devanture attractive est en partie gage de succès, notamment pour attirer des publics non coeur de cible. Aujourd’hui, la Kaz est aussi bien fréquentée par des ultramarins en région parisienne que par des parisiens curieux de
découvrir un autre type de gastronomie.
– Nicolas Myrtil et Ophélie, son épouse, s’inscrivent dans la lignée de La Kaz, en surfant sur la tendance forte pour les food trucks. Le positionnement du Beau Caillou est simple : gastronomie caribéenne à emporter. 55 000€ ont été nécessaires pour se lancer avec leur camion. Ils ne se contentent pas de proposer des bokits traditionnels mais tentent de nouvelles saveurs. Leurs produits ont été récompensés lors du concours international de street food : ils ont reçu la médaille d’argent.
– Vanessa Bolosier, à Londres, a permis d’étendre l’horizon du débat. Avec une formation en marketing, elle s’est lancée un peu par hasard et au gré des opportunités dans la confection de produits à base de coco. Elle avait en effet coutume de ramener des produits de la Guadeloupe dont elle est originaire, avec un succès certain auprès de ses amis. Aujourd’hui, Caribgourmet commercialise notamment Coco Gourmand qui a été primé au niveau national. L’année suivante, Vanessa a obtenu un prix pour ses “sik a coco”. Ses produits sont maintenant distribués dans des chaînes de restauration. Elle envisage de faire paraître un livre : Creole kitchen.

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– Naomi Martino est à la tête de la maison éponyme. Son entreprise est située en Guadeloupe. Elle est artisan chocolatier. Espoir du chocolat 2013, elle nous a confié qu’elle venait d’apprendre qu’elle faisait partie des 200 meilleurs artisans-chocolatiers au monde. Une information qui n’a pas échappé à Marcel Ravin. Elle insiste sur la nécessité de se former régulièrement (elle-même voyage au Japon, à Paris, à New York, pour apprendre auprès des meilleurs) et d’aller progressivement. Naomi Martino exporte vers plusieurs pays d’Afrique. Son site web devrait être mis en ligne sous peu.
– Guinel Cadignan et Brice Dubois ont présenté leur projet : jambondenoel.com, un e-commerce saisonnier qui permet de se faire livrer son jambon en provenance de la Martinique en période des fêtes. En 2013, ils ont vendu une centaine de jambons avec un investissement très limité. Cette année, ils souhaitent y consacrer plus d’efforts.
– Trésor Elenguitor a également fait découvrir Carré Black, un annuaire en ligne pour répertorier les commerces alimentaires afro-caribéens.

Identité culinaire : entre affirmation de soi et levier de développement.
La question a été centrale pendant tout le débat. Comment affirmer son identité à travers la gastronomie ? Pourquoi la gastronomie est-elle vecteur d’affirmation et de préservation de l’identité ? Comment utiliser le patrimoine gastronomique dans l’offre ?
– Marcel Ravin a insisté sur la nécessité d’enlever les ornières : bien qu’il soit souvent question de bokits et d’accras, la gastronomie ultramarine ne se résume pas à ces deux produits. Une triple dynamique : capitaliser sur la richesse des produits antillais, se réinventer au quotidien, proposer du sur-mesure. Dans son travail à la tête de 7 restaurants, il bénéficie d’une certaine liberté qui lui permet de tenter des associations risquées mais réussies : la purée de piment doux par exemple, qui doit certainement rappeler le piment d’espelette. Le chef a évoqué ses débuts en cuisine : il s’est efforcé de parfaitement connaître la gastronomie française pour être en mesure de faire des alliances avec celle de la Caraïbe. Et aujourd’hui, il n’a plus de limite : cuisine japonaise, libanaise, rien ne l’arrête.
– Pour Ezechiel Zerah, ces deux produits peuvent toutefois devenir emblématiques pour accroître la notoriété de la cuisine ultramarine. Ils peuvent être les sushis de ces régions, en particulier les Antilles évidemment. Comme un cheval de Troie en somme…

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– La cuisine de Marcel Ravin reçoit un excellent accueil à Monaco. Il salue l’ouverture dont font preuve les visiteurs du restaurant. Il n’en a pas toujours été le cas quand il travaillait dans des lieux plus isolés. Mais en innovant, on peut éduquer.
– Nicolas Myrtil fait découvrir la sauce chien et prend le temps d’expliquer en quoi cela consiste.
– Rodrigue Balon a approuvé la nécessité d’innovation et de personnalisation de l’offre. Il est prêt à commercialiser des bokits à l’andouillette si cela peut séduire les palais. Lui-même est allé démarcher les chaînes de télévision par frustration de n’être pas suffisamment représenté.
Tous se sont mis d’accord sur le fait qu’innovation ne rimait pas avec négation de l’identité. Celle-ci doit être respectée et mise en valeur à travers un travail de séduction.
– Pour Nicolas Myrtil, le fait qu’il existe quantité de food trucks proposant des hamburgers ou des tacos et quasiment rien sur la Caraïbe a été comme un déclic. Il a capitalisé sur son expérience acquise au sein des meilleurs restaurants de la place parisienne pour valoriser son territoire d’origine. Et ça plaît.

Èduquer les palais.
Comment donner un nouvel élan à la gastronomie ultramarine, notamment caribéenne ? Comment est-elle reçue par les non connaisseurs ?
Finalement, ce sont peut-être les ultramarins qui se mettent leurs propres barrières.
– Charlotte Guermonprez a expliqué que pour les marques, Eat Your Box était un véritable atout : les consommateurs acceptent volontairement que des produits inconnus soient infiltrés dans leurs foyers. EYB favorise la découverte de nouveaux produits. La responsable n’exclut pas de faire une édition spéciale Outre mer. Mais plusieurs critères sont à respecter : qualité des produits, originalité et potentiel à plaire. Une telle association pourrait être gagnante pour des marques antillaises souhaitant se faire connaître.
– Jonathan Valminos a expliqué que ça avait pris du temps avant que La Kaz ne devienne “grand public” et pas seulement un point de rassemblement pour antillais et réunionnais.

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Perspectives de développement : des atouts de taille mais aussi des freins.
– L’international.
– Le mass market : Ezechiel a suggéré l’idée de créer un lieu autour d’un plat (pourquoi pas les bokits ou les accras) qui serait décliné sous toutes ses formes. Pourquoi pas les accras sucrés ? Ce type de concept est tendance à Paris.
– D’une gastronomie identitaire à des produits hype : les bokits veggies ? Pourquoi pas après tout !
– M. Ravin a regretté l’appauvrissement de l’offre de restauration en Martinique.
– Aujourd’hui, qui pourrait citer de tête une dizaine de restaurants parisiens proposant une cuisine de qualité, susceptibles d’être recommandés ?

Approvisionnement et logistique.
– Le chocolat de Naomi Martino, est quasiment 100% du cacao local. Mais il est très capricieux, donc un export de masse n’est pas prévu.
– Marcel Ravin travaille avec de petits producteurs. Lors de ses voyages en Martinique, il ramène des produits. Ses amis en font de même.
– Vanessa Bolosier trouve ce qu’il lui faut à Londres. Sinon, elle le fabrique (ex : poudre à colombo).

Par Estelle Elbourg Grava & Madly
Édition ROOTS n°13