RAHMATOU KEÏTA : Message à la jeunesse d’Afrique

Sahélienne, Rahmatou KEITA est née au Niger. Elle est Peul, Sonrhay et Mandingue. Descendante de la plus ancienne dynastie du Sahel, celle de l’empereur Soundjata Keïta, elle aime à dire qu’elle est l’essence même du Sahel.
Après des études de philo et de linguistique à Paris, la belle nigérienne se voyait chercheur, universitaire, mais le destin en décida autrement. Avant d’arriver au cinéma, elle se fit connaître comme présentatrice d’émissions, chroniqueuse et reporter à la télévision.
Première femme journaliste issue de la minorité visible à apparaître sur les écrans de télévision française, elle a également été la première à recevoir un 7 d’or, avec l’équipe du magazine d’information de France 2 l’Assiette anglaise.
Sa carrière de réalisatrice commence en 1993, quand elle décide de s’adonner à ses passions : l’écriture et le cinéma.
Auteure de courts-métrages et de Femmes d’Afrique, une série de 26 émissions de 26 minutes, elle crée, avec des amies, Sonrhay Empire Productions, « pour produire des films hors des sentiers battus».
Elle devient une des femmes les plus en vue du cinéma africain, avec son premier long-métrage “Al’lèèssi… une actrice africaine”, premier documentaire africain en sélection officielle au Festival de Cannes. Plusieurs fois primée : meilleur documentaire à Montréal et au FIFAI, prix du public à Genève, African Achievement Award… l’auteure – réalisatrice a été la lauréate du Sojourner Truth Award, au Festival de Cannes, lors de la sélection officielle de son film, en 2005.

Militante engagée pour l’Afrique, Rahmatou Keïta a été membre fondatrice de l’Association panafricaine de culture (ASPAC). Elle a été au premier chef impliquée dans la constitution du collectif anti-APE qui, le 11 janvier 2008, a réuni des milliers de manifestants à Bruxelles pour protester contre les nouveaux accords de partena-riat économique entre l’Europe et l’Afrique.
Elle est l’auteure de SDF, sans domicile fixe (Lattès 1993), un livre sur les sans – abri en France.
Femme de cœur, humaniste, elle s’inscrit aussi dans la dynamique du dialogue entre les cultures et les civilisations. C’est pour toute son oeuvre qu’elle se retrouve parmi les 100 femmes les plus influentes du Niger, selon la liste établie par le Bureau du Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP) et publiée dans le livre “100 femmes du Niger” édité par le FNUAP.

Si vous aviez un message à adresser à la jeunesse africaine …
On vit actuellement des moments où tout le monde se croit obligé de tirer sur tout ce qui bouge. On s’amuse à être le plus irrévérencieux possible, le plus irrespectueux… Cela n’a jamais été ma tasse de thé : ni à 15 ans, ni à 20 ans, ni aujourd’hui. On ne gagne rien à détruire, mais il est bien sûr moins facile de
construire.
L’Occident nous apporte une autre mode : celle de la jeunesse et nous voulons y entrer à pieds joints ! C’est un leurre, c’est un piège ! La jeunesse a besoin d’apprendre, la jeunesse a besoin de la transmission. La jeunesse a besoin d’éducation. Le jeunesse ne gagne rien à être arrogante et irrespectueuse. Il y a des aspects de notre culture qu’il faut préserver, sauvegarder.

“Il faut arrêter de rêver d’ailleurs, tout est en nous.Notre immense richesse,
c’est nous-même…”

Allez dire à ceux qui sont en train de venir que la richesse est en chacun d’entre nous. Elle n’est pas sur les pirogues qui coulent dans la Méditerranée. Allez leur dire qu’être Africain, c’est un honneur et que nous avons une lourde responsabilité devant l’Humanité. Nous sommes comptables devant le Créateur, car il nous a confié l’Humanité. Dites-leur enfin, qu’être jeune, ce n’est pas une qualité. Être jeune, c’est un état. Alors que vieillir, c’est une chance : il n’est pas donné à tout le monde de vieillir… Lorsqu’on observe nos vieux, on voit bien que dans la vieillesse, il y a la sagesse et l’expérience. Ce sont nos vieux qui nous transmettent le savoir: celui-là même qui n’est dans aucun livre; celui-là même qui leur est transmis par des plus vieux encore, ceux qui ne disparaissent jamais et qui sont dans l’eau qui coule, dans le vent qui souffle, dans le bruissement de l’arbre, dans les ténèbres de la nuit…
Aussi bien pour les jeunes et les moins jeunes, il nous faut revenir à nos fondamentaux : l’abnégation, le respect, la compassion, le sens de la médiation, le dialogue et la recherche de l’harmonie. Harmonie avec les humains, harmonie avec la nature… Il faut arrêter de rêver d’ailleurs, tout est en nous. Notre immense richesse, c’est nous-même…

Si je vous dis “Roots”, cela vous évoque quoi ?
Pour moi, cela évoque d’abord l’Amérique. L’Afrique en Amérique. C’est un mot que j’entendais, petite, au sujet d’un roman écrit par Alex Haley. Nos aînés en parlaient tout le temps et, à mon oreille, “Roots” sonnait comme étant la force, la dignité, l’estime de soi, la confiance en soi… L’Afrique. C’est ce mot qui a fait se lever Toussaint Louverture, Louis Delgres, Harriet Tubman, Sojourner Truth, Marcus Garvey, William E.B Du Bois, Martin Luther King Jr, Malcom X, Angela Davis… et bien d’autres des nôtres, dans la douloureuse diaspora. C’est ce mot qui a fait se lever celles et ceux des nôtres qui montrent le chemin de la liberté à l’humanité. ROOTS : KÂÁDJII (en Sonrhay). C’est l’essence, la sève, le suc, la substance, l’être même. L’être profond. C’est de là que part la plante pour pousser, se renforcer, découvrir, s’épanouir et partager… Sans racines, on n’est rien. On est mort. Mort-vivant !
Or, les nôtres, celles de l’Afrique, sont puissantes : elles ont essaimé partout dans le monde, malgré toutes les tentatives de les briser et elles triomphent tous les jours.

Édition ROOTS n°18

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