Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Florelle : Je suis Florelle Manda, j’ai 37 ans, je suis originaire du Congo Brazzaville et je suis journaliste, chroniqueuse et productrice.
Sabrina : Sabrina Bandundi, j’ai 29 ans, je suis originaire de RDC et j’ai la double casquette de journaliste animatrice et chef d’entreprise.
Maklor : Moi, c’est Maklor Babutulua, j’ai 30 ans, je suis du Congo Kinshasa, j’exerce actuellement dans La Matinale de LCI et je suis, depuis peu, producteur.
Comment jugez-vous le paysage audiovisuel en France pour les Noirs et en Afrique, actuellement ?
Sabrina : Il y a des choses qui se sont améliorées mais il y a encore beaucoup à faire. Actuellement, quelques personnalités percent au niveau de l’audiovisuel français. On peut citer, entre autres, les journalistes Harry Roselmack sur TF1, Audrey Pulvar, Christine Kelly ou encore Sébastien Folin sur France Ô mais c’est encore limité. Il y a peut-être des gens qui travaillent derrière comme responsables d’antenne mais la route est encore longue. Cependant, il ne faut pas baisser les bras, il faut toujours aller de l’avant et les portes finiront par s’ouvrir. Et même si elles ne s’ouvrent pas d’elles-mêmes, nous allons créer nos propres portes.
Maklor : Je suis quand même confiant qu’un changement est en train de s’opérer, même si j’ai parfois peur que les gens se servent de nous comme une caution pour ne pas dire qu’ils travaillent uniquement entre Blancs.
Florelle : Cela me fait penser au cas de Rokhaya Diallo, par exemple, qui a été décriée par certains pour avoir accepté de rejoindre TPMP, en estimant qu’elle n’était « qu’une » caution noire. Pour ma part, je me contente du simple fait de voir qu’elle est là et qu’au final, c’est une image qui parle et que nous pouvons nous identifier à elle.
Et au niveau des médias africains ?
Maklor : Au niveau des médias panafricains, les chaînes émettent suivant des modèles économiques restreints, empêchant le fait d’avoir des médias incarnés.
Florelle : En termes financiers, certaines chaînes africaines ont beaucoup plus de moyens que certaines chaînes européennes. Toutefois, les équipes dirigeantes manquent d’imagination pour booster les programmes et apporter un nouveau souffle aux chaînes, les gens qui sont là depuis des années ne cherchent pas à élargir leur horizon.
Heureusement, il y a de plus en plus de chaînes africaines qui sont demandeuses de programmes européens ou panafricains. Il y en a même qui rachètent des programmes phares à l’étranger, à l’instar de The Voice Afrique Francophone ou L’Afrique a un incroyable talent. Le seul inconvénient est que les équipes viennent de France et les locaux sont toujours en incapacité de réaliser une production de cette envergure.
Maklor : Tout le problème est là. Je pense que la formation est nécessaire pour pouvoir exécuter ces métiers, surtout dans l’audiovisuel. En effet, beaucoup de questions se posent sur la fiabilité des écoles de journalisme ou des écoles d’audiovisuel car la plupart des personnes travaillant dans l’audiovisuel apprennent leur métier sur le tas. En Côte d’Ivoire, par contre, la RTI et la chaîne nationale ont bénéficié du savoir-faire d’une équipe de France Télévisions, et le résultat est palpable.
Florelle : Pour les médias, il reste beaucoup à faire. Je ne réussis même pas à te parler d’une émission réellement incarnée par un producteur ou un animateur noir.
Maklor : Il y a tout de même eu Island Africa Talent sur A+ qui a été présentée par Yves de Mbella, L’Afrique a un incroyable talent
par Konnie Touré et un présentateur Burkinabais, Koiffure Kitoko par Emma Lohoues…
Florelle : Certes, mais je trouve que, plus largement, il y a un
problème de renouvellement de génération sur nos chaînes
africaines. Et Dieu seul sait que j’ai beaucoup de respect pour ces grands frères. En fait, peut-être que c’est typiquement francophone.
Sabrina : En tout cas, un renouvellement de génération doit se faire. Il y a toujours les mêmes qui fonctionnent ou qui font des émissions, à croire que les autres n’existent pas. J’ai l’impression qu’il faut quémander quelque chose alors que nous avons du talent, un talent équivalent.
Vu cet état des lieux peu réjouissant, quelles seraient les solutions ?
Maklor : La solution serait de créer nous-mêmes, en fait.
Sabrina : Oui, il faut s’auto-valider et aller chercher nous-mêmes. Effectivement, les moyens sont plus ou moins limités mais aujourd’hui, beaucoup de personnes veulent investir, il suffit d’avoir la bonne idée avec un bon cahier des charges. Si nous attendons toujours, nous n’allons jamais y arriver.
Florelle : C’est une alternative qui est juste hallucinante et c’est ainsi que de nombreux médias se créent un peu partout.
Concernant les chaînes en France, seriez-vous pour un système de quota imposé ?
Sabrina : Moi, je suis pour les quotas.
Florelle : Je suis aussi pour les quotas parce que je ne crois pas que quelqu’un arrive en télé juste parce qu’il est ce qu’il est. Prenons Rokhaya, elle est brillante, militante antiraciste, antisexiste, pourtant sans arrêt remise en question. Et on ne choisit qu’elle, comme si elle était une exception, alors que des gens avec ses capacités il en existe plein, mais les chaînes ne veulent prendre aucun risque, en argumentant également sur le fait qu’elles ne savent pas où repérer ces talents. Et à cette même Rokhaya Diallo, censée tous nous représenter, aucune erreur ne lui sera pardonnée, elle a pour obligation d’être parfaite sous peine de lynchage. Sévérité de jugement qui n’est évidemment pas à géométrie équivalente pour les autres animateurs du PAF.
Maklor : C’est aussi le chien qui se mord la queue parce que je pense qu’il y a un problème d’identification. En effet, pour que l’idée puisse germer dans la tête d’un enfant, il a besoin de pouvoir se voir à la télé pour s’imaginer et se projeter là-dedans.
Florelle : Effectivement. Au-delà du racisme, qui est un racisme évident, il y a aussi un manque de projection de la part des jeunes qui ne s’imaginent pas là-dedans. Beaucoup se tournent vers le football ou le rap, car ce sont les milieux médiatiques où ils existent, alors que dans le journalisme télé, ils n’ont aucun référent. Et justement, pour que cela change, je pense sincèrement qu’il faut imposer des quotas ou que les décisionnaires à l’intérieur soient issus de diverses origines, sinon il ne se passera rien.
Sabrina : Et je ne comprends pas ce mécanisme des chaînes qui consiste à penser que le public n’est pas mûr pour accepter la diversité à l’antenne, alors que Roselmack est l’un des journalistes préférés, Zidane ou Omar Sy les personnalités françaises préférées, le couscous le plat préféré, etc etc. Donc nous sommes dans une hypocrisie totale.
Florelle : En 2017, il y a des choses qui se passent dans le monde, il y a les États-Unis, il y a l’Angleterre où ces questions-là ne se posent pas. En fait, la télévision n’est pas le reflet de la France. Tu es en Angleterre, à deux heures de Paris, tu allumes ta télé, tu verras des Asiatiques, des Noirs… Leur Patrick Poivre d’Arvor local, il est Pakistanais.
Maklor : Maintenant, nous en sommes conscients. En tout cas, ça ne doit pas être un handicap, ça ne doit pas nous empêcher d’avancer, donc je pense qu’il ne faut pas se résigner.
Parlons du futur, quels sont vos projets actuels et dans un futur proche ?
Maklor : Je présente la météo sur La Matinale de LCI où ça se passe plutôt bien. J’avais été approché par TF1 pour la présentation des bulletins météo, j’étais en coaching avec Evelyne Dhéliat, mais c’est finalement Tatiana Silva qui a été prise. Pour l’anecdote, à la fin de mon entretien on m’a demandé par combien de personnes j’étais suivi sur les réseaux sociaux. C’est
devenu un facteur qui entre en jeu. Et je n’avais ouvert mon compte Instagram que depuis deux semaines… je vous laisse imaginer. J’aimerais également aller bosser en Afrique parce qu’il y a de réelles opportunités. Concrètement, en France, si je veux un jour animer un prime time ou présenter une émission avec un gros barnum, cela ne me sera pas proposé avant un long moment… Voire jamais. Mais je sais que là-bas, avec l’expérience qui est la mienne ici, je peux très bien succéder à des personnalités telles que Claudy Siar, par exemple.
Florelle : Pour ma part, je travaille déjà avec l’Afrique puisque j’ai tourné des émissions là-bas, avec des partenariats locaux pour mon émission Génération Cup. Je vous parlais justement du digital. Au départ, Génération Cup était un projet télé, j’avais un deal de diffusion sur une chaîne. Mais quand tu essayes de vendre ton programme, une fois, deux fois, tu te rends compte qu’ils le veulent tous gratuitement ! Tu te rends compte, à un moment donné, que tu fais du bénévolat alors que ces chaînes gagnent de l’argent. Si tu ne trouves pas de diffuseur bankable, tu essaies de devenir ton propre diffuseur. Pour le reste, j’ai toujours cette envie de bosser avec des chaînes africaines, panafricaines,
incarner des choses, ça sera avec grand plaisir. J’ai l’intime conviction que c’est en Afrique que tout va se passer.
Sabrina : J’ai mon programme Kongo Link que j’ai vendu pendant une saison. Là justement, je suis en train de retravailler dessus pour le proposer à nouveau. Nous avons appris à fonctionner d’une certaine façon et, face à nous, nous avons des interlocuteurs qui ont aussi leur propre manière de raisonner. Ces incompréhensions avec les décideurs des chaînes à visée panafricaine peuvent parfois créer des frustrations. Le challenge sera donc de trouver un terrain d’entente.
Hormis Kongo Link, je continue les présentations d’événements un petit peu partout dans le monde. Je reste ouverte aux propositions, notamment en Afrique.
Si je vous dis le mot « Roots », qu’est-ce que ça vous évoque ?
Florelle : Cela me fait penser à nos racines africaines, à nos parents, nos arrière-grands-parents… Cela me fait penser à ce qui constitue mon identité, ce qui fait ce que je suis, c’est une force.
Sabrina : Quand tu me dis « Roots », ce qui me vient à l’esprit : empreinte digitale, quelque chose d’ancré en moi. Je me vois le bras levé.
Maklor : Roots… Ce qui nous définit, c’est la continuité de la tradition. C’est ce qui nous nourrit. Pour pouvoir bien avancer, il faut avoir les pieds bien ancrés au sol.
C’est ce qui nous ramène à la terre.
Édition ROOTS n°20 – Spécial Kongo
Commentaires