“Qui peut, mieux qu’un entraîneur local, représenter son pays au plus haut niveau ?
J’imagine mal l’équipe de France entraÎnée par un Africain ou un Russe, quand bien même il aurait été un grand joueur.”
Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je suis José Pierre-Fanfan, j’ai 47 ans, je suis un ancien footballeur professionnel, d’origine Martiniquaise, aujourd’hui consultant chez Canal+ International, notamment Canal+ Afrique et Canal+ France.
On arrive sur la dernière ligne droite de la Coupe du monde qui va se dérouler au Qatar. Quel est ton premier ressenti ?
C’est le mondial de l’inconnu. Au-delà du coté exotique, il est en plein milieu de saison, en fin d’année civile et c’est totalement inédit. Inédit pour tout le monde, pas que pour le championnat de Ligue 1 que je suis, mais pour tous les championnats. La préparation doit être particulière pour l’ensemble des joueurs et, quelque part, cela rebat les cartes. Les joueurs vont arriver avec beaucoup de fraîcheur parce qu’en novembre c’est le pic de forme pour l’ensemble d’entre eux.
Cela ne condamne-t-il pas davantage les plus faibles sélections ?
Justement, ce qui est surprenant c’est qu’on vient de vivre une dernière fenêtre internationale et beaucoup de joueurs sont blessés, en ce début de saison. Et c’est surprenant car on pourrait imaginer que les joueurs sont frais, ils montent en puissance petit à petit, mais beaucoup sont déjà sur les rotules. La saison dernière avait déjà été harassante, c’est difficile, elle s’est terminée avec plus de 60 matchs pour certains. Malgré les 3 semaines de vacances, tout s’est vite enchainé avec les matchs tous les 3 jours. Ce qui montre déjà que, physiquement, c’est compliqué. Quand je dis que cela rebat les cartes, c’est parce qu’il n’y aura pas de préparation, les joueurs seront libérés par leurs clubs aux environs du 10 novembre. Le premier match de la Coupe du monde sera le 22 novembre, il n’y a plus de matchs amicaux et toutes les nations vont entrer tambour battant dans la compétition.
Quel est le pays favori et celui qui fera la surprise ?
Il y a toujours les équipes européennes et sud-américaines qui ont logiquement leur mot à dire. Les stars devront, dans tous les cas, être présentes : Neymar, Messi, Ronaldo… Parce qu’ils ont cet événement en tête depuis le début de la saison et qu’ils se préparent pour cette Coupe du Monde à travers leur championnat domestique.
Mais, sans surprise et étant plutôt être cartésien, je vois le Brésil capable capable d’aller chercher quelque chose. C’est une équipe qui a connu des années un peu délicates, qui s’est reconstruite, qui a retrouvé une ossature, des joueurs qui sont aussi revanchards et qui savent que – pour certains – c’est la dernière, il faut aller la chercher.
L’équipe de France, tenante du titre, qui est en reconstruction, doit malgré tout essayer d’aller la chercher, son statut l’impose. Mais le contexte est flou, le France connait aujourd’hui de nombreuses difficultés, que soit au niveau de la Fédération, que ce soit sportif au niveau des joueurs, de leurs états de forme et des blessures (Kanté, Pobga…). Enfin, le champion d’Afrique en titre, le Sénégal, pourrait créer la sensation. Parce que, dans quasiment toutes les lignes, ils ont des joueurs qui évoluent dans les plus grands clubs européens. À l’époque, le grand Cameroun avait des joueurs qui évoluaient justement dans les plus grosses ligues, au plus haut niveau, que ce soit à Barcelone (Eto’o), Chelsea (Geremi) ou Arsenal (Lauren), entre autres. Je retrouve un peu ça à l’heure actuelle avec le Sénégal.
LE CAMEROUN
Là, on va entrer dans une autre compétition. C’était déjà un premier objectif de se qualifier, ils l’ont fait avec brio. Je pense qu’il n’y a jamais de hasard dans le sport de haut niveau. Ils ont été chercher cette qualification donc on ne peut pas la leur retirer. Même si, effectivement, Belmadi et les Algériens auront un tout autre avis, parce que la défaite a été amère. C’était la première étape. Elle est faite. Ça doit leur permettre aussi de grandir. Et maintenant, il y a un président, Samuel Eto’o, qui a déclaré qu’ils veulent gagner la coupe du monde. Ce qu’il faut, c’est décrypter le discours. Moi, je comprends ce qu’il veut dire. Je pense qu’il est conscient que ce serait plus que miraculeux pour le Cameroun de gagner la coupe du monde. Mais en même temps, quand vous participez à une coupe du monde, vous êtes sur un pied d’égalité. On démarre sur la ligne de départ au même niveau que les autres, il a donc raison de tenir ce discours. Mais après, quand on regarde un peu plus, il y a beaucoup d’incertitudes malgré tout côté Cameroun. Il va déjà falloir qu’ils sortent d’une poule où il y a le Brésil, la Serbie et la Suisse. Ce n’est pas facile. Quand je regarde l’effectif, il y a la qualité, mais je pense qu’il n’y a pas une qualité suffisante pour avoir de l’ambition dans ce mondial. Ça manque malgré tout de talents, de joueurs qui jouent au plus haut niveau, de très bons joueurs. On est loin de la génération des Eto’o où, pour moi, il y avait des joueurs qui évoluaient au plus haut niveau, dans des clubs prestigieux. On a une bonne équipe camerounaise qui se doit d’aller chercher une deuxième place et voir derrière, match après match, jusqu’où on peut aller. Mais sincèrement, ça va être difficile pour le Cameroun.
LE SÉNÉGAL
Ce sera difficile pour eux aussi. Parce que déjà, pour les cinq équipes qualifiées, il faut sortir un peu de ce plafond de verre qui est posé sur les têtes des sélections africaines. Je pense que c’est pour cela, pour revenir à Samuel Eto’o, qu’il a tenu ce discours, dire « on va la gagner » et non pas juste dire « sortir des poules ou passer les huitièmes de finale ». Il faut avoir cette envie d’aller la chercher. Aujourd’hui, le Sénégal, en termes d’ossature d’équipe, est la mieux armée des équipes africaines. Il y a une continuité par rapport à son sélectionneur qui est en place depuis 7 ans. Dans toutes les lignes, le gardien, l’assise défensive, le milieu de terrain, l’attaque. Même si Mané est un peu en difficulté cette saison du côté du Bayern, l’ensemble des joueurs évoluent dans les plus grands championnats et dans les meilleurs clubs. Ils sont champions d’Afrique en titre et finalistes l’édition d’avant, ce qui montre une continuité dans la performance. Pour valider une aussi bonne génération, il faut frapper fort ! Ils l’ont fait sur le continent africain, maintenant il faut miser sur la scène mondiale. Ces lions de la Téranga doivent vouloir beaucoup plus que les quarts et chercher les demies ! Déjà, il faudra sortir de cette phase de poules et je pense qu’ils en sont capables. Ce serait une déception énorme s’ils n’y arrivaient pas. C’est à l’équipe d’être ambitieuse !
LE GHANA
Je ne suis pas du tout optimiste sur le Ghana. Ils sont, certes, qualifiés mais c’est une équipe qui, en termes de proposition dans le jeu, va se reposer sur un André Ayew qui aujourd’hui est vieillissant. Donc ça reste très compliqué et très poussif dans le jeu. Je ne les vois pas sortir de leur phase de poule. Donc, une participation, certes, mais je ne les vois vraiment pas aller plus loin.
LE MAROC
Je pense que le Maroc peut représenter fièrement le continent africain dans cette compétition. Il y a eu un changement de sélectionneur juste avant la coupe du monde. C’est Vahid Halilhodzic qui les a qualifié pour la coupe du monde, mais comme il était contre la venue d’ Hakim Ziyech, pour l’équilibre du groupe, il a été limogé. Les Marocains trouvaient impensable de se priver d’un tel joueur pour la coupe du monde. Je ne suis pas sÛr que ce soit le bon timing. Mais, en termes d’effectif, je pense que le Maroc se doit d’aller chercher un huitième de finale. L’objectif est donc de sortir de leur poule.
LA TUNISIE
Ca va être compliqué. Parce qu’ils partagent leur groupe avec la France, l’Australie et le Danemark. Je les vois en grande difficulté. Ce serait vraiment un exploit qu’ils terminent deuxième de cette phase de poules. L’équipe de France est supérieure ; le Danemark, lorsqu’on voit ce qu’ils ont proposé face à l’équipe de France me paraît également largement au-dessus. Les Tunisiens, là aussi, n’ont pas de joueurs qui évoluent au plus haut niveau, donc qui vont manquer d’expérience au niveau international. La victoire, c’était déjà la participation en coupe du monde. Fait historique, on va avoir cinq sélectionneurs de sélections africaines, issus des pays en question, pour la plupart des anciens internationaux, qu’est-ce que ça t’évoque ?
C’est une très bonne chose. Ce qu’il faut, c’est ne pas partir dans les extrêmes. Et, à un moment donné, sur le continent africain, on était sur les extrêmes. C’est-à-dire que des entraineurs étrangers, sans Cv et sans vécu particuliers en Europe avait la côte, juste côte parce qu’ils étaient Européens, parce qu’ils étaient Blancs. Ces entraineurs -là, personne n’en voulait en Europe. Et ils trouvaient, paradoxalement, de belles nations africaines à entraîner. Ils ont fait carrière comme ça sur le continent africain. Généralement, quand on voulait des locaux, ils n’avaient pas forcément la formation. Et pas toujours les outils pour travailler. Ça, ça a évolué. Aujourd’hui, si on observe le cas d’Aliou Cissé, il a passé ses diplômes, il a fait ce qu’il fallait pour être en capacité d’entraîner. Et, par la force des choses, il a fallu qu’il y ait des exemples. Le Sénégal, avec Cissé, ils ont montré l’exemple, en lui faisant confiance. Il en est de même avec l’Algérie et Belmadi. Ces deux nations ont montré l’exemple, en montrant surtout qu’elles étaient capables de gagner, avec des entraineurs locaux. C’est une bonne chose, car qui peut, mieux qu’un entraîneur local, représenter son pays au plus haut niveau ? J’imagine mal l’équipe de France entraÎnée par un Africain ou un Russe, quand bien même il aurait été un grand joueur. Quand on parle de l’après Didier Deschamps, sur les postulants, il n’y aura pas d’étrangers. Il faut qu’en Afrique, petit à petit, ce soit le cas pour toutes les nations africaines. Et pour cela, il faut anticiper et inciter les anciens joueurs à se former.
Ton Onze de rêve africain (joueurs en activité) ?
Onana – Hakimi Bensebaini Koulibaly Bailly – Fofana, Benacer, Zambo Aguissa – Mané, Salah, Osimhen.
Si je te dis “Roots”, cela t’évoque quoi ?
L’encrage !
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