Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
François Nyam, 34 ans, métisse franco-camerounais. Je suis agent sportif de joueurs de basketball et football.
Votre cursus ?
J’ai toujours été sportif, depuis tout petit. J’ai commencé par le foot avec l’UNF Clairefontaine en externe, l’ASN Cannes… Sauf que j’ai grandi très vite, très tôt. À 12 ans, je faisais pas loin d’1m80 et j’ai été sollicité par le monde du basket. Puis, c’est une blessure qui m’a écarté des terrains de foot pendant un an. Lorsque j’ai repris, j’ai aussitôt switché pour le basket. J’ai alors eu des rêves de NBA, comme tout basketteur en herbe. Grâce à une bourse, j’ai pu faire mes études aux États-Unis, mais les évènements du 11 septembre sont arrivés et mon visa n’a pas pu être renouvelé car les ambassades étaient fermées. Du coup, j’ai commencé ma carrière en France. J’ai joué à Bondy, Levallois, Nancy, Avignon, Andujar en Espagne et puis est arrivé un moment dans ma carrière où j’ai mis le basket en pause car j’aspirais déjà à une reconversion, à seulement 26 ans. J’ai passé un an en tant qu’assistant coach à Los Angeles, mais ce n’était pas vraiment ce que j’imaginais. J’ai ensuite fait beaucoup de scooting, ce qui m’a énormément plu. Cela consiste à évaluer les talents, on voit beaucoup de matchs et cela me convenait davantage. Ayant côtoyé le milieu professionnel, ayant énormément de jeunes joueurs qui voyaient en moi un conseiller, j’ai passé ma licence en 2008 pour pouvoir devenir agent professionnel. J’ai donc toujours été au contact du terrain et de l’homme.
Les qualités qui font de vous un bon agent sportif ?
J’ai un « truc » pour l’humain, je l’ai observé de par les différents jeunes qui viennent prendre conseil auprès de moi. En parallèle à mon statut de joueur de l’équipe réserve du Paris Levallois, j’ai travaillé en tant qu’encadreur et tuteur du centre de formation pendant 4 ans. Je suis issu de la banlieue parisienne, fils de l’immigration, j’ai peut-être plus de proximité avec cette jeunesse qui est aujourd’hui principal fournisseur du sport français et j’ai une plus grande facilité à la comprendre. De par mon vécu, j’avais des conseils à leur donner pour éviter certaines épreuves qui allaient se présenter à eux.
Le métier d’agent c’est la gestion des hommes, mais c’est aussi de la négociation avec les clubs, avec les sponsors et sur de très gros montants. Est-ce quelque chose d’inné ou que vous travaillez ? Votre jeune âge n’est-il pas un frein ?
Aujourd’hui, personne ne nous prend au sérieux. Le métier d’agent a longtemps été peu règlementé et il y a eu beaucoup d’abus de la part de gens peu qualifiés, qui n’avaient ni l’expérience, ni l’expertise. Depuis, les différentes fédérations se sont organisées et la profession se règlemente de plus en plus. Malgré cela, il règne toujours ce mysticisme autour de la profession avec le cliché de « l’agent véreux, requin » à cause des gros enjeux financiers. On n’est jamais pris au sérieux, surtout en France, un pays globalement refractaire à la nouveauté, et dès lors qu’un jeune arrive on s’en méfie. J’ai eu la chance d’avoir quelques portes ouvertes car je connaissais du monde dans le milieu mais, pour autant, rien n’était aquis. Sortir des joueurs très forts, faire évoluer des joueurs lambda en joueurs de très haut niveau, c’est ce qui va me permettre de forcer le respect.
Il s’agit simplement de faire ses preuves en montrant qu’on est capable d’encadrer et orienter un jeune jusqu’au firmament du sport.
Votre stratégie est de vous concentrer sur votre réseau ou alors partir à la recherche des pépites de demain ?
Un mix des deux. Après 4 ans de travail en solo dans ma propre structure, j’ai eu l’occasion d’intégrer l’une des plus grosses struc- tures au monde. Ils sont dans l’élitisme et mon job pour eux est de cibler les prochaines stars ou allstars, mais j’ai aussi la liberté d’exercer sur ma propre entité et, de ce fait, j’ai la possibilité de travailler sur des joueurs qui « me parlent » et qui ne sont pas forcément voués à la NBA. C’est par exemple le cas de Yohann Sangaré que je représente. Il est plus qu’un joueur, c’est un frère pour moi, et cela coulait de source que je sois associé à son image par rapport à tout ce qu’il fait sur et en dehors des terrains, voici le profil de joueurs qui m’intéressent. J’ai envie de garder cet axe humain avant de penser uniquement à un axe numérique et faire du chiffre.
J’ai donc besoin de trouver des talents, des jeunes pépites car c’est ce qui fera ma réputation sur le long terme, mais en même temps, j’ai besoin d’être entouré de bonnes personnes.
Votre état des lieux du vivier de l’Ile de France ?
C’est le plus gros vivier français avec les Antilles en ce qui concerne le basketball. D’un point de vue athlétique, passion du sport, abnégation… On retrouve toutes les caractéristiques qui font un sportif de haut niveau en Ile de France. C’est un vivier exponentiel. En revanche, l’aspect psychologique de la banlieue parisienne et ses réalités font que certains passent à côté de carrières. C’est le travail que je m’efforce de faire. Cibler les talents « à problème » car parfois il s’agit d’un rien pour les remettre sur le bon chemin ou les aider à passer un cap. Encore une fois, parce que je suis issu du même milieu, je peux me rendre compte de certaines de leurs réalités, c’est ce qui me guide et m’encourage à continuer.
Parlez-nous des étoiles de votre portefeuille de joueurs ?
J’ai la chance de m’occuper de deux joueurs NBA. En tête d’affiche, je dirais Luc Richard Mbah a Moute, puisqu’il est aujourd’hui dans sa 7ème année professionnelle et on peut le considérer comme un joueur confirmé et affirmé en NBA. Puis, il y a l’étoile montante Joel Embiid, 3ème choix de la draft en 2014, recruté par les Philadelphia Sixers. C’est d’autant plus incroyable qu’il a commencé le basket il y a seulement 4 ans, car il est issu du volley. Il était venu sur un event : le “Mbah a Moute basketball camp” qui avait été organisé au Cameroun il y a 4 ans et c’est là que nous l’avons découvert. Il était brut de décoffrage et un très beau travail a été fait sur lui ! En Pro A, je citerai Yohann Sangaré, ancien international français qu’on ne présente plus et Giovan Oniangue, un prodige d’origine congolaise du Paris Levallois, avec lui aussi une histoire atypique. Un gros bosseur, pas forcément le plus talentueux au départ mais avec une énorme éthique de travail et une très grande foi. C’est un très bel être humain en plus d’être basketteur et qui est promis à un bel avenir.
“Je suis un « people’s guy » qui fonctionne à la personne”
Yohann Sangaré, votre protégé, est depuis peu le président de l’association Giving Back et a succédé à Babacar Sy. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Comme on dit aux Etats-Unis, je suis un « people’s guy » qui fonctionne à la personne et j’ai une histoire plus que forte avec Giving Back que j’ai découvert avec Babacar Sy il y a 20 ans. Je suis aujourd’hui ambassadeur de cette association et c’est la suite logique des choses. Dans la vie, on n’y arrive jamais seul et il faut savoir donner des coups de main à la génération qui vient et Giving Back en est l’exemple avec les différentes activités dans lesquelles elle s’implique mondialement, puisqu’elle est présente aux Antilles, aux USA, dans 7 pays d’Afrique et bien sûr en France. Cette association a dépassé le milieu du sport puisqu’on touche désormais l’art, la littérature et c’est un honneur pour moi de représenter le nouveau président de Giving Back !
La semaine type d’un agent de joueur ?
Il n’y en a pas. Selon les périodes, le flux d’activité n’est pas le même. Si on parle de la NBA aux Etats-Unis, entre les mois de février et le mois de mai c’est extrêmement actif car ce sont les derniers sprints pour signer les prochaines stars de la draft qui s’enclenchent et c’est une compétition dingue entre les différentes structures d’agents. Pour la France, la grosse période commence début avril jusqu’à fin août car nous sommes dans la période des transferts. Les contrats dans le basket sont courts donc il faut régulièrement les renouveler ou être à l’affût des propositions. Le reste du temps, c’est beaucoup de relationnels, d’entretiens, on parle énormément aux joueurs, on essaye de les conseiller sur l’aspect technique et tactique de leur jeu, on tisse des liens avec leur entraineur, les directeurs de clubs. Il faut aussi assister à des matchs le week end pour repérer les pépites de demain et puis, lorsqu’on en cible un ou deux, il va y avoir un gros travail avec les parents pour leur expliquer ce que l’on prévoit pour leur enfant. Je suis un agent qui aime être sur le terrain, qui a besoin d’être vu, aller au devant des gens et des épreuves.
Que peut-on vous souhaiter pour le futur ?
Devenir le premier agent français à représenter le numero 1 de la draft, chose qui ne s’est jamais vue. J’étais à deux doigts de le faire l’été dernier, je considère donc que c’était « reculer pour mieux sauter ».
Votre favori pour la saison NBA en cours ?
Golden States. Je suis un ancien shooting guard, deuxième arrière, et je suis donc en extase devant le tandem Klay Thompson / St phen Curry. C’est un jeu spectaculaire. J’aime leur coach qui est un nouveau en NBA, qui s’impose comme l’un des meilleurs et qui vient chambouler les institutions.
Si je vous dis ROOTS ?
La Terre mère, le Cameroun, mon village : Bafia, d’où mon père est originaire et où mes ancêtres sont enterrés.
Édition : ROOTS n°14
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