Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je suis Danièle Sassou Nguesso, une épouse et mère de 4 adorables enfants dans la vie privée. Dans la vie publique je suis opticienne-lunetière et entrepreneure sociale. A ce titre, je dirige depuis un peu plus de deux ans la Fondation Sounga qui promeut l’égalité femme-homme au Congo (Brazzaville).
Si vous deviez vous définir en 3 mots ou expressions…
Je dirais « dynamique, empathique, humble » mais vous savez comme moi que je ne peux pas être juge et partie.
Quelle est la genèse de la fondation Sounga ?
L’idée de la Fondation Sounga est née de deux chocs. Le premier est consécutif à l’action caritative que j’ai initiée auprès des orphelins et des enfants de la rue à travers une association dénommée Le Petit Samaritain. En m’occupant des enfants je me suis rendue compte qu’une part importante de leur souffrance était liée à la situation de leurs mères. J’ai donc décidé de m’intéresser à elles. J’ai découvert qu’elles étaient dans une grande vulnérabilité et qu’en plus, elles n’étaient pas des exceptions. En effet, autour de moi, de nombreuses femmes connaissaient mille et une injustices qui semblaient normales dans notre société alors que je croyais que nous avions les mêmes droits que les hommes. La vie pratique révèle une autre réalité, triste celle-là. Tel a été le second choc. Atténuer d’une façon ou d’une autre ces disparités politiques, économiques et sociales entre les hommes et les femmes m’a conduit à m’engager pour les femmes, d’où l’idée de créer la Fondation Sounga qui porte bien son nom car le mot Sounga signifie « aide » en lingala. Elle a pour vocation de venir en aide à toutes ces femmes laissées pour compte ; à toutes ces femmes et ces filles désireuses elles aussi de contribuer à l’effort de développement du Congo.
Au delà de la fondation, vous avez à cœur de promouvoir le «woman empowerment», pourquoi ce combat ?
La promotion du « woman empowerment » est l’essence même de la Fondation Sounga. Le fait pour les filles et les femmes d’être assignées à des fonctions subalternes pour la plupart les rend dépendantes de la société. Cette dépendance notamment sur le plan économique est source d’une extrême vulnérabilité vis-à-vis des hommes. Pour y remédier, il est indispensable de donner aux femmes des outils pour créer ou développer leurs entreprises. C’est ce que nous faisons au sein de la Fondation avec l’incubateur exclusivement féminin Sounga Nga. Nous y accueillons les femmes de tous les niveaux qui souhaitent avoir leur propre activité professionnelle et donc leurs propres revenus. Dans le même esprit, nous avons créé un outil pour mesurer le degré d’insertion professionnelle des femmes à travers le Label Genre qui consiste à classer de façon hiérarchique les entreprises selon leur capacité à recruter et à donner des responsabilités aux femmes.
Qu’est-ce qui motive une femme de votre envergure à s’engager sur le terrain pour les plus démunis ?
Il est toujours difficile de dire de façon objective pourquoi on s’engage pour telle ou telle cause. La vie fait en sorte qu’on est plus sensible à certaines situations qui nous interpellent plus que d’autres. Parfois on est porté par l’envie de ne plus voir une souffrance, de tenter de la réduire, de donner un coup de main à autrui parce que l’on a reçu gratuitement de la vie, elle exige que nous donnions aussi gratuitement. Enfin, peut-être qu’il y a aussi l’envie de donner du sens à sa vie, de ne pas vivre pour soi et pour les siens mais de se mettre au service d’autres humains qui pourraient être dans le besoin. Il est bon d’avoir une cause qui dépasse son égo.
“Je ne prétends pas avoir de leçon à donner aux femmes. Mais je peux leur suggérer avec modestie de continuer à se battre pour réclamer leurs droits et pour davantage d’égalité dans notre société.”
Quelles ont été les actions les plus marquantes depuis que Sounga existe ?
Vous avez raison de poser la question parce qu’au fond, Sounga n’est pas une révolution dans le paysage associatif congolais. En matière des droits des femmes, plusieurs associations font un travail utile depuis plusieurs années. Il faut également rendre hommage à celles qui nous ont précédé dans la quête de l’égalité femme-homme au Congo. Leurs résultats sont une rampe qui explique en partie l’impact de nos projets. Les actions les plus marquantes que nous conduisons sont sans doute l’incubateur féminin Sounga Nga, le Focus group sounga, le Label Genre et les actions de plaidoyer auprès des décideurs publics nationaux et internationaux à travers des débats, la participation aux conférences et des publications (tribunes, livres, etc). Concernant ce second aspect, je dois mentionner mon livre Genre et développement en République du Congo : promouvoir l’égalité homme-femme au profit de la croissance dans lequel j’explique l’indispensable nécessité de parité pour parvenir au développement. Il existe un lien entre l’accès au développement et la parité. Le besoin de développement doit pouvoir encourager les uns et les autres à respecter les droits des femmes.
Quels sont vos projets pour 2018 ?
En 2018, nous conduirons les mêmes projets que l’année dernière. Il existe néanmoins quelques innovations. Nous allons monter d’un cran avec l’incubateur Sounga Nga. Après la première édition qui était en quelque sorte une édition pilote, cette année nous allons avoir une approche plus ciblée de la formation à l’entrepreneuriat en scindant les lauréates en fonction de leurs trajectoires respectives. Nous allons également accroître les visites en entreprise pour plus de pratique et enfin, un accent particulier sera mis sur le mentorat car
réussir dans l’entreprenariat exige des compétences, un modèle inspirant et un solide réseau. J’aimerais que les lauréates soient dotées de tout cela à la fin de la formation. Cette année sera également l’année de la matérialisation concrète du Label Genre qui a reçu un très bel accueil de la part de la communauté internationale. Les partenaires nécessaires à son implémentation sont disposés à collaborer en nous transmettant les données nécessaires. Nous attribuerons certainement les premiers Label Genre cette année.
Si une amie non-congolaise passait 48h à Brazzaville, quels spots lui recommanderiez-vous ?
Si une telle question m’était posée, je répondrais à son auteure de regarder le film documentaire I am Congo que j’ai produit en 2016. Ce film magnifie toute la biodiversité et la richesse humaine de notre beau pays. D’ailleurs la critique l’a très bien accueilli. Il a reçu le prix du meilleur documentaire étranger au Festival du Film Indépendant de Los Angeles en 2016.
Vous êtes une férue d’art. Quels sont vos artistes africains phares ?
Vous êtes bien renseignés ! L’Afrique regorge de nombreux talents dans tous les domaines artistiques que ce soit la musique, le cinéma, la peinture ou la photographie. J’ai une grande sensibilité pour les talents de chez nous qui ont réalisé les œuvres de l’exposition « Beauté Congo » présentées à la Fondation Cartier, il y a deux ans, ou encore les photographies de Malick Sidibé qui racontent en images Bamako et même l’Afrique de la génération de nos mères et de nos pères. J’ai une profonde admiration pour la musique et la personne que Myriam Makeba a été. C’est une source d’inspiration pour de nombreuses femmes. Enfin et c’est une vérité de Lapalisse, j’ai une forte sensibilité pour la rumba de chez nous : un clin d’œil à Fally Ipupa.
Si vous aviez un message à adresser à la femme congolaise, africaine en générale, lequel serait-ce ?
Je ne prétends pas avoir de leçon à donner aux femmes. Mais je peux leur suggérer avec modestie de continuer à se battre pour réclamer leurs droits et pour davantage d’égalité dans
notre société. Cette asymétrie beaucoup trop palpable n’est pas naturelle. Et nous ne pouvons plus continuer à vivre au 21ème siècle comme au siècle précédent.
Si on vous dit le mot ROOTS, cela vous évoque quoi ?
Spontanément, ROOTS me renvoie à la racine, à la sève nourricière, au berceau voire au bercail. Ce mot résonne aussi comme une pulsation ; celle de l’énergie vitale qui fait ruisseler jusqu’à nous l’inspiration dont on a besoin pour changer la face du monde. Enfin, ROOTS évoque aussi une forme de devoir, celui de ne pas oublier d’où l’on vient quel que soit ce que l’on devient.
ROOTS : Forcément « Racine ».
C’était le titre d’un film lorsque j’étais plus jeune. Vous imaginez, il fut une époque où on disait que l’homme Noir ne pouvait accomplir les mêmes choses que l’homme Blanc. Et aujourd’hui, ces hommes Noirs qui se sont battus pour l’indépendance de leurs pays, sont les mêmes qui disent que la femme Noire ne peut accomplir les mêmes choses que l’homme Noir.
Hérésie ! Que celle de toujours en avoir un qui veut dominer l’autre…
Édition ROOTS n°20 – Spécial Kongo
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