Originellement compté simplement comme l’une des quatre langues nationales, le Lingala en est venu, après quelques décennies seulement, à se hisser sans tambour ni trompette, au statut de langue la plus parlée au Congo-Kinshasa.
Qu’est-ce qui explique pareille ascension ? Quelles pourraient en être les consequences ? Dans le présent article, il sera question des avantages. Prochainement, nous examinerons les éventuels dangers qui découlent de cet impérialisme linguistique.
Plusieurs facteurs ont favorisé l’éclat actuel du lingala au Congo-Kinshasa. D’abord, le long règne du Maréchal Mobutu (32 ans), lui-même originaire de la province de l’Equateur, zone « lingalophone ». Il n’est pas inutile d’ajouter que l’ancien dictateur était un tribun que les Congolais de toute origine aimaient écouter.
Par ailleurs, depuis toujours le lingala est la langue « officielle » de l’armée. Qu’ils proviennent des zones “swahiliphone” ou “tshilubaphoneˮ, tout militaire congolais était censé parler Lingala. La plupart des supérieurs, (à cause du régime qui a largement favorisé les frères de tribus de Mobutu au sein de l’armée, tribalisme oblige) s’exprimaient généralement en cette langue. Le système de mutation périodique des militaires dans toutes les provinces (aux zones linguistiques différentes) a aussi contribué à la propagation du Lingala.
La musique congolaise est essentiellement chantée en Lingala, et le Congolais raffole de sa musique. On ne peut pas continuellement être exposé à des sonorités en langue « étrangère » sans vouloir essayer de la fredonner, chercher à en comprendre le sens, et pourquoi pas la parler.
Le Français, quoique sur papier langue officielle du pays, est en réalité perçue par beaucoup de compatriotes comme “difficileˮ et souvent qualifié de “langue des intellectuelsˮ. Par contre, le Lingala est considéré comme relativement “facileˮ, avec une grammaire peu élaborée.
Les stations locales de radio et de télévision prennent habituellement le relais des émissions provenant de Kinshasa. Or, nombre de ces émissions sont conçues en Lingala : le théâtre, les émissions culturelles, religieuses, de musique ou même des débats politiques.
Kinshasa, capitale du pays, exerce une fascination extraordinaire auprès de beaucoup de jeunes des centres provinciaux. Pour eux, Kinshasa est la “ville-lumièreˮ. Aussi, nombre d’entre eux rêvent d’y aller mais tous ne le peuvent, soit à cause du prix prohibitif du transport, soit parce qu’ils n’y connaissent personne susceptible de les y accueillir.
Ce fantasme est perceptible chez eux à leur manière d’être : ils s’habillent comme les Kinois, ils se coiffent comme les Kinois, ils s’expriment comme les Kinois, ils dansent comme eux, etc. Le “voir Kinshasa et mourirˮ est perceptible auprès de cette catégorie de population.
Tous ces facteurs, s’étalant sur plusieurs années, ont fait que de « la langue de l’Equateur » ou « la langue de Kinshasa » qu’elle était, le Lingala a obtenu un statut de la langue la plus parlée et acceptée par beaucoup.
Lingala, facteur d’unité. Dans un pays qui regorge de plus de 200 ethnies et dont la langue officielle (le Français) est « réservée » aux élites, le Lingala apparait à certains égards, comme l’un des biens que les Congolais ont en commun, de quelque origine qu’ils soient.
Les vicissitudes du quotidien ont conduit le Congolais, instinct de survie oblige, à compter sur lui-même et sur personne d’autre. Et pour survivre, le Congolais n’exerce pas seulement toutes sortes de petits boulots, il voyage aussi.
Ainsi, femmes, hommes, jeunes et moins jeunes sont souvent sur les routes du pays. Ils s’en vont vendre et acheter pour revendre, histoire de « joindre les deux bouts », payer les frais scolaires, etc.
Pendant ces déplacements et transactions, ils communiquent. À défaut de parler le Français à un interlocuteur d’une autre ethnie (et donc d’une autre zone linguistique), c’est au Lingala qu’ils recourent.
Cependant, ce n’est pas qu’au pays que cela se vérifie, mais à l’extérieur aussi. La vie dans la diaspora pose le problème de communication entre différentes communautés congolaises. S’il est vrai que nombre de Congolais de l’étranger sont instruits, il n’en demeure pas moins vrai que des milliers d’entre eux ne peuvent s’exprimer correctement en Français non plus. Aussi, le constat est que la langue de trait d’union choisie n’est ni le Swahili, ni le Kikongo ou le Tshiluba. C’est plutôt le Lingala.
L’Afrique du Sud, par exemple, accueille des milliers d’émigrés d’origine congolaise sur son territoire. Ceux-ci résident pour la plupart dans les trois grands centres : Gauteng (avec Johannesburg et Pretoria), le Kwazulu Natal (Durban) et le Cape occidental (Capetown). Ils forment une communauté hétérogène, faite de personnes venues lors de périodes diverses, issues de conditions sociales ou d’origine variées.
Il est cependant intéressant de noter que pour se déterminer par rapport aux autres émigrés africains, ils s’identifient par l’expression ˮ Bato ya mangala ˮ[ceux dont la langue est le Lingala]. Peu importe leur langue d’origine, tous ont opté pour être considérés comme des locuteurs d’une des langues du Congo : le Lingala.
En étant devenue la langue de communication par excellence, le Lingala joue non seulement le rôle d’instrument de communication, mais aussi celui de pont entre les communautés du Congo.
Édition ROOTS n°20 – Spécial Kongo
Par Emmanuel Ngeleka
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