ANGEL MWANA : Happy50, le rdv de la mode afro

Contrôle d’identié, s’il vous plaît ?
Je suis Angel Mwana. Je suis originaire du Congo RDC. Je suis entrepreneure et je suis, entre autres, co-fondatrice de Happy50.

Revenons sur ton parcours avant de te lancer dans l’entreprenariat…
Avant de me lancer dans l’entreprenariat, j’ai eu ma licence information communication. Ensuite, j’ai fait un master marketing et management commercial avec pour but de travailler dans le marketing, plus précisément dans le secteur de la musique, dans lequel j’avais déjà eu beaucoup d’expériences.
Par exemple, j’ai travaillé chez Fnac Music, j’ai effectué l’un de mes premiers stages chez Trace TV, avant d’enchaîner sur un stage long chez Sony Music, en tant qu’assistante du chef de projet. C’est au moment où je préparais mon mémoire que mon ancienne maître de stage chez Sony me propose un poste chez Universal, où elle venait d’être recrutée. J’ai alors été embauchée en CDI en tant que chef de projet chez Universal Music pendant environ 2 ans. Et c’est ainsi que je suis entrée dans le monde professionnel. Ennuyée par ce secteur, j’avais envie de donner plus car j’avais l’impression de n’utiliser finalement que 10 % de mes capacités par rapport à tout ce que j’aimais faire et tout ce que je savais faire. Et c’est ainsi que je me suis lancée dans l’entreprenariat.

Tu as donc lancé ta marque de vêtements Inyu pendant que tu étais chez Universal ?
Oui. J’étais à l’aise chez Universal mais j’avais vraiment l’envie de me rendre utile et de faire des créations. N’ayant pas encore les idées claires au départ, je me suis référée aux différents secteurs de la communauté afro et, en 2011, je décidai de me consacrer au secteur de la mode afro.
Je me suis rendue compte que le secteur regorgeait d’artistes, mais qu’aucune plateforme ne les réunissait. À l’époque, il n’y en avait qu’un seul choix, My Asho, qui était à Londres.
Comme il n’y en avait aucune sur Paris, je me suis servie de mes études en communication et marketing pour mettre au monde Inyu en 2012, qui est une plateforme réunissant divers créateurs et où l’on s’occupe de la com, du S.A.V, de la vente en ligne, en laissant le designer uniquement se concentrer sur la création de ses vêtements. 90% d’entre eux exercent ce métier comme
activité secondaire et ils avaient besoin d’une structure les allégeant et leur permettant de s’exprimer plus librement. En parallèle, j’ai eu l’idée de créer ma propre marque, que je peux gérer de A à Z, sans que je sois contrainte d’attendre le stock des autres créateurs.

Quel était le positionnement d’Inyu ?
Nous étions sur un produit pointu. Je voulais toucher les femmes de 25 à 30 ans qui aiment les couleurs vives et le voyage. Mon idée était vraiment de les faire voyager à travers les créations, peu importe leur couleur. En lançant ma propre marque, j’ai commencé à faire des ventes et la plupart des retours-consommatrices était de dire que nous avions de très belles créations mais trop onéreuses. En 2014, je suis amenée à travailler avec Karine, une ancienne collègue chez Universal. Pendant que j’avais lancé Inyu, elle avait une marque de coques de téléphone aux imprimés wax ou d’inspiration afro et qu’elle vendait également sur Inyu. Nous nous sommes retrouvées un jour sur une vente privée à la Favela Chic, en présence de plusieurs créateurs. Et comme nous étions ensemble depuis un certain moment, nous nous sommes dit que nous pourrions faire la même chose. De fil en aiguille, l’idée de créer une vente privée en salle a germé, avec un positionnement clair sur le wax.

C’est ainsi qu’est né Happy50 ?
En fait, au-delà d’une simple création, je voulais quelque chose qui me différenciait. Cet événement à la Favela Chic durait deux jours et tous les cocktails se vendaient à 5€. De notre côté, nous avons eu l’idée de ne vendre que des produits à 50€ prix maximal, durant un jour et demi, pour permettre aux créateurs de liquider leur stock et aux consommateurs d’acheter des articles à prix réduits. Une fois l’idée actée, Karine et moi voulions rapidement passer à l’exécution de notre projet. Nous avons créé la première vente privée Happy50 en juin 2014, dans un studio photo (rue Yves Toudic) avec environ 300 visiteurs. Par la suite, nous avons enchaîné sur une vente chaque trimestre.
C’est ainsi que je me suis lancée et, petit à petit, Happy50 a commencé à prendre plus de place qu’Inyu.

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Ces dernières années, beaucoup de créateurs se lancent sur le créneau du wax. Avec le recul, quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui se lancerait dans le business de la création ?
Quand je compare le marché, en 2011, moment où je me suis lancée sur ce créneau-là et aujourd’hui, le nombre de créateurs est 100 fois plus élevé. Avec Happy50, il y a des créateurs qui se créent quasiment tous les jours et tant mieux pour le marché. Mais il faut faire attention parce que c’est un business comme tous les autres et sur la durée, nous voyons ceux qui le faisaient parce que la démarche leur tenait vraiment à cœur. Le conseil que je donnerais donc serait de le faire avec le cœur, en ne négligeant pas l’aspect commercial, et en ayant une vision élargie. C’est la seule et unique clé pour pouvoir tenir sur la durée.

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Le fait que peu de marques s’inscrivent dans la durée est-il dû à un problème de communication, de stock, de vision, de financement ?
Je vois que la plupart des marques ne réfléchissent pas forcément comme un business et des marques se créent à la va-vite. Je vais donner un exemple simple : j’aime bien les bagues en wax, je vais faire des tas de bagues en wax, je vais créer une page Instagram, un site Internet, super. Mais derrière, il faut faire de vraies campagnes de communication pour assurer sa visibilité sur le marché. Par ailleurs, il faut faire des prévisions financières pour pouvoir assurer sa pérennité, pour pouvoir avoir du stock, pour payer ses stands lors des ventes privées parce que la plupart des créateurs vendent sur Internet et font beaucoup de ventes privées. Donc, pour pouvoir tenir, il faudra penser à tous ces aspects-là.

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En 2018, qui sont, selon toi, les deux ou trois créateurs à suivre de très près ? Ceux qui t’ont surpris ou qui vont surprendre ?
En trois ans, nous avons pu voir leur évolution aussi bien en termes de produit, en termes de business et en termes d’image. Premièrement, je citerais De La Sébure, un créateur à suivre car il est hyper créatif et sait justement s’adapter à sa cible avec les différents produits qu’il propose. Ensuite, je dirais Openya Couture qui est une créatrice avec qui nous travaillons depuis longtemps, qui fait des pièces vraiment qualitatives. Ce sont des basiques revisités avec des imprimés en wax très bien cousus et très bien coupés. Elle était d’ailleurs présente au Marché Noir. Enfin, la marque Bazara’Pagne qui est l’une des premières créatrices qui nous a suivis dans l’aventure et aujourd’hui nous sommes très fiers de voir comment elle s’est développée. Au départ, elle faisait quelques ventes privées, et elle a désormais une belle boutique située en plein Paris. Et j’allais oublier Ekeeya Créations, qui vient également d’ouvrir sa propre boutique. Tous ces créateurs que j’ai cités exercent leur métier comme activité principale, et c’est ce qui est le plus remarquable.

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Ce numéro sera un « Spécial Kongo ». Qu’est-ce que le Congo représente pour toi, dans la personne que tu es devenue ?
À l’âge de 5-6 ans, je suis arrivée en France et je suis retournée au Congo pour la première fois quand j’avais 21 ans. J’ai eu une première gifle en me confrontant à la réalité. Après ce premier voyage, j’y suis retournée deux ans plus tard, en 2009, et depuis, j’y vais presque chaque année. Malgré tout ce qui est dit, malgré le fait que politiquement ce ne soit pas forcément le pays le plus stable, il se passe quand même des choses. Quand j’y suis allée en 2007, il n’y avait même pas de fast-food, alors que maintenant il y en a partout. À chaque fois que j’y retourne, tous les ans, il y a de nouvelles créations : un bowling, un nouveau rooftop, etc. Le Congo est dorénavant un pays vivant, qui évolue très vite. Le contraste saisissant entre une population défavorisée et cette population hyper connectée, que ce soit sur Facebook, Whatsapp, Instagram, Snapchat, avec des téléphones dernier cri, me fascine. J’ignore comment ils font mais ils sont toujours au courant de toutes les tendances. Ils ont une ouverture qui est extraordinaire et c’est un pays qui va vraiment à 100 à l’heure. C’est quelque chose qui me booste et me pousse à y retourner presque chaque année. À chaque fois, je me prends une grosse dose de motivation et de créativité, me permettant d’avancer et d’aller plus loin. Quand j’ai créé Inyu, j’avais vraiment envie de poser ma pierre à l’édifice en Afrique et aujourd’hui je m’y retrouve avec Happy50.

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Si je te dis l’expression « génération Roots » qu’est-ce que ça t’évoque ?
Je vois un groupe d’afro-descendants qui, peu importe le pays dans lequel ils sont, mettent en avant leur culture, leurs origines et la subliment, d’une manière globale, que ce soit par la musique, la mode, le lifestyle, les arts…

Édition ROOTS n°20 – Spécial Kongo