« De façon visible, nous sommes passés par plusieurs séquences de marches et manifestations dans Paris, avec des ampleurs inédites ! »
Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Désiré : Désiré Ilunga, 38 ans. Je suis cofondateur de Team Congo et membre actif dans la société civile congolaise. Ingénieur de formation. Né à Kinshasa et basé en France depuis une vingtaine d’années.
Bazeli : Bazéli Mbo, 41 ans, d’origine congolaise et née à Kinshasa. Je suis la Présidente de Team Congo et la cofondatrice de l’association. Je suis une experte en communication.
Revenons aux racines. Team Congo, c’est quoi ?
Désiré : Team Congo est né de cette volonté d’action. Lorsque vous naviguez dans des milieux afro-centrés ou congolais, il y a toujours cette interpellation : On n’agit pas suffisamment ou pas du tout. Quelle est l’efficacité ou l’impact de ce que nous faisons ? Donc, après des échanges et des discussions sur ces questionnements, nous sommes arrivés à la certitude qu’il nous manque quelque chose : une communication professionnelle. Et la communication, comme le dit ma très chère Bazeli, ce n’est pas une option ! Plusieurs initiatives existent. Il faut que l’on communique suffisamment, que l’on communique mieux.
Nous sommes nombreux à faire plein de choses, mais chacun dans son coin. Team Congo est aussi né de cette volonté de mutualiser les forces. Si on fait des actions ou traite des sujets à deux, à trois ou encore plus, on gagne en force de frappe. L’idée est donc de faire se rejoindre les énergies des différents mouvements pour gagner en efficacité et mieux communiquer autour de tous nos événements.
Team Congo s’est construit autour d’une vision, celle de travailler pour l’avènement de la sécurité, la justice et la paix durable en RD Congo.
Bazeli : Officiellement, l’association est née le 4 juin 2024, mais les actions ont débuté en février 2024.
S’agit-il en quelque sorte de fédérer l’ensemble des associations déjà existantes ?
Désiré : « Fédérer » est le vocable qu’on veut éviter au sein de la communauté. Parce que quand en parle de fédérer, les gens se
heurtent à cette notion de subordination. Notre intention est d’avoir une feuille de route et d’y greffer les associations existantes. On n’a pas d’obligation, ni de responsabilité, hiérarchiquement parlant sur ces associations, mais nous nous engageons tous à atteindre les objectifs fixés.
Quel état des lieux faites-vous aujourd’hui de la situation à l’Est de la RD Congo ?
Désiré : C’est un conflit larvé qui dure depuis plusieurs dizaines d’années et dont on a l’impression qu’il ne commence à éclore, à l’oreille du grand public, que maintenant. Je dirais que, fin 2023, début 2024, un grand bond a été fait dans l’opinion publique. Ce bon est dû à plein de facteurs, à une prise de conscience communautaire et à un matraquage médiatique – en tout cas sur les réseaux sociaux – de la situation. Les gens se rendent de plus en plus compte que l’on parle du plus grand génocide reconnu aujourd’hui, avec plus de 12 millions de morts en 30 ans. Une situation qui était restée dans une omerta totale. Omerta protégée, voulue et entretenue par ceux qui veulent que le Congo soit saigné à blanc. Et nous, qui souffrons de cette situation, n’avons pas encore trouvé les clés pour lever cette chape de plomb. Donc la situation évolue, mais cela pourrait être encore mieux. Cela doit être mieux.
Ressentez-vous que le combat s’est élargi au-delà de la diaspora congolaise, et que c’est désormais la diaspora africaine dans son ensemble qui semble s’être réveillée par rapport à ce sujet ?
Désiré : Effectivement, je pense que ce conflit est un peu sorti du « ghetto ». On est sorti d’une situation « congolo-congolaise » pour commencer à faire tache d’huile et intéresser, voire impliquer, de plus en plus d’afro-descendants ou amis du Congo, de manière générale. Plus on sera nombreux, plus les lignes pourront bouger. Un célèbre dicton affirme que l’Afrique a la forme d’un revolver dont la gâchette se trouve en RD Congo. Et c’est ce qu’on martèle souvent à nos frères et soeurs afro-descendants : l’un des plus gros noeuds de l’Afrique est la situation en RD Congo. Tout le monde doit s’y intéresser car si on délie ce qui se passe là-bas, l’Afrique prendra véritablement son envol. La prise de conscience doit donc être africaine.
Concrètement, quelles sont les actions que vous avez menées et que vous comptez mener pour provoquer la plus grosse mobilisation possible ?
Bazeli : Vous venez d’employer un terme qui est essentiel, c’est l’action. Comme Désiré l’a précédemment dit, on s’est donné comme horizon que la justice et la paix durable soient restaurées dans notre pays. Et pour cela, la Team Congo s’est fixée une feuille de route articulées autour de 7 missions.
Désiré :
1) Mobiliser massivement via le lobbying.
Nous voulons aller chercher les lieux de pouvoir, nous y incruster s’il le faut (rires), afin de convaincre et demander d’agir à ces Congolais ou amis du Congo qui exercent des postes stratégiques, qu’ils soient politiques, juridiques ou médiatiques. On doit tisser du lien avec ces personnes, cet écosystème, de manière à ce que les décisions qui seront prises au nom de la RD Congo, soient prises en tenant compte de notre narratif. Autre versant de ce lobbying, l’action sur la force économique. Nous devons devenir des consommateurs conscients et responsables. Aujourd’hui, la misère humaine prévaut dans une grande partie du pays. Cette crise est liée, entre autre, à l’opulence de l’Occident et nous en sommes tous bénéficiaires, d’une façon ou d’une autre. Il n’y a qu’à observer la composition de nos téléphones portables ou la provenance de nos bijoux. Par conséquent, comment passer de consommateurs naïfs et passifs à des consommateurs conscients pour insuffler dans les chaînes d’approvisionnement de ces multinationales une dynamique éthique ? Quand on parle de minerais de sang, il s’agit de tout sauf d’un euphémisme…
De façon visible, nous sommes passés par plusieurs séquences de marches et manifestations dans Paris, avec des ampleurs inédites ! Je pense notamment à celle organisée le 23
novembre 2023 à Paris, de Château Rouge à la Place de République. On pouvait voir flotter les drapeaux camerounais, algériens, maliens…
Nous sentons une volonté de convergence des luttes ; surtout quand on voit l’ampleur de ce qui se passe à Gaza, au lieu de nous opposer et faire une concurrence des misérables, parce que les maux qui nous rongent sont les mêmes. Quand on tire les ficelles, on s’aperçoit que c’est une même démarche, une même vision du monde qui nous opprime tous, chacun dans son coin et avec des raisons différentes.
2) Programme de développement.
On doit penser le Congo de manière décentralisée. Quand on parle du Congo, beaucoup d’entre nous ne voient que Kinshasa. La RD Congo, c’est 2 345 410 km2 de territoires, le 2e plus grand pays d’Afrique après l’Algérie, c’est 450 ethnies, c’est plus de 250 langues. Il faut que nous, qui sommes dans la diaspora, réfléchissions au Congo de manière décentralisée. C’est-à-dire que moi, je suis ambassadeur du territoire de mes parents, de mes grands parents. Je m’enracine, je prends l’information à la source, je me critique, je me densifie et j’emmène mon expertise occidentale pour développer cet espace. Et si chacun d’entre nous fait la même chose, c’est ainsi qu’on va pousser le développement de l’ensemble du territoire.
3) Entraide et la solidarité.
Nous avons le projet, qui va être lancé incessamment sous peu, d’un pont de fret maritime et aérien.
Les vêtements et objets du quotidien que nous n’utilisons plus ici doivent aller aider nos frères et sœurs déplacés de guerre à Goma.
Il est absurde que l’Algérie, et merci aux Algériens, envoient 300 tonnes de vêtements pour nous aider et nous-mêmes, en tant que communauté congolaise, nous ne faisons rien. Nous voulons impulser une démarche de solidarité continue et permanente, entre nous.
4) Agenda commun.
Faire en sorte que toutes les structures associatives, qu’elles soient en Belgique ou ici en France, par exemple, puissent se coordonner sur des dates commémoratives ou des mobilisations collectives. En mettant en place cet agenda commun, il sera plus facile de faire la promotion de toutes les initiatives et se donner une force réelle.
5) Renforcement de l’identité congolaise et, par extension, de l’identité africaine.
Nous devons apprendre notre histoire. Aujourd’hui, parce que nous sommes déracinés, nous sommes comme des zombies, des béni-oui-oui et tout le monde peut nous imposer sa messe. Nous devons nous recentrer. Au sein de Team Congo, nous voulons mettre en commun tous les travaux des sociologues, des anthropologues, des historiens qui existent déjà. On ne va pas inventer la roue, mais nous devons créer un lieu, une plateforme, pour discuter, nous cultiver et nous ressourcer. Nous sommes Kongo avec un « K », descendants de l’un des royaumes les plus
puissants que l’Humanité ait connu et nous devons nous réapproprier notre histoire et cette grandeur.
6) Appui des médias.
Certes, nous faisons des choses, mais il faut tendre la main aux professionnels pour qu’ils fassent savoir nos actions et pas de n’importe quelle manière. Il y a tout un narratif à construire et à faire porter par ceux qui influencent la société. Nous avons des frères et soeurs au sein de différents organes de presse, des célébrités dont la voix porte, nous devons aller les chercher pour nous accompagner dans notre démarche.
7) Recrutement.
Nous avons une dizaine de partenaires et associations qui nous ont rejoints et partagent notre vision. Nous voulons réunir associations, professionnels ou indépendants du Congo et former un conglomérat de toutes les énergies. Donc, en avançant, les gens vont nous rejoindre et ces personnes devront être embarquées et partager notre histoire, les mêmes valeurs, être au même niveau d’information.
Aujourd’hui, notamment dans les domaines artistique et musical, beaucoup de personnes d’origine congolaise excellent et ont une visibilité nationale, continentale, voire mondiale. Souhaitez-vous les imbriquer à votre mouvement et, selon vous, ont-ils un rôle à jouer dans ce combat ?
Bazeli : Cela fait partie de notre feuille de route, à savoir agréger les leaders d’opinion. Nous avons commencé à prendre contact avec des chanteurs, sportifs mais aussi les gros influenceurs des réseaux sociaux d’origine congolaise.
Le retour que j’ai pu observer est que ces personnalités sont en attente d’avoir entre les mains un projet qui soit structuré, un projet sérieux sur lequel ils pourraient également s’investir et adosser leur image. Team Congo arrive avec une mission claire, une structure sérieuse, pour pouvoir gagner leur confiance et leur assurer que ce que nous entreprenons s’inscrit dans une démarche pérenne et une feuille de route sur plusieurs années.
Désiré : Ces artistes sont nécessaires pour être des caisses de résonance et faire connaitre ce combat, au-delà de nos microcosmes. J’aime bien utiliser la phrase de mon cher frère Carlos Martens Bilongo : « Chacun doit faire sa part ». J’irais même plus loin. Chacun doit bien faire sa part.
Qu’est ce que la RD Congo représente pour vous ? Pour les personnes que vous êtes devenues ou aspirez à devenir ?
Bazeli : Aujourd’hui, je considère le Congo comme ma mission de vie. Toutes les actions que je peux mener, tout ce que je suis aujourd’hui, que ce soit en terme de victoires ou même les épreuves qui ont jalonné mon parcours, tout me ramène au Congo. Je suis Kongo et, quand on me parle de politique, je réponds toujours que mon parti politique c’est ma patrie.
Désiré : Pareil. Le Congo est en moi, je suis en lui. C’est mon foyer originel, c’est ma matrice. Tout ce que je suis, c’est parce que je suis Congolais.
Si je vous dis le mot « Roots », vous me répondez ?
Bazeli : Ma mère.
Désiré : Un baobab, bien enraciné.
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