L’imaginaire collectif a occulté la provenance originelle du rhum. Au gré des siècles et des mutations d’une pratique devenue art. La source ? L’Asie. En effet, la canne à sucre n’existait pas dans les Caraïbes avant que Christophe Colomb et ses copains ne l’importent du continent asiatique, après avoir fait escale par le Sud de l’Europe. La canne servira d’abord et surtout pour la fabrication du sucre. Très vite, on va se rendre compte de la possibilité d’en faire de l’alcool. Un alcool qui sera pendant très longtemps brut, peu raffiné et destinés aux esclaves pour leur donner de la vigueur aux champs. Les colons n’en consommaient donc pas avant qu’il devienne produit noble, préférant importer « leur » alcool d’Europe. Le tournant dans l’histoire du rhum intervient avec le Père Labat qui va améliorer le système de distillation dans plusieurs îles (Guadeloupe, Marie Galante…) pour le rendre « buvable ». Cette technique va alors se répandre dans toutes les Caraïbes et évolué en fonction du savoir-faire de chaque pays colonisateur. Et c’est ainsi qu’on aboutit à un style de rhum « hispanophone » ou rhum latin, un style anglo-saxon et un style français. Le rhum au style français des anciennes colonies (Martinique, Haiti, Gwada) est dit « agricole » car puisé de la fermentation pure du jus de canne. Il représente une part infime du marché mondial puisque que 97% de la production internationale est trustée par les rhums anglo-saxons et latins dits « traditionnels » car issus de la mélasse qui résulte de la fabrication du sucre.
Parmi tous ces rhums, il faut bien distinguer les rhums blancs des rhums vieux. Au rayon des rhums blancs, le rhum traditionnel sera pensé pour les cocktails, plutôt « neutre en gout » et généralement à 40°. Il sera beaucoup plus puissant dans le rhum agricole (entre 50 et 55°) et utilisé pour les ti punch.
Le rhum vieux, c’est autre chose : le terrain d’expression des collectionneurs, amateurs et passionnés.
Le rhum vieux latin est un alcool gourmand avec un caractère suave, fruitée, vanillé… L’anglo-saxon, quoique suave, est moins sucré que le latin, marqué par d’avantage de notes épicées et boisées. Quant au rhum vieux français, du fait qu’il s’agisse d’un rhum agricole (directement issu du jus de canne), est plus puissant sur les arômes, plus sec, avec une plus grande longueur en bouche. Malheureusement, sa part microscopique dans le paysage caribéen en fait un rhum qui s’exporte peu et qui n’est connu en grande majorité que des français. On peut légitimement se demander pourquoi cette différence de confection (agricole/traditionnelle) entre les français et le reste de la Caraïbe ? Cela relève d’un accident de l’histoire. Sous Napoléon, un blocus continental va empêcher les navires chargés de sucres en provenance d’Haïti, Guadeloupe et Martinique d’entrer dans les ports européens. Cette situation va créer une pénurie de sucre en Europe et le début de la culture de la betterave pour y remédier. Du coup, les Caraïbes françaises se retrouvent avec des hectares de sucre qu’elles ne peuvent plus vendre. La seule solution viable est donc de sauter l’étape de fabrication du sucre pour se servir directement du jus de canne. C’est ainsi que le rhum agricole français est né et a perduré.
Édition : ROOTS n°2
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