STÉPHANE TIKI : Président du Groupement du Patronat Francophone

« Je crois en une chose, la francophonie économique. Cette fierté de partager la langue française, mais aussi cette capacité à faire du business ensemble. »

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je m’appelle Stéphane Tiki, j’ai 37 ans. Je suis né le 18 septembre 1987 au Cameroun, à Yaoundé. Je suis aujourd’hui le directeur de développement et porte-parole du premier réseau d’affaires francophone dans le monde qui s’appelle le Groupement du Patronat Francophone. Plusieurs entreprises, particulièrement des PME, qu’on installe sur les territoires d’Afrique francophone. À côté de cela, je suis aussi PDG de Chaba Consulting Group qui permet d’accompagner les porteurs de projets qui veulent s’investir sur le continent africain.

Vous avez commencé votre jeune carrière par la politique, avant de vous orienter vers le business et le secteur privé. Quel a été le cheminement ?
J’ai fait toute ma scolarité à l’école française, au Cameroun. Je suis arrivé en France, en 2005, après avoir été à la Sorbonne, où j’ai débuté mon cycle universitaire 1 an plus tard. Dès le départ, j’ai été un des premiers artisans qui défendait la liberté d’étudier des étudiants étrangers. Par la suite, j’ai intégré un parti politique qui s’appelait l’UMP. J’ai réussi à devenir le premier Noir et le premier Africain intronisé Président des jeunes d’un parti d’envergure, dans toute l’histoire de la politique française. C’était un parcours passionnant parce que j’étais admiratif de celui qui était un peu comme mon mentor, Nicolas Sarkozy, et celle qui était aussi comme ma marraine, Rachida Dati, maire du 7ème arrondissement de Paris et actuelle ministre de la culture. J’avais envie de changer les choses, de bouger les lignes et de me battre pour l’égalité des chances et la méritocratie.
Fort de ces expériences, j’ai décidé de m’orienter vers une voie un peu plus privée. J’avais l’ambition d’œuvrer, d’abord, à développer économiquement le continent africain.
Cette envie est née d’une petite amertume et tristesse. Il y a 20 ans, on déclarait partout l’Afrique comme le continent du futur. Il y a 20 ans, où étaient les émirats du Moyen-Orient ? Et nous avons tous constaté leur développement fulgurant.
En France, j’ai développé un savoir-faire et j’ai souhaité apporter cette valeur ajoutée pour œuvrer à développer économiquement le continent. Je pense qu’il en va de notre responsabilité. Nous qui sommes des enfants du continent, chacun avec son niveau, son rang, son énergie, de faire quelque chose pour développer ce continent qu’on aime temps. C’est ainsi que je suis entré au sein du Groupement du Patronat Francophone car je crois en une chose, la francophonie économique. Cette fierté de partager la langue française, mais aussi cette capacité à faire du business ensemble.

BILYF 2023

En parlant de cette Afrique francophone, quel diagnostic faites-vous, quelles sont les zones d’impact et de rayonnement vers lesquelles vous orientez en majorité les entreprises ?
Je pense évidemment à des pays moteurs de l’Afrique de l’Ouest, notamment le Bénin, la Côte d’ivoire et le Sénégal. Je trouve vraiment que cette zone est un peu la fierté du continent. Nous avons tous vu la CAN 2024 organisée à Abidjan. Même ceux qui se plaignent de tout et qui ont toujours quelque chose à dire, n’ont rien eu à déplorer. Cette CAN était magnifique en termes d’infrastructures, qu’il s’agisse de la construction des stades, des routes, la qualité d’accueil des hôtels et des gens sur place, sans parler de la qualité du spectacle. Elle a donné du rayonnement au continent et montré qu’on avait la capacité de viser cette excellence africaine.
Mais je n’oublie pas l’Afrique Centrale, notamment le Gabon, dont j’ai eu l’honneur de rencontrer le Président lors de son dernier séjour à France. Il m’a exprimé cette volonté de faire changer les choses. Également, nous tentons de tisser des liens forts avec des pays comme le Congo Brazzaville ou le Cameroun. L’Afrique est le continent de demain, et j’encourage tous les chefs d’entreprise à venir y investir parce que c’est là-bas que vous pourrez obtenir les plus belles
rentabilités et possibilités de croissance.

« On a l’intelligence, on a le savoir-faire, on a l’excellence et cela doit être accepté partout, ici et dans le reste du monde. »

Aujourd’hui, nous sommes dans une ère où le panafricanisme a pris un essor énorme, avec une volonté d’autodétermination économique vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale, notamment réclamée par la jeunesse de ces différents pays. Comment situez-vous votre démarche dans cet environnement mouvant ?
En vérité, je pense que nous sommes dans la continuité. Pas dans le sens où tout doit continuer avec les anciens schémas, mais dans le sens de la continuité de l’évolution économique.
On a commencé avec un système où la France, mais aussi la Grande-Bretagne via le commonwealth, avaient le quasi monopole du continent africain, à la fin des indépendances.
Et qu’apprend-on en économie ? Une fois sorti d’un marché de monopole, on passe à un marché de duopole qui, à la fin, va lui-même devenir un marché d’oligopole.
C’est la transformation que l’Afrique vit actuellement.
L’Afrique est le continent de demain, et tout le monde s’en est rendu compte. Et de ce fait, aujourd’hui, vous avez des Américains, des Chinois, des Turcs, des Russes, des Libanais, des Français, des Coréens… qui tentent de gagner des parts de marché. Ils ne viennent pas parce que nous sommes beaux ou sympathiques, mais parce que le gâteau est énorme. Si tous ces gens viennent chez nous pour gagner, nous devons aussi gagner. C’est cela, le vrai gagnant-gagnant.
Partant de ce postulat, je suis très clair sur notre discours vis-à-vis des entreprises françaises qui souhaitent collaborer avec nous. Je veux qu’il n’y ait aucune ambiguïté dans mon propos. Nous leur disons : « Quand vous venez dans un pays africain, ce n’est pas pour changer le pays. Tout d’abord parce que vous ne le connaissez pas.
Vous venez pour être un atout, une valeur ajoutée, pour améliorer le développement du pays dans lequel vous souhaitez investir. Et cela commence par une condition sine qua non, celle d’embaucher en local et assurer de la formation. Les investissements doivent permettre d’améliorer les conditions de vie de ceux qu’ils embauchent et créer un cercle économique vertueux. Le pays doit profiter, concrètement, de vos investissements. »
Quant à votre question sur la volonté d’une certaine jeunesse de s’éloigner de la France, je vais vous dire une chose. Parce que j’aime la France et j’aime l’Afrique, parce que je crois au savoir-faire français, notamment en matière de construction, de transport avec le tramway, les métros… Je reste persuadé qu’une entente peut se maintenir autour de ce principe du gagnant-gagnant. Et de toute façon, nous sommes en 2024, les Français n’ont plus le choix. Ils vont devoir se battre sur le terrain, comme les autres, en proposant les meilleures opportunités d’affaire. Et les meilleurs projets seront retenus. Toutefois, je reste optimiste parce que je crois en l’excellence des entreprises françaises.

Sentez-vous que ce message que vous portez est, aujourd’hui, parfaitement intégré par ces entreprises ?
Oui et je le ressens sur le terrain. Je pense que c’est parce qu’on dit les choses dès le départ. Le message est clair. On trace la route, il n’y a pas de surprise et, si vous êtes d’accord, on travaille ensemble.

“Black excellence” est notre mantra. Que vous évoque cette expression ? Selon vous, est-ce un mythe ou une réalité ?
C’est une réalité que j’essaye d’incarner, si vous me permettez un léger manque d’humilité, dans mon propre domaine. Beaucoup de gens ont malheureusement des préjugés, des images négatives de l’entrepreneur noir, peut-être dues aussi à d’autres qui ont incarné ces images-là auparavant. Je pense que notre génération doit incarner cette ambition de l’excellence et de la méritocratie. Et oui, je l’assume, je suis un amoureux de la victoire et j’ai la haine de l’échec, bien qu’elle soit un élément qui mène au succès. J’ai beaucoup perdu. J’ai beaucoup pleuré. Je me suis toujours relevé.
Deuxième chose, j’ai envie qu’on nous reconnaisse, de façon collective, comme des gens qui ont du talent et de la compétence. On a l’intelligence, on a le savoir-faire, on a l’excellence et cela doit être accepté partout, ici et dans le reste du monde. Donc oui, je crois en cette black excellence, je veux l’incarner comme tous les portraits des gens inspirants que je vois sur les murs de votre bureau : Élisabeth Moreno, qui est ma grande sœur, Flora Coquerel qui est une amie…
Autant de personnes qui incarnent une excellence dans des domaines totalement différents.

Originaire du Cameroun, cela représente quoi ?
Récemment, j’ai fait une autre interview où on m’a demandé ce qu’est le Hemle ? Nous, les Camerounais, avons la faim aux yeux ! Pardon, l’accent est revenu (rires). C’est de cela qu’il s’agit. On a la passion et l’ambition pour une chose simple, on veut rendre fiers nos parents parce qu’ils ont investi en nous. Le fait qu’on arrive ici, pour ma part en 2005, est dû au fait que nos parents ont poussé et se sont sacrifiés pour qu’on puisse bénéficier des meilleures écoles. Comme on dit chez nous, il faut rendre le lait aux parents, qu’on a pris nous-même étant petits. Pour moi, le Cameroun représente 3 choses : C’est le Continent quand même (rires), c’est la passion et c’est la détermination.

Si je vous dis le mot « Roots », quelle est la première image que vous vient l’esprit ?
L’excellence. Il y a deux sportifs qui m’inspirent cette excellence : Michael Jordan dont je suis un fan absolu, 7 bagues, le plus grand compétiteur au monde ; et Kobe Bryant avec cette « mamba mentality » et cette volonté de toujours dépasser ses propres limites.
Et puis, je pense évidemment à votre magazine et cette capacité que vous avez à mettre en avant ceux qui réussissent pour donner de l’espoir et de l’inspiration à tous les autres. Vous permettez à vos lecteurs de se dire : « Si c’était possible pour lui, c’est possible pour chacun d’entre nous. »

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