« Je ne voulais pas que mes références soient américaines, je voulais que le film ait un imaginaire panafricain. Du pays wolof aux terres yorubas, où est née la famille Moutaïrou. »
Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Simon Moutaïrou, 44 ans, Franco-Béninois, réalisateur.
Ni chaînes, ni maîtres. Rares sont les films francophones à aborder le sujet de l’esclavage de façon grave et non sur le ton de l’humour. Pourquoi cette volonté d’aborder un tel sujet ?
Plus encore que l’esclavage, j’avais vraiment envie de montrer le marronnage. Les marrons m’ont toujours inspiré. Ils sont celles et ceux qui ont osé dire non. Qui ont brisé leurs chaînes. Qui ont affronté l’ordre établi. Ce sont des héros et des héroïnes oubliés de l’Histoire. Quoi de plus beau de leur rendre hommage. De mettre la lumière sur eux. De leur redonner vie pour inspirer un pays, une jeunesse. La fierté qu’on a de nous-mêmes, nous la trouvons dans notre Histoire, Frantz Fanon nous l’a appris. On a besoin de se retourner vers notre histoire, et d’y voir de la grandeur et du courage. C’est comme ça qu’on se tient droit, qu’on redresse la tête, qu’on se sent fier. Le rôle du cinéma est de montrer tout cela. Donc ça a été une mission pour moi de donner ces personnages au public. Je suis extrêmement fier de l’accueil que le film a eu en France, en Afrique de l’Ouest, aux Etats-Unis, dans les îles. J’ai le sentiment d’avoir été au bout de ma mission.
Avez-vous été inspiré par des œuvres telles que Twelve Years a Slave ou d’autres provenant de la longue filmographie américaine dédiée à l’esclavage ?
Il y a évidemment eu des chefs-d’œuvre américains sur l’esclavage, Twelve Years a Slave, Mandingo, Amistad, Django, mais ce sont plutôt des sources francophones qui m’ont inspiré. La littérature carribbéenne d’abord : Patrick Chamoiseau, Édouard Glissant, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Marise Condé, Louis-Timagène Houat. Le cinéma caribéen aussi : Euzhan Palcy, Guy Deslauriers, Christian Lara. Je voulais que mon film ait sa singularité, sa voix propre, plutôt que d’essayer de copier les Américains. Parce que nous avons un rapport au continent qui est familial et direct, contrairement aux Américains. C’est notamment comme ça que le spirituel est arrivé dans le film. Je ne voulais pas que mes références soient américaines, je voulais que le film ait un imaginaire panafricain. Du pays wolof aux terres yorubas, où est née la famille Moutaïrou.
Sentez-vous que votre message a été compris ? Comment jugez-vous l’accueil réservé à votre film ?
Pour être totalement sincère, même dans mes rêves les plus fous, je ne m’attendais pas à ça. Une telle émotion. Une telle ferveur. Je ne m’attendais pas à ce qu’autant de gens, partout dans le monde, s’approprient le film et viennent me dire : « ce n’est plus ton film Simon, c’est notre film, c’est notre histoire, notre fierté ». Alors je ressens de la gratitude, de la reconnaissance. La tournée de ce film, à Paris, à Dakar, à Cotonou, à New York, ça a été une longue route de fraternité. Et c’est la chose la plus belle à laquelle on peut aspirer quand on est un artiste.
Originaire du Bénin, que cela représente-t-il ?
J’étais adolescent, au Bénin, quand j’ai découvert la Porte du Non-Retour, sur la plage de Ouidah. Ce lieu commémore la déportation de ces hommes, de ces femmes dans l’horreur absolue qu’est la cale du bateau négrier. J’ai ressenti un choc, une colère. Par mon film, j’ai eu la chance de pouvoir sublimer ce choc, de le transcender, de guérir une plaie d’adolescence. C’est de l’ordre de la foi. Le Bénin est un pays très spirituel. Il y a les catholiques, les musulmans, mais tout le monde va au temple du Serpent pour vénérer le vaudou. C’est tout sauf de la sorcellerie ou de la magie noire. C’est une magnifique religion qui prône l’harmonie entre l’homme et les forces de la nature qui ont le visage des dieux et des déesses. Pour toutes ces raisons-là, c’était très fort, en tant que franco-béninois, fils du peuple yoruba, de faire un film pleinement spirituel. C’était mon offrande aux esprits. Ma libération à moi.
Le Bénin est reconnu pour la promotion massive de sa culture et de son histoire (Amazone du Dahomey, Behanzin, etc). Projetez-vous un film qui rendrait hommage à ce riche héritage ?
Oui, ce soft power opéré par le Bénin, cette politique de fierté culturelle, est cruciale à l’heure de la guerre des narratifs. C’est une expression que j’aime beaucoup : le « roman national ». Elle signifie que l’Histoire d’un pays, ce ne sont pas des faits, c’est une fiction. Le Bénin est très actif dans cette écriture, que ce soit avec les restitutions des artefacts de Béhanzin, la création de cette statue gigantesque de l’Amazone mais aussi l’ouverture de la nationalité béninoise à tous les afro-descendants. Notre continent africain a une immense histoire, à nous de la sublimer. Je pense que c’est la mission extrêmement excitante qui attend les artistes de ma génération. Sublimer cette Histoire par des films, par des séries, par des romans, par des albums, par des œuvres d’art contemporain. Je pense que tous les moyens sont bons pour raconter notre beauté, notre fierté. « When we were kings » : tout est dit. Et oui, vous avez bien deviné : mon prochain projet veut porter très haut la culture du Dahomey.
Si je vous dis « Roots », cela vous évoque quoi ?
La source. Oui, la source sacrée.
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