Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Rosemonde Pierre-Louis, 42 ans, d’origine haïtienne. Je dirige une agence de communication qui s’appelle CPASDELACOM, je suis professeure de marketing d’influence et écrivaine. J’aime dire que je suis une « cool girl » avec une « fast life ».
Comment devient-on une « cool girl » avec une « fast life » ?
Je suis née cool (rires). J’ai toujours évolué dans le milieu de la communication, j’ai travaillé auprès des plus grandes maisons de disques… J’ai toujours baigné dans l’univers des strass et paillettes : cinéma, musique, télévision, médias… Et, finalement, je suis arrivée là où je suis car j’ai toujours été sympa avec les gens et aussi parce que je suis une acharnée de travail. Je ne me suis jamais fixée de limite ou dit que quelque chose n’était pas fait pour moi. Personne ne m’effraie, j’ai toujours été droite dans mes bottes et je dois ma réussite au fait de faire du bon boulot. Le bouche-à-oreille a fait le reste car, au final, je réponds à très peu d’appels d’offres. Mon travail a toujours précédé ma réputation.
Sur quel type de missions opère CPASDELACOM ?
Nous effectuons 4 métiers : Relation Presse, Relation Public, Celebrity Marketing et Personal Branding. Pour faire simple, je mets en lumière les gens. Je considère que nous avons un rôle social à jouer. La vie est tellement dure que notre mission est de faire rêver et rendre les marques pour lesquelles on travaille iconiques.
Relation Presse : Faire en sorte que l’on parle très bien de nos clients dans la presse.
Relation Public : Créer des liens entre les marques que l’on représente avec d’autres univers, en organisant, par exemple, des dîners. Cela peut se traduire également par de l’évènementiel en organisant une big fête pour positionner une marque.
Celebrity Marketing : Mettre en relation une grosse célébrité avec une maison de luxe.
Personal Branding : C’est très spécifique. Nous accompagnons des grands patrons du Cac 40. Ils sont très bons dans ce qu’ils font mais ne sont pas nés avec le téléphone, ils ne sont pas « digital natives » et n’ont pas trop les codes. Nous les aidons à faire en sorte d’acquérir tous ces codes.
J’interviens essentiellement dans le secteur du luxe : L’Hôtellerie de luxe, la beauté, peu de mode et beaucoup d’entertainment.
“ J’ai compris que, à l’âge de 5 ans, je m’étais faite violer et tous les épisodes sont remontés à la surface. J’ai décidé d’écrire pour exorciser et me réapproprier mon histoire.
Et surtout, pour briser la chaîne. ”
Si vous deviez citer vos 3 moments ou opé les plus marquantes ?
J’en ai tellement !
J’ai fait une superbe opération pour une très belle marque de parfum qui s’appelle Henry Jacques, c’est de l’ultra luxe. Ils ont ouvert une boutique avenue Montaigne. On a travaillé sur l’inauguration et c’était énorme ! Cela a été l’occasion d’organiser une conférence de presse avec Rafael Nadal (leur égérie) et la marque de parfum. Il y avait 15 personnes dans la salle, Rafael Nadal qui était assis à côté de moi et la boss de la marque qui me dit : « Rose, tu peux nous présenter ? ». J’ai dû prendre le micro devant tous les journalistes et faire la présentation, c’était fou !
J’ai également eu à bosser également sur le Grand-Prix de Monaco, c’était une sacrée expérience.
Et, enfin, je citerais un big évent que j’avais organisé avec GQ. Ce soir-là, j’ai été alpaguée par un prospect qui voulait travailler avec moi et cela s’est très mal passé. Au lieu de me prendre à partie, il a vociféré et m’a dit des choses atroces devant les gens. J’ai continué à faire mon travail comme si de rien n’était. Le lendemain, j’ai dit à mon assistante de ne pas signer le devis qu’on devait envoyer à cet individu. Pourtant, il s’agissait d’un gros montant et d’un travail sur une longue période, mais je refuse qu’on me parle de la sorte, même pour tout l’or du monde. Ce fut un moment marquant car j’ai eu un gros manque à gagner mais je ne peux pas travailler avec quelqu’un s’il n’y a pas de considération pour l’humain. Cela signifie qu’à la moindre petite friction tout va voler en éclat et que tu vas me prendre pour ton esclave. Si je fais ce métier, où je vis des expériences incroyables, ce n’est pas pour être malheureuse ou qu’on me traite mal.
A quel moment décidez-vous d’écrire un livre ?
Tout simplement parce que, avant mes 40 ans, j’étais arrivée à un moment où j’avais tout. Super agence, deux beaux enfants, super mec, la belle montre, l’appartement qu’il fallait… Pour autant, je me rendais compte que je n’arrivais pas à être heureuse. Dans ma vie, j’ai toujours voulu faire énormément de choses. Je pense que c’est pour m’éviter de penser à des horreurs qui me sont arrivées. Je me rappelle que j’étais en vacances au Cap-Ferret, chez les bourgeois dans ma vie de rêve, et là mon frère m’appelle pour m’annoncer que notre mère est morte. Au moment où il m’apprend cela, mon monde s’est écroulé. Et j’ai compris pourquoi je n’arrivais pas à être heureuse alors que j’avais tout ce dont j’avais rêvé. J’ai fait une grave dépression, avec des idées noires, suicidaires… Et j’ai compris que, à l’âge de 5 ans je m’étais faite violer et tous les épisodes sont remontés à la surface. J’ai décidé d’écrire pour exorciser et me réapproprier mon histoire. Et surtout pour briser la chaîne. Car, dans nos communautés, et même ailleurs, on ne nous entend pas ou alors on fait en sorte que tu ne parles pas. J’avais besoin de couper cela, j’avais besoin que mes filles sachent qui j’étais, d’où je venais, pour ne pas qu’elles aient à porter cela car, parfois, tu endosses des choses qui ne t’appartiennent pas. Au départ, mes écrits n’étaient pas destinés à être un livre. J’ai toujours aimé écrire, j’ai un blog où je raconte des histoires, j’ai toujours aimé regarder les gens dans la rue et leur inventer des vies. Finalement, mes écrits sont devenus livre, puis s’est enchainée une grosse tournée promotionnelle. Cette partie de ma vie est la chose qui me tient le plus à cœur. Je mène un nouveau combat. Je veux faire tomber la prescription du viol sur enfant. Il faut savoir que, dans la loi française, il n’y a qu’un seul crime qui est imprescriptible, c’est celui de crime contre l’humanité. Je me bats aussi pour un maximum de prévention. J’aimerais que les pédophiles puissent se dire que, quoiqu’il arrive, ils ne pourront plus dormir sur leurs deux oreilles. Et il faut arrêter avec le cliché des femmes noires fortes, c’est faux, ça nous brise.
“ Haïti, c’est ma madeleine de Proust. J’ai quitté Haïti quand j’avais 6 ans et j’ai des odeurs qui me restent encore. ”
Ce livre a-t-il été une thérapie ?
Absolument, cela m’a fait un bien fou. Quand le livre est sorti, j’ai décidé d’en parler à ma fille qui avait 7 ans. C’était le jour le plus difficile de toute ma vie, mais je me suis dit qu’il fallait lui parler avant que d’autres ne le fassent dans son école. J’ai tourné en rond toute la journée et, à 20 heures, je lui ai expliqué. Elle a super bien compris et sa réaction m’a à la fois délivrée et soulagée. Pendant deux nuits, elle n’a pas dormi, elle pleurait et me disait qu’elle n’arrêtait pas de penser à ce que m’avait fait le monsieur. Je suis contente de l’avoir fait car, quand tu es une petite fille, on te dit toujours « Fais attention aux garçons », mais faire attention ça veut dire quoi ?
On ne t’explique pas que ton corps t’appartient et que personne n’a le droit d’y toucher. Je suis contente qu’elle sache cela. J’ai eu tellement de retour de femmes qui’ m’ont écrit pour me dire qu’il leur était arrivé la même chose. J’ai même eu le message d’une femme de 63 ans qui me disait que c’était la première fois qu’elle en parlait. J’ai décidé de m’exposer parce que je suis souvent vue comme une femme forte, mais toutes les personnes qui ont été agressées, comme moi, ont des fêlures et ont le droit de ne plus avoir honte.
Édition Black Excellence, un terme qui vous parle ? Vous considérez-vous Black Excellence ?
Il faudrait définir « Black Excellence ». Parle-t-on d’une personne qui est Noire et qui a réussi dans un certain domaine ?
À dire vrai, je ne me suis jamais pensée en « Black Excellence ». Je connais mes qualités, je connais mes défauts, je sais là où j’excelle. J’ai des capacités assez incroyables à me dépasser.
Jay-Z, Michelle Obama, Viola Davis… C’est super ce qu’ils ont fait, ce sont des exemples d’excellence, mais je ne m’identifie pas du tout à eux.
Pour moi, « Black Excellence » c’est ma mère, ma grand-mère. Cela reste une notion assez floue, même si je peux comprendre qu’on ait besoin d’avoir des role models et que je le suis pour certaines personnes.
Originaire d’Haïti, cela représente quoi ?
Haïti, c’est ma madeleine de Proust. J’ai quitté Haïti quand j’avais 6 ans et j’ai des odeurs qui me restent encore.
Malheureusement, je n’ai pas pu y retourner car lorsque j’ai voulu y retourner, il y a eu le tremblement de terre. L’hôtel où je devais séjourner s’est écroulé. Ensuite, j’ai songé à y faire du business mais ça n’a pas fonctionné. Puis, j’ai voulu faire un reportage avec TF1 et… On a abattu le Président !
C’est assez fou.
Pour vous répondre, je pense que Haïti est la terre qui m’a inoculée cette force, cette rage de vivre et d’avancer. Mais, en même temps, Haïti représente la terre qui m’a damnée puisque c’est là-bas que j’ai été violée pour la première fois. J’éprouve donc un sentiment un peu ambivalent. Quoiqu’il arrive, j’aimerais y retourner. Là où je vais être très Haïtienne, ce n’est pas du tout dans la gastronomie, mais surtout dans la culture. La musique et la littérature locales font partie de ma vie. J’essaye également de parler créole avec les enfants. Cependant, je ne peux pas dire qu’Haïti soit ultra présente dans mon quotidien car je n’évolue pas dans le milieu haïtien.
Si je vous dis le mot ROOTS, cela vous évoque quoi ?
L’odeur de la pluie qui tombe sur la terre haïtienne.
Un des moments où j’ai été le plus heureuse dans ma vie.
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