Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Rokhaya Diallo, je suis journaliste, réalisatrice et écrivaine, âgée de 40 ans. Je suis née à Paris de parents Sénégalais et Gambiens.
On vous connaît en tant que écrivaine, journaliste, chroniqueuse, militante… Quelle casquette définit, selon vous, le mieux Rokhaya Diallo ?
Je ne suis pas très partisane des étiquettes. Comme dans la vie, selon le temps, la météo, ses envies, on peut changer de casquettes et ma vie correspond bien à cela. S’il y a un point commun à toutes mes activités c’est le fait d’écrire. J’écris des chroniques, des livres, des bandes dessinées, des documentaires que j’ai réalisé… J’aime la variété des expressions et le fait de ne pas être classée ou classable. Ce qui importe c’est ce que je dis et pas la manière dont je le dis.
Vous êtes aujourd’hui l’un des porte-voix de la communauté noire en France. Est-ce un fardeau ou une fierté à porter ?
Je ne me considère pas comme une représentante, je parle en mon nom. J’aime toujours à rappeler que personne ne m’a élu pour représenter les Noirs de France. Maintenant, il est vrai que je m’attache à porter des thématiques qui concernent les Noirs de France, notamment les injustices. Quand on m’arrête dans la rue pour me remercier d’aborder certaines thématiques, quand des gens ont l’impression que je porte leur parole, cela me touche, me flatte et m’honore.
Depuis le début de vos différentes luttes, quel est votre diagnostic de l’émancipation entrepreneuriale, sociétale et culturelle de la communauté noire de France ?
Pour rappel, j’ai créé mon association Les Indivisibles en 2007. Avant, j’étais plutôt dans les cercles féministes et altermondialistes. J’ai posé mon engagement dans l’antiracisme en 2004, et ai été très active dès 2009. Depuis 10 ans, Il y a des débats qui ont été amené dans l’espace public et qui n’existaient pas avant. Je trouve que le fait qu’il y ait beaucoup d’agressivité dans les réactions d’hommes blancs dominants sur les expressions des minorités ou les miennes montrent bien que quelque chose a bougé. Auparavant, il y avait une forme d’indifférence. Si aujourd’hui nos détracteurs sont plus agités, c’est parce qu’ils sentent qu’il y a un fléchissement dans le rapport de force. Le fait que des gens se mettent à débattre de mes thématiques sur des plateaux télé montrent que les choses ont réellement évolué. Le chemin sera long, les réseaux sociaux peuvent aussi aider à accélérer les processus. Le fait qu’Aïssa Maïga et d’autres actrices aient écrit le livre Noire n’est pas mon métier et aient occupé les marches de Cannes, le fait qu’Amandine Gay diffuse son film Ouvrir la voix sur Canal +, le fait que Laura Nsafou fasse son livre pour enfants Comme des millions de papillons noirs... Il y a plein de choses qui n’existaient pas et qui font émerger des problématiques que l’on contournait et c’est un réel pas en avant.
Vous êtes parfois caricaturée et vilipendée, notamment par certains éditorialistes présents dans les médias « mainstream ». On a l’impression que les critiques glissent sur vous sans avoir d’emprise, d’où puisez-vous cette force ?
Je viens juste de finir un bouquin sur cela et qui explique comment j’ai survécu à pas mal d’attaques. Il s’appelle Ne reste pas à ta place et est paru chez Marabout le 27 mars 2019. La vérité est que je ne suis pas sensible à la haine de gens que je ne connais pas et pour lesquels je n’ai pas d’affection. Ce qui m’importe dans la vie, c’est l’amour des miens et des gens que j’aime. Je suis juste triste pour ces personnes qui se donnent autant d’énergie pour de la haine à l’encontre d’une personne qui ne leur porte aucun intérêt. Cela me permet de mettre de la distance. La deuxième chose, je pense que les gens s’en prennent à un personnage, parce que les gens qui me connaissent ne s’en prennent jamais à moi publiquement. Je vois bien qu’il y a une forme d’hystérie, parfois, autour de ma personne, alors que je suis une femme qui n’a pas de parti politique ou organisation, je suis juste la seule journaliste dans l’espace public à porter ce genre de discours. Enfin, ma vie ce n’est pas Twitter, ce sont mes amis, ma famille… Et puis j’ai la chance de voyager beaucoup, cela permet de relativiser. Relativiser sur le poids de la France dans le monde, relativiser sur le poids des personnes qui s’en prennent à moi dans le monde.
Cette édition sera un social Djolof ? Que représente pour vous le Sénégal ? Et la Gambie, même si le lien est plus diffus ? Y avez-vous des projets ou ambitions ?
J’ai toujours du mal avec l’idée qu’en tant que membre de la diaspora on a un rôle spécifique à jouer dans nos pays d’origine. Il y a des gens au Sénégal qui sont compétents et qui sont plus aptes que moi à agir au Sénégal. Mon rôle serait peut-être de me faire l’écho de leur problématiques là où je pourrai le faire. Maintenant, il est évident que je suis attachée au Sénégal. C’est le pays de mes parents, le wolof est la langue dans laquelle j’ai été bercée. J’y allais régulièrement quand j’étais petite, et j’aimerais bien y retourner davantage et échanger afin de savoir ce que cela veut dire qu’être une femme noire dans le monde. J’ai envie d’agir sur l’estime de soi, notamment au Sénégal avec la problématique du blanchiment de la peau. C’est extrêmement grave et je pense qu’on peut trouver des solutions pour que les femmes s’aiment telles qu’elles sont et cessent de se mettre en danger. Quant à la Gambie, c’est la terre natale de mon père. J’aimerais découvrir ce pays, rencontrer mes cousins. J’en connais certains avec qui je communique et qui sont en Angleterre, mais j’aimerais m’y rendre.
Que peut-on vous souhaiter pour 2019 ?
Il y a mon livre sur l’estime de soi qui sort le 26 mars 2019. Je prépare également un documentaire. On peut donc me souhaiter que la réalisation se passe sans accroc et que je puisse enclencher mes prochains projets de docus. C’est un domaine dans lequel j’aimerais approfondir mes compétences.
Si vous aviez un message à adresser à la diaspora sénégalaise ?
Je trouve l’idée de diaspora très belle. J’aimerais simplement qu’on parvienne à se connaître et à s’envisager.
Si je vous dis le mot « Roots », cela vous évoque quoi ?
Un point de départ important, un encrage. L’idée d’une possibilité de se re-créer, je crois aux racines mais aussi en la possibilité d’une double culture.
Édition ROOTS n°22 – Spécial Djolof
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