Rencontre avec Pierre de Gaétan Njikam, adjoint à la mairie de Bordeaux, proche conseiller d’Alain Juppé et sensible aux questions environnant la diversité, l’Afrique et sa diaspora. Des échanges enrichissants et sans détour avec celui qui a initié, voilà maintenant 3 ans, les Journées Nationales des Diasporas Africaines à Bordeaux.
Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
En tant qu’homme engagé à Bordeaux et avant cela dans ma jeunesse au Cameroun, que ce soit au lycée Leclerc, à l’université de Yaoundé, puis à l’université de Bordeaux, c’est toujours un plaisir de rencontrer sur mon chemin des jeunes qui ont une certaine conscience de leur part dans le monde et qui revendiquent leur africanité.
Aujourd’hui, il y a une sorte de banalité de l’Afrique à Paris, mais on ne peut pas s’imaginer que dans les années 30, dans le froid parisien, quelques étudiants noirs ont pu créer une revue L’Etudiant Noir, créer Présence Africaine, se retrouver pour parler de ces choses-là. À l’époque, il fallait vraiment avoir du courage et de l’audace. Aujourd’hui, en tant qu’élu en France, engagé pour faire en sorte que la relation avec l’Afrique soit innovante, je réfléchis à une certaine façon de voir l’Afrique en France, la France en Afrique.
Quel est votre regard sur cette génération ROOTS qui a cette conscience africaine, mais qui pourtant vit en France ?
Votre génération m’interpelle et est au cœur de ma réflexion et de mon engagement politique. Je ne suis pas né ici, mes parents ne sont pas ici, donc je m’efforce de bien m’approprier cette nouvelle identité africaine que vous incarnez. Je considère qu’il s’agit là d’un vrai sujet politique, à la fois pour les pays africains et pour la France elle-même. C’est la raison pour laquelle j’ai initié les Journées Nationales des Diasporas Africaines, il y a 3 ans. L’idée était de considérer qu’il y a aujourd’hui quelque chose qui se passe, qui n’est pas à mon avis suffisamment pris en compte par les différents décideurs politiques d’Afrique et de France. C’est cette réalité démographique, citoyenne, engagée, entrepreneuriale, artistique, culturelle qui se décline sous toutes ses formes et qui, à mon avis, reste une sorte d’objet politique non identifié. C’est comme s’il y avait une sorte de non-citoyenneté, non-participation, alors que d’un point de vue sociétal cette jeunesse est là, elle entreprend.
Je considère qu’on ne peut pas raisonnablement pensé à la France d’aujourd’hui et la relation de la France d’aujourd’hui avec l’Afrique francophone sans mettre au cœur de la réflexion cette nouvelle génération que vous constituez.
Il est urgent, pour la vraie cohésion nationale de la France, son identité au pluriel, sa puissance, son rayonnement, son influence, de mettre cette nouvelle génération née en France mais d’ascendance africaine au cœur des projets politiques.
L’ère de ce qu’on a appelé « La Françafrique » est-elle révolue ?
Je considère pour ma part que ce qu’on appelle la “França-frique” est un dégradé de ce qui a pu exister. Avant, quand on parlait de la Françafrique, c’était Jacques Foccart qui, à l’Elysée, travaillait pour préserver les intérêts de la France par rapport aux pays qu’ils avaient colonisés, et enrichissait une poignée d’individus.
Aujourd’hui, on a des gens qui s’excitent dans les médias, qui ne représentent rien. Personnellement, je pense qu’on est dans une volonté de certains de cannibaliser les circuits officiels de l’État français, de l’entreprise française, et de profiter de manière exclusivement personnelle de la dite croissance perceptible ou constatée en Afrique. La vérité qui nous rattrape aujourd’hui est que l’Afrique est en accélération de son histoire avec l’émergence d’une nouvelle catégorie d’acteurs : l’entrepreneur africain, l’étudiant africain, les mouvements associatifs alternatives
africains.
On assiste à un phénomène que l’on appelle “les repat”, c’est-à-dire ceux qui sont en France et aspirent à rentrer en Afrique pour travailler, investir ou lancer des entreprises. Comment observez-vous ce phénomène ? Est-ce une perte vive pour la France ou est-ce un mouvement que vous souhaitez encourager ?
Très sincèrement, c’est un mouvement que je souhaite
encourager. Je souhaite qu’il y ait plus de mobilisation de différents acteurs, c’est même très important. Il faut qu’il y ait un programme de jeunes d’ascendance africaine qui bougent vers le pays d’origine mais avec un véritable accompagnement .
Quel serait votre message pour la génération ROOTS ?
Confiance. Je crois que rien ne peut se faire si on ne commence pas par avoir confiance en soi. Par rapport à ce dont nous avons hérité, par rapport à ce qui se passe autour de nous, la confiance en nos capacités malgré les tâtonnements et les difficultés à faire oeuvre collective. Il ne faut pas désespérer de pouvoir collectivement faire des choses qui ont de l’impact pour notre communauté franco-africaine. Et enfin : il faut oser !
Si je vous dis “Roots”…
Je pense aux mots : racines, parcours et solidité.
Édition ROOTS n°18
Par Michael Kamdem
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