Bonjour, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis Kabanda Marcel, historien de formation. J’ai fait mes études au Rwanda, au Burundi et en France. Je suis responsable d’IBUKA France (qui signifie : souviens toi), une association des rescapés du génocide Rwandais.
J’ai été co auteur du livre «Rwanda, les médias du génocide» sorti en 1995 et jusqu’à l’année dernière j’étais consultant à l’UNESCO.
Allez-vous régulièrement au Rwanda? Ressentez-vous encore les stigmates du Génocide ?
Je suis allé au Rwanda dès la fin du génocide, car toute ma famille y vivait mais aussi pour mes recherches. Je suis parti pour voir comment mon Rwanda était devenu. Oui il y a des stigmates car cela reste un fait marquant de notre histoire. C’est un sujet dont les Rwandais parlent sans crainte mais on préfère ne pas trop l’évoquer car pour avancer, il faut aussi savoir parler d’autre choses.
Comment les Rwandais (Tutsi & Hutu) font maintenant pour cohabiter et aller de l’avant ensemble ?
Dans les faits, les gens ont toujours cohabité. Les gens habitaient ensemble, étaient mariés mais avaient une carte d’identité différente. Ce n’est donc pas
d’aujourd’hui que nous avons appris
à cohabiter ensemble. C’est bien là le problème car les gens se sont retrouvés à la fin du génocide avec des personnes qui les poursuivaient hier.
Le mot «Génocide» revient toujours quand on évoque le Rwanda, mais que représente ce pays pour vous?
Il y a ce génocide mais il y a aussi autre chose. Pour moi, le Rwanda est un pays en phase de reconstruction, c’est un
pays naissant. Historiquement parlant, le Rwanda est une grande nation où une langue règne et où un peuple vit ensemble. J’ai aussi l’image d’un pays qui ressurgit, qui fleurit, un peu comme le printemps ici.
Le point de départ du génocide ?
Selon moi, le point de départ est loin derrière le 6 avril 1994. Tout a com- mencé au début du xxème siècle, quand on a décidé de diviser le Rwanda en 3 peuples dans un même pays. Lorsqu’il a été question de races, dîtes «d’origines différentes» par les explorateurs euro- péens et confirmée par les missionnaires et agents d’administration coloniale. Ils ont instauré l’idée que le Rwanda est le pays des Bahutu, qu’ils sont les pro- priétaires du pays et que les Tutsi sont une minorité, plus ou moins proches des blancs et par conséquent assimilables à des conquérants. À ce moment, on ressent déjà des tensions car au moment de l’indépendance, la demande est double. Les Bahutu demandent à être décolonisés des Batutsi, puis des Belges. Mais comment décoloniser les Batutsi puisqu’ils sont eux-même Rwandais, d’où cet énorme clivage qui s’est conclu par le génocide le 6 avril 1994.
Aujourd’hui, en 2012, pensez-vous qu’il existe encore cette fragilité et que cela pourrait se répéter ou alors la cohésion est faite et tout appartient au passé ?
Ce phénomène peut se reproduire au Rwanda ou dans d’autres pays. Cela n’appartient pas tout à fait au passé même si nous ne vivons pas dans la paranoïa. Nous devons juste être vigilants afin que cela ne se reproduise plus.
Quelle est votre vision du pays à court, moyen, long terme ?
Une nation unie, où les hommes politi- ciens ne diviseront plus les Rwandais, montreront l’exemple, casseront les barrières. Il faudrait que les 11 millions de Rwandais puissent avoir de quoi se nourrir, que l’éduction se développe… Les pays frontaliers également se doivent d’être stables. Le boum économique devra s’accompagner d’un développe- ment démocratique.
Si je vous dis Roots, qu’est ce que cela vous évoque ?
Le film «Racine» d’Alex Haley. Selon moi, l’importance n’est pas de savoir d’où vous venez, mais de savoir la rela- tion que nous allons créer ensemble.
Édition : ROOTS n°4
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