Aéroport de Bangalore, dans le Sud de l’Inde, je commande un chai avant d’embarquer dans mon avion en direction de Delhi. A ma surprise, le caissier est africain, ce qui n’est pas un emploi communément occupé par des étrangers ici. Le prénom sur son étiquette, Prakash, ne s’apparente pourtant pas à ses traits. Il m’explique qu’il appartient à la tribu Siddi, une communauté que l’on retrouve notamment dans les Etats du Gujarat et du Karnataka. En Inde comme dans le reste du monde, les Siddi sont une minorité ethnique que l’on connaît peu. On les surnomme les Indiens d’Afrique, ou Africains d’Inde.
Les Siddis, ou Habshis sont descendants de tribus Bantu et de tribus d’Afrique de l’Ouest, dont des membres ont été vendus en esclavage sur les côtes ouest du sous-continent indien par les marchands portugais. Les historiens ont retracé l’existence d’un commerce d’esclaves à travers l’Océan Indien au XIIIè siècle, soit deux siècles avant le début de la traite négrière occidentale. L’esclavage, servait à l’époque à alimenter les armées des différents royaumes indiens. En 1459, le roi du Bengale, Rukn-Ud-Din Barbak pos- sédait une armée de 8000 Siddis, parmi lesquels il en promut à de plus hauts rangs militaires. Malgré leur condition de soldats-esclaves, certains Siddis accédèrent à des positions de pouvoir : le soldat de garde Sidi Badr devint premier roi africain du Bengale et régna plus de trois ans après avoir renversé la dictature du roi Habesh Khan en 1490. Malik Ambar, quant à lui né esclave en Ethiopie et vendu au premier Ministre de la ville royaume Ahmednagar, fonda une armée indépendante à laquelle de nombreux rois dans le sud du pays ont fait appel pour défendre leurs frontières. Le nombre d’esclaves déportés vers le sous-continent indien augmenta drastiquement dès le XVIIIè siècle quand les rivalités des puissances coloniales européennes se sont déplacées vers l’Inde : les présences des Portugais, Hollandais, Français et Anglais ont fait augmenter la demande d’esclaves pour des travaux des champs ou travaux domes- tiques. Au XIXè siècle, les efforts des Britanniques pour faire cesser le trafic d’esclaves transatlantique à encourager les déportations massives d’esclaves vers l’Asie du Sud.
Quand l’Angleterre a aboli l’esclavage en 1842, une minorité d’esclaves libérés est retournée sur le continent le continent indien, les autres se sont regroupés en communautés dans les Etats de l’Ouest ou du Sud de l’Inde. Ces communautés se sont souvent retrouvées dans la pauvreté du fait d’une mauvaise intégration à l’économie de l’Inde britannique. Avec l’agriculture comme activité principale, c’est dans des zones rurales ou forestières reculées que les Siddis se sont notamment installés et demeurent encore aujourd’hui. Oubliés de l’Histoire, la communauté Siddi vit entre assim- ilation à la culture indienne et recherche d’identité avec son passé.
Ils ont tout perdu des langues et coutumes Bantu de leurs ancêtres et se sont au contraire attribué une nouvelle identité notamment construite autour de religions hindoues ou musulmanes, majoritaires dans le sous-continent indien. Ce qu’il leur reste de l’Afrique, outre leur apparence physique, ce sont des danses et des chants transmis de génération en génération. Malgré ce déracinement, certains Siddis se revendiquent toujours Africains, ou du moins descendants d’Afrique : l’an dernier, ils ont célébré avec fierté la réélection de Barack Obama, avec lequel ils revendiquent des liens de parenté lointains.
Par Ndeye Diarra
Édition : ROOTS n°12
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