Associé au militantisme, à la philosophie, à la négri- tude, à l’anticolonialisme. Populaire dans les anciens pays colonisés d’Afrique, figure de la littérature noire beaucoup plus controversée en France, ses écrits restent une référence de la conscience noire mais également de la conscience du colonisé.
Issu d’une famille bourgeoise martiniquaise, Frantz Fanon voit le jour en 1925, la Martinique est alors une colonie française caribéenne. L’enfant a la peau plus foncée que ses sept frères et sœurs et il en souffre. C’est en plein conflit de la Seconde Guerre Mondiale, que Fanon pose pour la première fois les pieds en France au sein des Forces Françaises libres de la Caraïbe, pour libérer la «Mère Patrie» de l’occupation allemande. Il est confronté au racisme de plein fouet – le décrivant comme étant « un indigène» , « p’tit nègre» – Frantz Fanon doute de son identité .
Est – il réellement français ?
La «Mère Patrie» dans le collimateur
Étudiant, dans la France des années 50, Frantz Fanon réalise une analyse osée de la société française. Peau noire, masques blancs est publié en 1952. Noir à l’extérieur et blanc à l’intérieur – toujours cette vieille rengaine qui revient sans arrêt. Frantz Fanon né aux Antilles et étudiant en France a très tôt su comprendre, le mal-être de ces français déracinés issus des pays noirs francophones. Cette forme de désillusion vécut par ses immigrés et enfants d’immigrés qui se sont confrontés à une dure réalité loin de leur idéaux. Edouard Glissant, philosophe et poète martiniquais le décrit comme étant «d’une extrême sensibilité». Dans Peau noire, masques blancs, Fanon témoigne de ce sentiment de rejet, décrit les lourds regards – cette impression de ne jamais être l’égal du blanc, quel que soit son niveau d’étude supérieur. Son engagement politique, sa proximité avec les peuples colonisés de l’époque, sa pensée philosophique anti-colonialiste proviennent de sa profonde déception.
En quête de liberté
Frantz Fanon était indépendant d’esprit – libre. Ses réflexions proches des courants politico-philosophiques de son époque comme le marxisme, ne le poussent pas à s’inscrire dans un parti. Il se méfie du mouvement de négritude porté par Césaire et Senghor – trop panafricanistes – tout en approuvant le concept. Il assiste d’ailleurs Césaire dans la campagne politique juste après la guerre (comme pour tenter de retrouver des réponses à ses ques- tions d’identité noire). Son discours de psychiatre montre des signes d’émancipations. Il démystifie le concept même d’une couleur de peau différente. On est noir qu’à travers les yeux du colon, qui perçoit le noir comme tel.
L’émancipation algérienne
Il s’engage auprès des forces du FLN algériennes – dénonçant l’inégalité criante de la société franco-algérienne et des meurtres à répétitions envers le peuple algérien. Expulsé du pays en 1957, il gardera rancune contre la France. C’est à Tunis qu’il continue son engagement. Le lien unique avec sa terre d’adoption se concrétise lorsqu’il prend la nationalité algérienne. En 1960, Fanon devient même ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne au Ghana. Il échappe à plusieurs attentats notamment au Maroc et en Tunisie.
Sa dernière œuvre
À la fin des l’année 1960, Fanon se retire aux Etats-Unis, il est atteint d’une leucémie. Il dicte alors sa dernière oeuvre qu’il considère en réalité comme son testament : les Damnés de la Terre, un essai d’espoir, un manifeste sur le non – alignement du Tiers-monde. Au début de la guerre froide, le Tiers-monde est à l’époque la chance pour les anciens pays colonisés de n’appartenir à aucun camp, que ce soit du bloc Est ou Ouest. Une possibilité de créer un nouveau modèle, ni capitaliste ni communiste. Sartre, grand admirateur de Fanon, réalise d’ailleurs la Préface du manifeste qui boost les ventes.
Il succombe des suites de sa leucémie à l’âge de 36 ans quelques mois avant l’indépendance de l’Algérie. Sa pensée donne le ton aux mouvements d’indépendances du début des années 60, et inspire même le parti des Black Panthers.
Frantz Fanon a brisé les barrières de la négritude pour don- ner la voie à une plus grande échelle – interprétant le mal-être des colonisés comme étant une pathologie. Le colonisé serait un névrosé. Les conséquences psychiques du racisme de l’occidental sur le colonisé s’explique à travers « le syndrome Nord-Africain » publié dans la revue Esprit en 1951. C’est l’un des premiers à établir le complexe d’infériorité. Fanon a donné une dimension universelle et applicable de sa pensée à tous les mouvements anti-coloniaux.
«Fanon témoigne de cette impression de ne jamais être l’égal du blanc, quel que soit son niveau d’étude supérieur. »
« Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte »
Par Estelle Audrey Ndjandjo
Édition : ROOTS n°12
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