Une comédie déjantée : MAYOUYA avec un casting très éclectique ; environ 13 nationalités du continent dont les comédiens font la fierté de leur pays respectif.
Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Claudia Yoka, née en mai 1974 ! Calculez l’âge vous-même ! Chez moi, on répond : je suis née vers… (rires). Je suis du Congo-Brazzaville. Je suis à la fois cinéaste et éducatrice.
Si vous aviez une baguette magique, avec quel acteur et quelle actrice vivants aimeriez-vous collaborer ?
Forest Whitaker et Gabourey Sidibé.
Quel état des lieux faites-vous de l’industrie du cinéma en Afrique ?
Cet état des lieux a été si souvent fait par des cinéastes africains bien plus chevronnés que moi que je ne souhaite pas empiéter et je préfère parler de l’état des besoins, parce que notre cinéma africain doit être aidé ses Etats (sans mauvais jeu de mots), pour être guéri, soutenu, valorisé et être viable esthétiquement et économiquement. Plusieurs pays africains francophones ont des fonds alloués à la production cinématographique ; Par exemple, le Sénégal et la Côte d’ivoire. Ces productions sont la vitrine d’un pays, son cachet, son identité. Tous les pays devraient y songer.
Nollywood a pris un essor phénoménal et est l’un des secteurs les plus générateurs d’emplois.
Comment faire pour que l’Afrique francophone se hisse au même niveau ?
Nous parlons ici de modèles qui sont « historiquement » différents. Les francophones ont hérité de la bureaucratie de Vincent de Gournay et les anglophones du pragmatisme de Charles Peirce. Ce n’est pas une critique, mais un fait ! Parce que, pendant que les francophones se perdaient à remplir des dossiers de subventions, les anglophones, Nigérians en tête, tournaient des films avec de petites caméras et l’équivalent de 1000 euros en poche ; et, ils se perfectionnaient techniquement, de jour en jour, tout en développant un système de distribution et de diffusion de leurs œuvres qui leur était propre et ils ne s’embarrassaient d’aucune paillette.
Et aujourd’hui, c’est Netflix qui leur déroule le tapis rouge ! Donc, pour l’Afrique francophone, que certaines de nos images cessent de faire sourire nos décideurs, parce qu’elles sont dues à un manque de soutien. Nous n’avons plus le temps de reproduire le modèle nigérian de départ. Parce que lorsque nous arriverons à Netflix, les africains anglophones tiendront déjà Hollywood ou les salles seront toutes fermées sur le continent ; qui sait ? et les cinéastes francophones qui ont du succès doivent ouvrir leurs bras à ceux qui peinent.
Vous êtes certainement l’une des femmes les plus influentes dans le paysage cinématographique africain en ayant participé et présidé de nombreuses manifestations culturelles. Quelles sont vos 3 plus beaux souvenirs et pourquoi ?
Le compliment est trop grand pour que je l’accepte ! Je parle souvent de moi comme d’une imposture « divine » parce que j’ai bénéficié de trop de grâces dans ce domaine. Présider des festivals est un cocktail de souvenirs impérissables, mais créer mon Festival Tazama a été une révélation. Nous sauvons des vies, notamment celle du petit Emmanuel atteint de rétinoblastome : tumeur de la rétine. Et je le dois à tous les cinéastes qui s’engagent à nos côtés depuis la première édition. 2ème souvenir : avoir eu le privilège de déjeuner avec Morgan Freeman près de ses bureaux de la 2nd street à Santa Monica. Il est tout en sagesse, humilité et grandeur, le tout avec humour. Ce n’est pas un souvenir mais un enseignement.
Enfin, après avoir vu le film : The Great debaters de Denzel Washington, j’ai réussi à faire venir les vrais Débatteurs de Wiley college dans mon pays pour créer les premiers clubs de débat dans chaque arrondissement de la capitale avec le soutien de la fondation Melvin Tolson B-Denzel Washington Forensics Society. Le cinéma mène à tout, surtout au leadership des jeunes.
Il s’agit d’une édition spéciale Afrique Centrale. Que représente le Congo pour la femme que vous êtes devenue ?
Une terre d’opportunités où les jeunes ont le droit de persévérer, de bâtir et de prospérer. En tant que femme et mère, j’espère le meilleur pour tous les enfants du Congo. Je suis consciente que j’ai eu droit à certains privilèges. J’ai pris l’option de les concentrer dans des études. Et encore aujourd’hui, j’aime suivre des formations.
C’est beaucoup de satisfaction lorsqu’on est une femme africaine de ne pas se voir fixer de barrières dans son éducation.
Quels sont les projets pour 2021 ? Un film en préparation ?
Un film, une comédie déjantée : MAYOUYA (L’Arnaque) avec un casting très éclectique ; environ 13 nationalités du continent dont les comédiens font la fierté de leur pays respectif. Le début de tournage au deuxième semestre 2021, s’il plaît à Dieu ; et j’ai tellement râlé pour ne pas le tourner ailleurs que dans mon pays que je dois revoir plusieurs volets de mon budget, parce que j’ai dû renoncer à quelques « avantages » extérieurs. J’échange beaucoup avec des entreprises locales comme pour le Festival Tazama et ça suit son cours. Quand je pense aux nouvelles toilettes de la station spatiale à 23 millions de dollars, je me dis que chacun de nous a ses problèmes à gérer (rires) ; je ne me décourage pas pour notre cinéma !
Si vous aviez un message à adresser à la diaspora qui va vous lire ?
Les idées reçues sont préjudiciables lorsque l’on veut changer les choses. Il y a tellement de challenges derrière un film, un festival que nous devrions songer à travailler tous ensemble ; Mon festival a été « catalogué » à une période donnée et ça m’a peinée au point de vouloir le stopper, mais nous avons des malades du cancer qui comptent sur nous ! Alors continuons ensemble…
Si je vous dis le mot « Roots », cela vous évoque quoi ?
Mes grands-parents : Jean, Micheline, Colette, Laurent… Des caractères bien trempés et le même héritage : témérité, valeurs et transmission. Dans le cinéma, « Roots » m’évoque la très belle initiative que sont les Sotigui Awards. L’Académie des Sotigui regroupe 10 collèges du cinéma africain et je suis fière d’en être membre depuis décembre 2020. Une belle façon de faire parler de notre art et de valoriser nos racines.
Édition ROOTS spécial Afrique Centrale
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